L’importance du lien enfant-parent est au cœur du projet "Itinérances". © Getty Images

Reportage en prison: comment maintenir le lien entre un enfant et son parent détenu?

En Belgique, environ 12.000 enfants font face à l’absence d’un père ou d’une mère, en raison d’une incarcération. Pour préserver ou restaurer ce lien, la Croix-Rouge œuvre à travers son projet “Itinérances”.

Laetitia Rasschaert et Evelyne Gratier sont bénévoles pour la Croix-Rouge. Tous les premiers mercredis du mois, elles conduisent Tom, 5 ans, et sa sœur Célia, 3 ans, à la prison d’Ittre où leur papa est incarcéré depuis un an. Pour les enfants, cette journée est toujours spéciale, c’est celle qu’ils attendent depuis un mois.

Un flot d’émotions

À peine sortis de la voiture, Tom et Célia avancent d’un pas confiant vers l’entrée de la prison. Ce chemin, ils le connaissent par cœur. Derrière la lourde porte bleu délavé, le hall d’entrée est déjà plein à craquer. Une trentaine d’enfants, accompagnés de parents ou de bénévoles, patientent dans un gai brouhaha. L’excitation, la joie, l’angoisse, une palette entière d’émotions se lit sur les visages. Pour Tom et Célia, c’est la hâte qui domine. Rester en place? Mission impossible! Mais pour Luc, 11 ans, et Léon, 8 ans, c’est différent: aînés d’une fratrie de quatre, ils sont assis dans le calme et prennent soin de leur petit frère, tout juste âgé de 1 an. Lucie, 6 ans, est lovée dans les bras de Patrick, l’un des quatre bénévoles qui s’occupent d’eux. Un lange dans la main gauche, une petite voiture jaune dans la droite, Luc a déjà tout prévu: aujourd’hui, il jouera aux voitures avec papa.

Au milieu de cette effervescence, une voix pétillante s’élève: celle d’Amandine Bosquet, psychologue, qui gratifie chacun d’un jovial “Bonjour! Ça va, toi?”. Chaque mois, elle accueille les enfants et encadre les visites, en binôme avec sa collègue Virginie. Ici, tout le monde la connaît, et elle connaît tout le monde. “Ces enfants reviennent régulièrement. Au fur et à mesure, notre visage leur devient familier et une relation de confiance se tisse. C’est important pour eux, car la prison est un endroit très anxiogène”.

Il est 13h30, la visite va commencer. Amandine dirige les enfants vers les détecteurs, où deux agents pénitentiaires sont postés pour contrôler chaque entrée au sein de la prison. Un dernier signe de la main à travers la vitre, et les enfants s’engouffrent dans le couloir en direction de la salle de visite. Les bénévoles, qui ne sont pas autorisés à entrer, reviendront les chercher une heure et demie plus tard à la fin de la rencontre, un moment qui oscille pour beaucoup entre l’excitation d’avoir vécu des instants heureux, et la tristesse de devoir déjà s’en aller.

Maintenir le lien: toujours bénéfique?

L’importance du lien enfant-parent est au cœur du projet “Itinérances”. Selon la Croix-Rouge, la relation familiale est non seulement bénéfique pour l’enfant, qui trouve à travers ces rendez-vous des repères sécurisants et structurants, mais elle l’est aussi pour le parent détenu. Dans 80% des cas, il s’agit du papa, et le maintien de son rôle de père est un paramètre qui influence fortement sa réinsertion sociale. C’est d’ailleurs l’une des principales raisons qui ont poussé Laetitia et Evelyne à se lancer dans l’aventure. “Je le fais pour aider les enfants, mais aussi pour le parent“, explique Laetitia.

