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Témoignage: “J’ai demandé à être placée pour m’éloigner de l’alcoolisme de mes parents”

Par Tatiana Czerepaniak

Si autour de vous, les enfants sont chouchoutés et aimés, c’est loin d’être le cas au sein de toutes les familles. Certains vivent des situations extrêmes et le foyer dans lequel ils grandissent ne peut répondre à leurs besoins, même les plus fondamentaux. Mélanie nous raconte.

Quand elle était adolescente, Mélanie, aujourd’hui âgée de 39 ans, a demandé aux services sociaux de la retirer du domicile familial et de la placer. Sa famille n’était plus en mesure de la nourrir, de l’aimer et de la protéger, en partie à cause de l’alcoolisme dans lequel ses parents avaient sombré. Elle a néanmoins pu se sortir de cette situation difficile grâce à sa furieuse envie de vivre et à une jolie rencontre: son mari, qui est devenu son pilier.

La descente aux enfers

“Petite, mon enfance était assez ‘normale’, jusqu’à ce que mes parents se séparent, lorsque j’avais 8 ans. Mon père avait accumulé de nombreuses dettes et les avait cachées à ma mère. Elle l’a mis dehors lorsqu’elle l’a découvert et on s’est retrouvées noyées dans des factures très urgentes à payer. Rapidement, tout nous a été coupé: eau, gaz, électricité… Avec mes sœurs et ma mère, nous avons dû vivre sans rien, ou presque. On se débrouillait pour manger, on allait chercher des vêtements à la Croix-Rouge, on demandait des colis alimentaires. Cette situation était si difficile que ma maman est tombée dans une profonde dépression”.

La mère de Mélanie sombre dans l’alcoolisme, ce qui plonge encore un peu plus la famille dans la pauvreté. L’alcool lui fait perdre pied: elle va jusqu’à demander à Mélanie de voler pour elle des bouteilles lorsqu’elle fait les courses. La sœur ainée part “vivre sa vie” et Mélanie devient peu à peu la petite maman de la maison. Elle fait ce qu’elle peut pour s’occuper de la cadette, alors qu’elle n’a elle-même que 10 ans.

À 11 ans, première prise de conscience

“Pour moi, vivre de cette manière était la normalité… Jusqu’à ce que j’aille un jour chez une copine d’école. Elle avait l’eau courante, le chauffage, des vêtements à sa taille et des jouets, à manger tous les jours et des parents qui s’occupaient d’elle… Cela a été comme un choc pour moi. Je me suis rendue compte que ce que je vivais chez moi n’était pas du tout normal”.

Mélanie décide, du haut de ses 11 ans, de quitter sa mère et d’aller vivre chez son père, afin de trouver un peu d’aide. Mais après la séparation, le père de Mélanie tombe lui aussi dans l’alcoolisme. Elle et sa sœur vivent chez lui pendant un temps, mais les conditions ne sont pas plus sereines: l’homme vit dans un tout petit studio et est ivre la plupart du temps. La jeune fille connaît des années tout aussi compliquées que les précédentes et entre en situation de décrochage: elle est en échec scolaire et rencontre des personnes peu fréquentables. Heureusement, Mélanie reprend conscience de la dure réalité dans laquelle elle vit. Elle a 15 ans quand elle se rend à la police avec sa petite sœur, afin de demander qu’on les aide à sortir de cet enfer.

Début de reconstruction

Les deux sœurs sont placées en institution. Elles intègrent un home pour enfants en difficulté, au sein duquel Mélanie devra se faire une place, non sans mal. Mais c’est dans cette maison d’enfants que la jeune fille trouve confort et sérénité: elle peut se laver, manger à sa faim, s’habiller avec des vêtements corrects, aller chez le médecin quand elle en a besoin et avoir des choses à elle. “Cela peut paraître anodin pour la plupart des enfants, mais ce sont des choses auxquelles je n’avais jamais eu accès. Je me souviens qu’à la Saint-Nicolas, on avait pu choisir un cadeau, ce que l’on voulait… C’était totalement fou pour moi, parce que je n’avais jamais reçu de cadeaux. Je n’avais pas non plus la possibilité de me soigner ou d’aller chez le coiffeur: tout ça était nouveau pour moi”.

C’était totalement fou pour moi, parce que je n’avais jamais reçu de cadeaux…

Mélanie apprend à prendre soin d’elle, tant physiquement que mentalement. Pendant ce temps-là, son papa se prend lui aussi en main et fait tout pour sortir de son addiction. Ils suivent ensemble une thérapie familiale et l’homme trouve un logement correct pour accueillir à nouveau ses filles. Mélanie a 17 ans quand elle retourne vivre chez son papa. La famille en reconstruction est suivie pendant plus de deux ans par des éducateurs afin de s’assurer que les deux sœurs ne manquent de rien; ce qui est le cas, même si le père a bien du mal à répondre aux besoins affectifs de ses enfants.

