Pour ne plus jamais boire, il faut commencer par ne pas boire pendant 24h. © Unsplash © Kelsey Chance

Tournée Minérale: guérir dans un monde hyper alcoolisé

Arrêter l’alcool pendant un mois, tout le monde pense qu’il peut le faire. Mais quand on décide d’y renoncer définitivement, par choix ou par nécessité, c’est moins évident.

Ce soir-là, le groupe des AA (Alcooliques Annonymes) d’un village du Brabant wallon se réunit. Sur les visages, on lit le soulagement de se retrouver. Le modérateur ouvre la réunion sur une prière que les participants récitent en chœur main dans la main. “Mon Dieu, donne-moi la sérénité d’accepter les choses que je ne peux changer, le courage de changer celles que je peux, et la sagesse d’en connaître la différence”. Une connotation biblique qui pourrait freiner certains, mais les participants sont unanimes, il s’agit plus de spiritualité que de religion, “Dieu” englobant la toute Puissance Supérieure. Le modérateur entame la lecture d’un texte qu’il a choisi, avant de donner la parole à qui le souhaite. Par discrétion, et dans le respect d’une des règles d’or du Mouvement, rien de ce qui a été dit ce soir-là ne sortira de la salle.

La diversité des profils et des témoignages est saisissante ce soir-là. Hommes, femmes, jeunes ou moins jeunes, toutes origines et catégories sociales confondues, d’aucuns ont le visage abîmé par les épreuves, d’autres ne laissent rien transparaître de l’enfer qu’ils ont traversé. Jusqu’à lécher le sol, pour ne rien perdre de la bouteille de vin glissée des mains. Quant aux femmes, beaucoup racontent leur double peine, boire et avoir dû se cacher pour boire.

De l’alcool festif à l’alcool quotidien

Une participante des AA me confiera plus tard avoir mis longtemps à reconnaître sa maladie. “J’ai toujours aimé picoler avec des amis. Pour moi, fête et alcool étaient indissociables. De toute façon, quand on ne boit pas, soit on est enceinte, soit on est Bob, soit on est rabat-joie!”.

Un été, elle part en all in avec des copains. À 11h, c’était l’heure de l’apéro, à midi, petit verre de vin à table, et l’après-midi, direction le bar à cocktails. Pour bien terminer la journée, apéro avant le repas et la fin de la soirée se finissait au rhum. “On était bourrés du matin au soir. J’ai continué presque sur le même rythme jusqu’en septembre, mais là, ça n’était plus festif du tout. J’avais maigri, mon visage était gonflé et rempli de boutons, j’avais l’haleine puante. Mais le pire avec l’alcool, c’est que ça désinhibe complètement. J’étais devenue une traînée, j’avais perdu toute dignité. La déchéance, vraiment”.

Refuser un verre à une réception n’est pas aussi facile qu’on croit

Petit à petit, la honte ressentie au début et qui lui avait permis de “sauver les apparences” avait disparu. “Un soir, en rentrant chez moi après un anniversaire, j’ai provoqué un accident. La police est arrivée, j’ai eu un retrait de permis et l’obligation de suivre une formation de sensibilisation à la sécurité routière. Paradoxalement, c’est cet accident qui m’a sauvé la vie. Aujourd’hui, je suis abstinente depuis deux ans, huit mois et huit jours”.

Le refus n’est pas toujours bien accueilli

Recherche de la perfection au travail, à la maison, dans son rôle de mère, dans son physique… La femme est soumise (ou se soumet) à beaucoup de pression. Alors pour décompresser, l’alcool apparaît comme la solution facile, tant il est accessible. Entre les “bonnes nouvelles qui s’arrosent” et les “chagrins à noyer”, tout est prétexte à trinquer. Et les invitations ne manquent pas…

Mais comme l’épingle Jacques Hansenne, alcoologue et directeur de L’Espérance (centre de postcure accueillant des personnes majeures dépendantes à l’alcool après leur sevrage physique en milieu hospitalier), “refuser un verre à une réception n’est pas aussi facile qu’on croit. L’hôte insiste, s’interroge, se moque… Or le jour où l’on devient alcoolique, on est considéré comme seul responsable de ce qui nous arrive”.