Ce moment oscille pour beaucoup entre l’excitation d’avoir vécu des instants heureux, et la tristesse de devoir s’en aller

Nathalie Bruart, journaliste chez Femmes d’Aujourd’hui, est bénévole pour “Itinérances”: “C’est une expérience d’une richesse immense, car j’accompagne ces enfants dans leur parcours de vie et j’aide à ce que le lien parental soit maintenu. Les enfants ont besoin de leurs parents pour se construire. Le père des deux petites filles que je conduis a fait une bêtise, il est incarcéré, mais ça reste un père”.

Au-delà du lien parental, des liens se créent aussi entre les enfants et les bénévoles au fil des trajets. “Il y a une relation très intense qui se lie avec eux. C’est tout un chemin d’apprentissage de connaître les enfants, leurs différences, leurs difficultés, de leur laisser un espace de parole, de jeu, de liberté. Même si on a un rôle d’éducation et que tout n’est pas permis”, nous dit Nathalie. Pour Laetitia, c’est une évidence. “Dans la voiture, les enfants sont amenés à parler, ils se confient. Notre rôle est de les écouter et de les soutenir dans l’expression de leurs émotions, de leur vécu. Inévitablement, une relation se crée”. Evelyne aime à dire que ces trajets sont le passage d’un monde à l’autre. Un voyage au cours duquel les enfants ne sont pas seuls, où ils n’ont pas à cacher leur situation.

Parfois, des problématiques lourdes

En plus des bénévoles, le projet “Itinérances” s’appuie sur le Relais Enfants-Parents, une ASBL indépendante de l’administration pénitentiaire, composée d’une équipe de psychologues. Les deux missions de l’association consistent à encadrer les visites et à organiser le suivi des familles. L’encadrement des visites ne se fait pas de la même manière selon qu’elles soient collectives ou individuelles. Dans le premier cas, le binôme de psychologues n’intervient pas. “Une fois qu’on a accompagné les enfants dans la salle et que les parents arrivent, on se place en retrait, raconte Virginie Temmerman, psychologue au sein du Relais. On reste présent et on observe. C’est uniquement s’il y a un souci que l’on intervient pour aider le parent et l’enfant à le gérer”.

L’approche des psychologues lors de visites individuelles est différente: “Les visites individuelles le sont généralement parce qu’il y a des problématiques plus lourdes à traiter. Par exemple, lorsque le parent nous sollicite pour l’aider à répondre aux questions de son enfant à propos de son incarcération. Dans ce cas, on va être davantage interventionniste et représenter un soutien”.

Mettre des mots sur des non-dits peut aider l’enfant à mieux vivre la situation

À côté des visites, le Relais Enfants-Parents organise des entretiens individuels. Les parents détenus peuvent bénéficier d’un soutien psychologique, ainsi que des groupes de parole. Rencontres et échanges ont alors lieu autour des difficultés d’être parent en prison, où parfois le contact ne peut pas être maintenu. “On travaille dans l’intérêt de l’enfant, ce qui suppose que tout le monde soit d’accord avec le fait que des contacts se (re)mettent en place entre l’enfant et le parent détenu. Il arrive parfois que le parent à l’extérieur ou le service responsable de l’enfant s’oppose aux visites. Ce sont les limites de notre intervention”, poursuit Virginie.

Sujet tabou

Au-delà de sa relation avec son parent, c’est l’enfant même qui est affecté. C’est là aussi le rôle des psychologues: l’accompagnement de celui-ci dans une période difficile de sa vie. “Dans beaucoup de situations, l’incarcération est taboue, que ce soit au niveau de l’école, de la famille ou du regard des autres. Mettre des mots sur des non-dits peut, dans de nombreux cas, aider l’enfant à mieux vivre la situation”. C’est aussi cela qui anime la psychologue. “Ce qui me nourrit dans mon travail, c’est de pouvoir amener du questionnement chez le parent incarcéré dans sa relation à son enfant, ainsi que de pouvoir accompagner l’enfant dans cette difficulté, qui ne vient en général jamais seule”.

Texte: Roxane Malpoix. Les prénoms des enfants ont été modifiés.

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