"Je devais constamment me séparer de ce qu'on appelle 'le Monde'…" © Tadeusz Lakota/Unsplash

“J’ai fait partie d’une secte chrétienne jusqu’à mes 17 ans”

“Quand on fait partie de cette secte, on voit le diable partout”: la jeunesse de Simon, Bruxellois, fut rythmée par des prières incessantes, des règles rigides et des samedis dédiés à Dieu. Il témoigne.

“Tu te réveilles, tu pries, tu déjeunes, tu pries, tu pars de chez toi, tu pries, tu manges, tu pries, tu rentres à la maison, tu pries, tu dors, tu pries… Chaque minute de ton quotidien est marquée par les prières et les règles”. Pendant plus de quinze ans, Simon*, 27 ans, a été membre de l’Église des Adventistes du Septième Jour. “Mes parents se sont convertis dans les années 90, puis ils ont eu deux enfants et nous ont élevés sous les règles de cette secte”, nous explique-t-il.

Des règles, toujours des règles

Parmi les nombreuses règles imposées, certaines concernent l’alimentation casher, conformément aux préceptes du Pentateuque (les cinq premiers livres de la Bible). “Nous ne mangeons pas de porc et ne buvons pas d’alcool. On ne peut manger que des animaux qui ruminent, qui ont le sabot fendu et des poissons qui ont des nageoires et des écailles. On ne peut pas ingurgiter de sang, considéré comme impur: il faut donc rincer la viande et la cuire à point”. Le Septième jour désigne le Sabbat, célébré le samedi, le jour de repos biblique: “Du coucher du soleil le vendredi jusqu’au coucher du soleil le samedi soir, tout ce que tu fais est consacré à Dieu. Tu vas à l’église et tu ne peux pas travailler, c’est-à-dire que tu ne peux pas cuisiner, par exemple”.

Tout ce que tu entreprends, c’est pour la gloire de Dieu: même passer l’aspirateur

“Les tâches aussi banales soient-elles (passer l’aspirateur ou se brosser les dents) sont toujours réalisées pour la gloire de Dieu. C’est absurde, mais la secte souhaite que chaque moment soit tourné vers cette religion, qu’il n’y ait pas d’échappatoires. Tout ce qui t’éloigne, même pour une seconde, de Dieu est considéré comme nocif pour toi”. D’ailleurs, toute personne ne faisant pas partie de la secte nuit aux autres membres…

Les amis d’école? Des démons!

“Lorsque tu es Adventiste, tu dois toujours te séparer de ce qu’on appelle le ‘monde’, soit tout ce qui n’est pas de l’Adventisme. Dans ce sens, les amis d’école de Simon sont considérés comme des démons car “tes seuls vrais amis sont ceux qui partagent ta foi. La bible dit: ‘Allez de par les nations et répandez la bonne parole à travers le monde’. Le prosélytisme fait partie du projet. Si tu veux devenir ami avec des gens, cela doit toujours être dans le but de les convertir. C’est horrible”, dit-il avec amertume. “Entre mes 7 et 10 ans, il m’arrivait de parler de Jésus dans la cour de récréation”. De quoi engendrer une schizophrénie certaine. “Tu finis par te lier d’amitié avec tes camarades de classe, tu veux faire des choses avec eux, ensuite, tu te rappelles que tu dois garder une distance avec ce monde. Toute mon adolescence, j’ai vraiment eu l’impression d’être divisé entre deux”.

Le diable à ses trousses

“Pendant de nombreuses années, mes parents ont été à fond dans la religion, à des niveaux vraiment hardcore. À l’âge de 10 ans, nous nous sommes réunis dans le jardin d’un ‘frère’ pour brûler les livres d’Harry Potter, considérés comme sataniques”. Et si Simon se rappelle de cette scène irréelle, il se souvient surtout de ce sentiment permanent d’avoir le diable à ses trousses.

Je n’arrive pas à comprendre comment j’ai pu mettre le feu à des livres de Harry Potter

“Ce qui est fou, c’est qu’autant tu vis avec Dieu, autant le diable est tout le temps là aussi. Tout ce qui est mal sur Terre, que ce soit rater le bus ou attraper un cancer, c’est le diable. Tout ce qui est bien, c’est Dieu. Quand mon père loupe son bus, il dit que c’est à cause du diable et c’est une véritable conviction, pas une simple expression”, nous explique le Bruxellois.

Pensées suicidaires

L’un des moments les plus difficiles pour Simon: le jour où il éprouve des sentiments interdits par sa foi. “À l’âge de 14 ans, je suis tombé amoureux d’un garçon. J’étais persuadé d’être possédé par le diable. J’ai même eu des pensées suicidaires”. Mais impossible d’en parler, et encore aujourd’hui. “Je me souviens d’un proche qui avait fait son coming out à 17 ans: il n’était plus autorisé à revenir à l’église, on ne pouvait plus lui parler. Les conséquences sont énormes: tu te retrouves d’un coup chassé et seul au monde. Tout est conçu pour que tu entres dans les rangs et que tu sois dépendant du groupe”.

