La maladie offre du temps pour ouvrir le dialogue. © Getty Images

“Ce que j’ai aimé dire à mon papa avant son décès”

Par Charlotte Burty

Avoir le temps de voir partir un parent peut être une chance. La chance, pour ceux qui sont sur le départ comme pour ceux qui restent, de partager moments intimes et paroles réconfortantes.

Lorsque la maladie a menacé d’emporter leur papa plus tôt que prévu, Laura, Julie, Élise et Charlotte, la trentaine, ont fait en sorte d’avoir une discussion à cœur ouvert. Revenir sur des moments-clés du passé et des anecdotes semblaient incontournables. Sauf que les confidences qu’on s’imagine ne sont pas forcément “comme dans les films”. Avec des papas pudiques mais aimants, les grands discours emplis d’émotions n’étaient pas toujours là. Mais peut-être qu’au fond, ce n’était pas plus mal comme ça?

Élise: tout en pudeur

Élise a perdu son papa en mai 2012, après avoir appris, quelques mois auparavant, qu’il souffrait d’un cancer à un stade avancé. Sa maman, infirmière en oncologie, a rapidement compris qu’il n’en guérirait pas. Elle a été transparente.

“À l’époque, étant la plus jeune de la fratrie, j’étais la dernière à vivre encore avec mes parents. J’avais 22 ans et à la fin août, je partais en Erasmus en Hongrie. Je me demande encore pourquoi, mais j’ai décidé d’y aller. Je ne réalisais probablement pas, la réalité me semblait trop dure à encaisser. Malgré tout, je ne regrette pas. Mon papa était encore en forme relative et à la maison, c’était un plaisir pour lui de s’évader grâce à nos appels journaliers sur Skype: on papotait, on se racontait nos journées, il suivait mes péripéties. Si j’avais été à Bruxelles, j’aurais été prise dans le quotidien et dans mes études, et le temps aurait filé ainsi. Ou peut-être pas, mais je préfère ne pas y penser.

Je suis revenue d’Erasmus en janvier 2012. À mon retour, il était encore mobile, mais son état s’est rapidement dégradé. Il est décédé en mai.

Un retour surprise pour Noël

Mon père était quelqu’un de très pudique sur ses sentiments, même si je sais qu’il m’aimait profondément. Je n’ai pas eu d’au revoir comme dans les films, mais je me rappelle de petits moments précieux. Et de ce 24 décembre 2011, où j’ai fait une apparition surprise pour Noël grâce à l’aide de ma sœur. J’avais prévu de rester en Hongrie pour les fêtes… Quelle idée! Heureusement, ma sœur m’a convaincue de rentrer.

Aujourd’hui, je l’aurais bousculé, titillé, mais à l’époque, je n’ai pas insisté

Aujourd’hui, j’aurais bousculé ou titillé mon papa pour qu’il me parle plus que ça, mais à l’époque, je n’ai pas insisté. Les soins ont pu se faire à domicile, j’ai donc profité de chaque moment du quotidien: je déjeunais au bout de son lit, je travaillais sur mon ordinateur à côté de lui quand il dormait, je répondais à ses demandes, qui n’étaient pas très nombreuses. Il mangeait peu, mais je me rappelle lui avoir préparé des crêpes flambées à l’alcool d’orange presque quotidiennement… Et il me renvoyait en cuisine car ce n’était pas grillé comme il l’aurait fait (rires)”.

Laura: ensemble, c’est tout

Le papa de Laura est décédé à 66 ans, après un long combat contre le cancer. Elle a fait tout ce qui était en son pouvoir pour l’entourer jusqu’au dernier souffle.

“Mon papa et moi étions plutôt proches. Il était hyper gentil, très doux, passionné. On s’appelait régulièrement et on se voyait souvent. Il était là pour nous, surtout dans le pratico-pratique: nous conduire à l’aéroport, monter un meuble… Ma sœur et moi nous rendions aussi disponibles pour lui. Quand il est tombé malade, on a encore été plus présentes. Le fait qu’il ait accepté et aimé qu’on l’épaule était positif: il n’était pas très connecté à ses émotions, plutôt du genre pudique.