Une omniprésence de l’alcool banalisée

Les membres des AA rencontrés témoignent d’ailleurs tous de la même difficulté de guérir dans notre société hyper alcoolisée. De la douche au champagne sur le podium de la F1 aux sponsors officiels des championnats de foot, des festivals aux réceptions, du petit au grand écran, à la radio… l’alcool est omniprésent. On le considère davantage comme un lubrifiant social, associé à la fête et au partage. Alors qu’en réalité “cela arrange tout le monde d’avoir un produit légal avec des propriétés psychotropes”, concluait le sociologue Ludovic Daussot.

La réunion se referme comme elle a commencé, par la prière de la sérénité. Chacun se salue en se souhaitant “bonnes 24 heures”. Car pour ne plus jamais boire, il faut commencer par ne pas boire pendant 24h, puis 48h, puis 72h… Un jour à la fois, jusqu’à la sobriété, épilogue heureux de l’abstinence.

5 questions à un alcoologue

Jacques Hansenne est alcoologue et directeur de L’Espérance, centre de postcure.

En quoi la dépendance à l’alcool chez les femmes diffère-t-elle des hommes?

“Les femmes sont souvent plus abîmées par l’alcool, physiquement et psychiquement. D’une part parce qu’elles entrent très tard dans un processus de guérison, d’autre part pour une raison purement physiologique: une unité d’alcool, soit 10g d’éthanol, n’a pas le même effet sur une personne selon son sexe. L’homme métabolise mieux et plus vite que la femme. D’où les recommandations de l’OMS de ne pas dépasser 21 unités d’alcool par semaine pour un homme, et 14 pour une femme. Mais d’autres facteurs tels que l’environnement, l’entourage ou la génétique font que nous ne sommes pas égaux face à l’alcool”.

Quelles solutions?

“La prévention et la sensibilisation. Les professionnels de la santé réclament depuis des années un vrai Plan Alcool, en vain. Or on est entouré d’alcool et de publicité pour l’alcool. Il y a un énorme travail à faire là-dessus. Une autre piste consisterait à fixer les prix des boissons en fonction de leur degré d’alcool, comme c’est déjà le cas dans d’autres pays. Il me semble aussi primordial de limiter son accessibilité. En Belgique, n’importe qui peut acheter de l’alcool n’importe quand et n’importe où, même sur les aires d’autoroutes!”.

Moules au vin blanc, carbonnades à la bière, sauce armoricaine… Alcool cuit ou pas cuit, c’est non

Les boissons sans alcool sont-elles une bonne alternative?

“Ce n’est pas une solution, c’est même une contre-indication. Il faut absolument bannir tout ce qui se rapporte à la boisson. C’est une question de verre, de couleur, d’aspect, de goût… À nos patients, nous préconisons l’évitement. La liste est sans fin: moules au vin blanc, carbonnades à la bière, sauce armoricaine… Alcool cuit ou pas cuit, c’est non. On serait étonné du nombre de produits qui contiennent de l’alcool. On a dû intervenir auprès de résidents qui avaient reçu du foie gras pour les Fêtes: il contient de l’armagnac”.

À partir de quand faut-il s’inquiéter?

“Quand on y pense sans arrêt, quand on boit un verre tous les jours, quand on est ivre chaque week-end… tout cela est un signal d’alarme. Un outil très simple: calculer le nombre d’unités d’alcool qu’on boit en une semaine. Ça objective les choses. Par ailleurs, on trouve facilement sur Internet des ‘auto-tests’ gratuits à faire en ligne, de courts questionnaires qui permettent de savoir en quelques minutes si on a un problème ou non. À mon sens, dès lors qu’on se pose la question, il faut consulter, au moins son médecin traitant”.

Pourquoi se lancer le défi de la Tournée Minérale?

“Outre qu’elle est une excellente initiative pour la santé publique, la Tournée Minérale permet de mieux se rendre compte de nos comportements et habitudes de consommation, et ainsi de constater combien il est compliqué de rester abstinent. Tant de gens prétendent n’avoir aucun problème avec l’alcool et pouvoir s’en passer quand ils le souhaitent, ils n’ont donc aucune raison de participer à la Tournée Minérale. Pourtant, s’y essayer engendre souvent une prise de conscience sur sa propre dépendance”.

Testez votre dépendance à l’alcool
Est-ce que je bois trop? C’est grave si je bois seul(e)? Le questionnaire AUDIT, réalisé par l’OMS, permet de calculer sa consommation et/ou sa dépendance à l’alcool en tant qu’adulte (www.automesure.com).

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