À 14 ans, je suis tombé amoureux d’un garçon. J’étais persuadé d’être possédé…

Simon décide tout de même de se tourner vers une personne de l’Église, en lui demandant conseil “pour un ami”. “Cette personne m’a donné un DVD. Il s’agissait d’une vidéo destinée à me convaincre de suivre une thérapie de conversion. Bien que ces thérapies aient été interdites, je sais qu’elles existent toujours aujourd’hui sous le manteau“. Le jeûne est répandu chez les Adventistes, nous explique-t-il. La pratique est destinée à expier les péchés: “Certains jeûnent plusieurs jours et finissent d’ailleurs à l’hôpital, car ‘ils doivent le sentir dans leur chair’, c’est de l’automutilation. Tu éprouves la faim et la douleur dans ton ventre. Quand je suis tombé amoureux d’un garçon, j’ai jeûné très longtemps et j’ai dangereusement perdu du poids…”.

Le baptême et la perte de foi

Quand a-t-il décidé de quitter la secte? “C’est compliqué de mettre une date, mais j’ai ressenti une fatigue dès l’adolescence. Vers 15, 16 ans, j’ai fait une sorte de burn-out de religion. J’étouffais, j’avais besoin de partir. Je continuais à aller à l’église, à respecter les règles, mais j’étais branchée sur mode automatique”.

À 16 ans, arrive le grand jour chez les protestants, celui du baptême. “Robe blanche pour les filles, chemise et pantalon blancs pour les garçons. Il y a un bassin rempli d’eau, en dessous de la scène. Le pasteur nous faisait basculer en arrière dans l’eau, c’était un moment très rapide”. Déjà fort ébranlé en sa foi, Simon commence à sortir de plus en plus, à boire davantage, comme d’autres membres de son âge au sein de la secte, observe-t-il. “En période de crise, que ce soit pendant l’adolescence ou au passage à l’âge adulte, j’ai l’impression que beaucoup de gens de mon âge mènent une double vie: l’une dans la foi et l’autre dans le monde extérieur. Le samedi soir, une fois le Sabbat terminé, je sortais dans des boîtes avec des Adventistes de mon âge: et je les voyais prendre cinq lignes de coke et faire des fellations à des inconnus dans les toilettes”.

Et puis, le déclic

En grandissant, Simon prend de la distance: “Je me suis bien rendu compte que mes copains n’étaient pas les démons qu’on m’avait toujours vendus”. C’est d’ailleurs grâce à ses amis qu’il se sent enfin prêt à quitter la secte. “J’ai compris que je n’allais pas me retrouver seul au monde si je partais; ce qui m’avait toujours bloqué. Avant eux, je n’avais jamais eu de vrais amis en dehors de l’Église. Ça a été un vrai déclic pour moi”.

Comment l’a-t-il annoncé à ses parents? “Je ne l’ai pas fait. J’ai juste arrêté d’aller à l’église, et de prier, petit à petit. Il y a des choses que tu fais, par réflexe, qui commencent alors à s’effacer progressivement. Je vivais encore chez mes parents, mais j’étais à l’université, donc je passais le plus de temps possible chez des amis, chez ma copine de l’époque”.


Le message de Simon

Dix ans plus tard, le sujet reste tabou avec ses parents, avec qui il entretient une bonne relation. “Ils savent que je bois de l’alcool et que je mange du porc, mais pour le reste, c’est un sujet qu’on évite. Alors oui, ma mère me demande à chaque fois quand je compte revenir à l’église, elle me posera cette question jusqu’à son dernier souffle. Ce qui les terrifie le plus, c’est qu’ils sont persuadés que je n’irai pas au paradis avec eux, que je n’aurai pas accès à la vie éternelle. C’est très difficile pour eux d’être confrontés à la mort de cette façon. Je pense qu’ils sont tous les deux persuadés que je vais revenir. Le contraire leur fait très peur”, nous confie Simon.

Des années après avoir quitté ceux qu’ils considéraient comme ses frères et ses sœurs, Simon continue d’utiliser les pronoms “on/nous” lorsqu’il évoque la secte. À son plus grand désarroi. “C’est fou, je n’arrive pas à dire ‘ils ou eux'”. Et de lancer à celles et ceux qui n’oseraient pas franchir le pas: “Même si tu crois que ta vie est impossible en dehors du groupe, rappelle-toi qu’il n’est jamais trop tard pour recommencer ta vie à zéro et rencontrer de nouvelles personnes. Ce ne sera pas facile, mais ça va bien se finir”. Enfin, quand on lui demande comment il se sent aujourd’hui, sa réponse est claire: “Je crois que je suis heureux pour la première fois de ma vie”.

“La Grande Déception”

Les Adventistes du Septième Jour trouvent leurs origines aux États-Unis au 19e siècle. Ils furent fondés par William Miller. Ce dernier croyait en la prochaine venue de Jésus vers 1843-1844, en se basant sur ses interprétations bibliques. Le mouvement a attiré de nombreux adeptes lors du “Grand Réveil adventiste”, mais la date prédite passa sans événements, tout comme les suivantes, menant à la “Grande déception”. Certains disciples, dont Ellen G. White, ont cependant persisté. Prétendant recevoir des visions divines, elle dirige la réorganisation du mouvement, adoptant le Sabbat comme jour saint et développant des pratiques et règles religieuses distinctes. “Encore aujourd’hui, les Adventistes ont la conviction profonde que les événements actuels sont bourrés de signes qui nous donnent des indices sur la possible date de retour du Christ”.

*prénom d’emprunt. Rencontre et texte: Caroline Beauvois.

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