Il a pu lire ma lettre, m’a dit ‘Merci beaucoup’, mais ne m’a pas vraiment fait de retour

Quand la fin approchait, il nous a dit des mots gentils, mais n’a pas partagé grand-chose par rapport à ce qu’il se passait pour lui intérieurement. C’était compliqué pour lui de parler de ses émotions. Pour moi aussi d’ailleurs, ça aurait été très très dur. Du coup, je lui ai écrit une lettre pour lui expliquer à quel point je trouvais ça injuste tout ce qui lui arrivait, à quel point j’étais triste; pour lui dire tout ce qu’il m’avait apporté aussi, partager des souvenirs de mon enfance, de bons moments passés ensemble…

Il a pu la lire, il m’a dit ‘Merci beaucoup’ mais ne m’a pas vraiment fait de retour… J’aurais espéré que ça ouvre la porte à un échange, mais c’était peu avant son entrée aux soins palliatifs, alors il était peut-être un peu dans le déni. Au-delà des émotions, il y avait toute la difficulté à gérer la maladie en tant que telle.

Collés-serrés dans le canapé

Ça m’a fait du bien de lui dire, de lui écrire, c’était important pour moi de le faire, mais au fond, ce n’était pas tellement le fait de dire les choses qui primait à ce moment-là, mais bien d’être ensemble, d’être dans le toucher. On a eu beaucoup de chouettes moments avant qu’il ne parte: on se donnait la main, je lui lisais un livre, on se faisait un câlin. Ça faisait du bien! On se louait des films, ma sœur, lui et moi qu’on regardait tous collés dans le canapé. Des moments de qualité qui ne demandaient pas d’efforts. Pour personne, mais surtout pas pour lui car tout devenait de plus en plus compliqué. Nos confidences se sont aussi nichées ailleurs que dans les mots”.

Charlotte: l’inclure dans le futur

Le papa de Charlotte est décédé en avril 2023 d’un cancer, après 18 mois de combat. Avec ses frères et sœurs et sa maman, ils ont pu profiter de lui jusqu’à la fin.

“Il y a quelques années, mon grand-père est décédé d’un cancer, et j’ai le sentiment d’avoir tout fait de travers: ne pas avoir réalisé l’ampleur de la maladie, ne pas l’avoir vu ou encouragé assez, ne pas avoir su quoi lui dire, ne pas lui avoir posé assez de questions sur sa vie. Quand j’ai appris la maladie de mon papa, j’ai eu besoin de faire les choses différemment. Mon père n’était pas du style à s’épancher sur ses sentiments, mais surtout, il n’acceptait pas l’idée de mourir à 59 ans. Lorsqu’on lui posait des questions, il nous répondait presque toujours ‘Arrête, je suis pas encore mort!’.

Le rassurer, parler d’un bébé

J’avais lu quelque part ‘qu’on meurt comme on vit’ et ça a fait tilt. C’est là que j’ai changé de tactique et que j’ai décidé de partager ma vie avec lui, au lieu de lui soutirer des infos. D’une part, j’avais envie de le rassurer, en lui disant que j’allais bien. J’ai profité d’un moment serein pour lui montrer un peu mon travail, lui raconter comment se passaient mes journées et lui glisser que j’adorais mon job et que j’étais très heureuse, dans la vie aussi. C’était important qu’il sache avant de partir que tout allait bien pour moi, pour qu’il ne s’inquiète pas. D’autre part, j’ai ressenti le besoin de lui parler de choses qu’il ne connaîtrait probablement pas: il aurait rêvé d’avoir des petits-enfants. N’étant pas maman, j’ai utilisé un prétexte bidon pour engager la conversation, avec ma sœur, sur les prénoms que j’aimerais donner à mes enfants. C’était un moment de partage qui nous a permis de discuter, de blaguer, de savoir ceux qu’ils aimaient. Et surtout, c’était ma manière de l’inclure dans un futur où il ne serait pas. Pour lui, mais au fond, pour moi.