Le décès d’une maman

Entre temps, la maman de Mélanie décède et c’est une nouvelle épreuve. “Je commence des études supérieures mais je m’égare. Je fais beaucoup la fête et cherche de l’affection auprès d’hommes plus âgés ou perdus. À ce moment-là, je sens que les choses commencent à m’échapper et que je flirte sérieusement avec les ennuis. Je fréquente surtout des hommes qui sont dans l’alcool, la drogue ou toute autre addiction. En bref, des gens paumés. Avec le recul, je me rends compte que je cherchais l’affection dont j’avais manquée et que je n’avais tout simplement pas de repères sains”. Après avoir vogué en eaux troubles, Mélanie tente de se reprendre en main. C’est à cette période qu’elle rencontre l’homme de sa vie, qui l’aidera dans sa démarche et qui deviendra son pilier.

Je sens que les choses commencent à m’échapper et que je flirte avec les ennuis

Très vite, ils vivent ensemble et Mélanie entrevoit un chemin de vie plus sain, qui lui correspond. Le couple s’unit et la jeune mariée reprend ses études d’infirmière. Elle obtient son diplôme et commence à travailler en milieu hospitalier. Pour autant, l’infirmière n’envisage alors pas de devenir mère: “Je ne voulais pas d’enfant, principalement parce que j’avais l’impression que je ne pourrais pas subvenir à leurs besoins matériels et, surtout, affectifs. Enfant, j’avais manqué de tout et je refusais de faire vivre cela à un autre enfant. Je me disais que même si je vivais confortablement, je pourrais tout perdre un jour et je n’envisageais pas de mettre un petit en difficulté. Comment donner de l’amour à un enfant lorsqu’on n’en a nous-mêmes pas reçu?”. Pour Mélanie les choses sont claires: elle ne sera jamais maman.

Des idées noires

La jeune femme poursuit son chemin, apaisée et comblée. Mais les choses déraillent lorsque son père meurt, quelques jours avant le mariage de sa cadette. Mélanie est extrêmement touchée par cette perte et sent qu’elle est en prise avec des idées noires. Elle se fait suivre par un psy, mais cette nouvelle épreuve impacte aussi son couple. Son mari et elle connaissent alors beaucoup de difficultés. Ils sont au bord du divorce, mais Mélanie refuse que sa vie s’écroule: “J’aime tellement mon conjoint et ce que l’on a construit ensemble, alors je me suis battue pour sauver mon univers. Nous avons entamé une thérapie de couple et tenté de nous reconstruire”. La thérapie sera bénéfique, puisque les amoureux réussiront à se retrouver, plus alignés.

J’ai réalisé combien le fait d’avoir manqué de tout avait été un traumatisme pour moi

Après s’être relevée de la tempête, Mélanie ressent pour la première fois l’envie d’avoir un bébé. Et malgré ses craintes toujours bien présentes, elle devient maman. Un lien fort se crée entre elle et son enfant: ils sont d’ailleurs fusionnels. Elle le dorlote, le couvre d’amour, le surprotège même, parfois. “En devenant maman, j’ai réalisé combien le fait d’avoir manqué de tout avait été un traumatisme pour moi. Alors je fais en sorte que mon fils ne manque de rien: je le couvre d’amour et je le gâte un peu trop. C’est peut-être un peu excessif parfois mais c’est ma manière d’être mère, en réaction à mon propre vécu”.

Pas tendre avec moi

Si Mélanie sait qu’elle aura toujours des blessures au fond d’elle, son parcours est sa véritable force. Chaque jour, elle se bat pour vivre la vie dont elle rêve et refuse de la subir. “Je veux que ma vie soit belle et je fais en sorte qu’elle le soit. Et surtout, je refuse de regarder vers le passé, je préfère qu’il soit un moteur pour moi”.

Pour avancer, Mélanie n’a pas peur de se remettre en question et d’aller voir un thérapeute lorsqu’elle sent que son quotidien prend une tournure qui ne lui plaît pas: “Être suivie par des psychologues m’a vraiment aidée à avancer malgré une enfance difficile. Comme mes parents étaient tous les deux dépressifs et sujets aux addictions, je fais très attention à ma santé mentale: je n’ai pas peur de prendre rendez-vous chez un spécialiste pour trouver le moyen de rebondir lorsque j’ai un coup dur ou des idées noires. Je peux dire que je suis fière de mon parcours parce que la vie n’a pas été tendre avec moi. Pourtant, j’ai réussi à construire une vie qui me rend heureuse. C’est une grande réussite à mes yeux”.

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