J’ai ressenti le besoin d’évoquer des moments qu’il ne connaîtrait pas

C’était aussi important de partager des bons souvenirs de voyages comme des moments ‘bateau’ (il était nul en cuisine mais nous faisait des pizzas chaque vendredi) pour qu’il sache, même si ce n’était pas dit clairement, que j’étais reconnaissante de cette vie qu’il m’avait donnée, et que je l’aimais. Au final, je trouve que les choses simples comptent autant que les grandes déclarations et les effusions d’émotions”.

Julie: une force d’esprit

Le papa de Julie a appris qu’il était atteint d’une tumeur au cerveau en janvier 2023, suite à une hospitalisation en urgence. Il est décédé 8 semaines plus tard. Si sa sœur a rapidement eu conscience qu’il était condamné, Julie a mis plus de temps à l’accepter.

“Ma relation avec mon père a toujours été très forte. C’était mon meilleur ami: on se comprenait, même dans nos différences de points de vue. Je pouvais anticiper n’importe quelle réaction, même celles que personne ne comprenait, je pouvais lire entre les lignes, comprendre ce qu’il ressentait, même s’il était trop pudique pour l’exprimer. On était passionnés et animés par les mêmes choses, on aimait le jeu du débat, on riait des mêmes situations, on partageait la même curiosité.

La meilleure version de moi-même

Dans tous mes grands passages de vie, il était là. Quand j’étais perdue, il avait toujours cette petite phrase qui donne à réfléchir, qui me permettait de rebondir ou de m’apaiser. Aujourd’hui, ce qui renforce cette sensation de vide, c’est d’avoir perdu la personne avec qui j’étais la meilleure version de moi-même. Depuis que je suis jeune, je suis consciente que cette épreuve serait la plus douloureuse de ma vie, avec cette peur que je ne m’en remette jamais. Mais l’humain est doué d’une résilience extraordinaire…

Sa fierté de père

Avant sa première opération, il luttait pour garder son rôle de père, pour ne me pas montrer son stress ou ses inquiétudes, malgré la fatigue. Mais quelques heures après l’opération, il a fait un AVC qui l’a paralysé de la moitié du corps. Au début, il n’acceptait que l’aide de ma belle-mère. Mais un jour, je me suis retrouvée seule avec lui dans sa chambre quand le plateau-repas est arrivé. Je lui ai donné sa soupe à la cuillère, j’ai ressenti toute sa colère intérieure, il ne m’a d’ailleurs pas regardée dans les yeux une seconde. Ça m’a fendu le cœur.

Au fil des jours, il a doucement abandonné sa fierté avec moi. Il me laissait prendre soin de lui: j’ai appris à le relever dans son lit, à lui donner à boire, à lui masser le pied… Ce sont des moments qui peuvent paraître tristes, mais ça a amené notre relation à un niveau supérieur. Je ne me savais pas capable d’une telle force d’esprit et d’un tel amour inconditionnel. Alors qu’au début, je pouvais à peine regarder sa partie paralysée, à la fin, j’aurais pu faire n’importe quoi pour le soulager. Lui a abandonné sa fierté de papa, ça m’a tellement touchée…

Surtout, qu’il parte serein

Entre l’annonce de sa tumeur, ses opérations et son décès, il n’y a malheureusement eu que huit semaines. Il a eu un passage dépressif quand il a compris que sa paralysie ne serait pas temporaire. Un jour, il m’a parlé de ma relation avec ma mère, m’a dit que je devais intensifier le lien, que c’était important. Il m’a aussi répété plusieurs fois qu’il fallait que je rencontre un homme sûr de lui, qui saurait vraiment prendre soin de moi. Ce jour-là, j’ai pleuré tout le trajet du retour. D’abord parce que j’ai compris qu’il commençait à perdre espoir, mais surtout parce que ma pire crainte était qu’il ne puisse pas partir serein, qu’il stresse pour moi ou n’importe qui d’autre. La fois suivante, je lui ai dit de ne pas s’inquiéter, que je n’avais pas besoin d’homme dans ma vie, que j’avais appris à me gérer seule et que c’était bien plus sécurisant que de dépendre de quelqu’un. Il a fait semblant d’acquiescer; j’espère avoir fait germer cette idée dans son esprit.

On a pris le pli de se prendre la main et de ne pas se lâcher jusqu’à la fin des visites

Avec mon père, malgré notre relation très proche, on ne s’est jamais dit ‘Je t’aime’ de vive voix ni beaucoup pris dans les bras. Les deux dernières semaines de sa vie, la pression dans son cerveau était de plus en plus forte, il subissait beaucoup d’épisodes ‘d’absence’, où il ne voyait plus bien qui était dans la pièce, où il disait des phrases incohérentes.

La veille de sa deuxième opération, je suis venue seule à l’hôpital. Il était dans un tel état de fatigue que je suis restée à côté de lui sans m’annoncer. Quand j’ai voulu lui remettre ce bracelet qui lui comprimait le poignet, il a attrapé ma main… et ne l’a plus lâchée. Les jours qui ont suivi, on avait pris le pli de se prendre la main tout de suite quand j’arrivais et de ne pas se détacher jusqu’à ce que les visites soient terminées. Je regardais cette main dans la mienne pendant des heures en prenant le soin de bien enregistrer l’image, je savais que je vivais un moment d’amour auquel me raccrocher quand il ne serait plus là”.


Faut-il tout dire et comment?

Il y a les regrets qu’on ne veut pas avoir, mais la nature de la relation aussi, qui ne permet sans doute pas toutes les confidences…

Élise: “Je suis triste de ne pas connaître mon papa aujourd’hui car je suis certaine que notre relation aurait évolué et se serait renforcée. Ce qui me manque le plus, c’est de le serrer dans mes bras. J’en rêve la nuit, ça fait tellement de bien d’être blottie contre son papa, de sentir son amour, sa chaleur, sa présence bienveillante! Avant qu’il ne soit trop tard, prenez cette dose d’amour et donnez-en. Contrairement à un accident soudain, dans le cas d’un cancer, on peut dire au revoir et prendre le temps de bien faire les choses. Même si ce sont des petits gestes, ils resteront précieux. Plutôt que d’attendre des funérailles, il faut dire ce qui est important tant qu’il est temps. En fonction de qui l’on est et du lien, bien sûr…”

Charlotte: “N’ayez pas trop d’attentes. C’est se mettre la pression, et c’est la dernière chose dont on a besoin dans ces moments-là, surtout que peu de choses dépendent de nous. Je crois qu’au fond, les petites choses de la vie quotidienne sont clés, et je trouve que ce sont celles qui manquent le plus une fois la personne partie. Il faut faire en sorte de dire ce qu’on a sur le cœur, sans négliger les détails qui paraissent anodins: parler du sport qu’il aime, de ses chansons préférées, de cuisine…”.

Entre le va-et-vient des infirmières, la maladie qui peut altérer les pensées, beaucoup d’éléments bien réels peuvent entacher ces échanges fantasmés

Julie: “Rien ne sert de se forcer à développer un lien. Peu importe si le prétexte est une fin qui approche, ne vous obligez à rien et ne vous reprochez pas de ne pas dire ou faire quoique ce soit, c’est la pire condamnation à s’infliger. Inutile d’ajouter de la tragédie à la tragédie. Si vous le pouvez, passez un maximum de temps avec votre parent, racontez-lui des souvenirs et entamez des conversations plus profondes s’il reste des inconnues. Mais sans imaginer la conversation qu’on a toujours espérée, sans attendre une réponse en particulier, au risque d’être déçu(e). Entre le va-et-vient des infirmières, la maladie qui peut altérer les pensées, la lourdeur de la situation, beaucoup d’éléments bien réels peuvent entacher ces échanges fantasmés”.

Laura: “Je dirais que chacun doit faire comme il le sent, mais écrire, même pour soi, fait du bien. Quand je me projetais en train de parler à mon papa, j’étais en larmes, et pourtant, j’avais envie de lui exprimer tout ça. La lettre, pour moi, était le bon choix”.

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