Non, les femmes enceintes ne pleurent pas pour rien
La plupart des femmes enceintes vous le diront: la grossesse exacerbe les émotions. Du film devant lequel on pleure comme une madeleine à la remise en question générale, porter la vie semble chambouler la nôtre. Pourquoi?
Même si certaines femmes deviennent de véritables bouddhas lorsqu’elles attendent un bébé, la grossesse amène le plus souvent son lot de questionnements et de doutes. Parfois superficiels, parfois profonds, ils peuvent interpeller voire inquiéter. “Rien de plus normal, estime Christine Henderickx, psychologue spécialisée en périnatalité. La grossesse est une période de transition, qui peut être associée à une crise maturative. Le cerveau doit s’adapter à cette phase transitoire et cela lui demande beaucoup d’efforts en même temps. Ça chamboule, et c’est normal. Des crises maturatives de ce type, on en vit plusieurs dans notre vie de femme, la puberté ou la ménopause en sont d’autres”.
Pas qu’une question d’hormones
Le point commun entre ces transitions? Elles s’accompagnent d’une modification hormonale. “Le corps, physiologiquement, s’appuie sur ces fluctuations pour ressentir le changement et l’intégrer. Ce qui ne veut pas dire que les hormones sont l’unique cause des bouleversements que peuvent connaître la femme enceinte. Les raisons sont multiples”.
Sur le fil
Dans la liste des autres causes de cette hypersensibilité, la pression. “La femme enceinte peut subir beaucoup de stress, poursuit Christine Henderickx. Aujourd’hui, on choisit généralement nos grossesses. Les enjeux autour de la maternité ont donc changé par rapport à autrefois. Ils sont notamment: la peur de la fausse couche au premier trimestre, le suivi de la grossesse, le sentiment de responsabilité”. La psychologue poursuit: “La femme enceinte a tous les regards posés sur elle. On vérifie si elle boit de l’alcool, si elle fume, si elle se drogue, si elle mange bien, si elle se bouge un peu, mais pas trop! Dans ce laps de temps très court, elle est l’objet de beaucoup d’attentions, et qui ne sont pas toujours bienveillantes. Il n’est pas étonnant d’être plus sensible dans ce contexte”.
Une nouvelle identité
“Mais se sentir fébrile pendant la grossesse ne veut pas dire qu’on est fragile. En réalité, cette vulnérabilité offre des réaménagements intrapsychiques intéressants. Énormément de femmes enceintes consultent. Parce qu’elles sentent que quelque chose leur échappe dans leur identité de femme. Elles savent aussi que cet état est temporaire, et qu’après elles risquent d’être occupées autrement.”
Être enceinte, c’est aussi changer de vision sur son propre corps, qui devient temporairement le “vaisseau” du bébé. Un processus aussi merveilleux que perturbant. “Pour la femme, la grossesse engendre une modification mécanique et physique visible. Elle ne peut pas nier cet état ni l’enfant qui va venir. Elle est prête à faire certains sacrifices, comme la liberté de son corps à soi. Mais aussi, elle anticipe, se prépare, se projette…”
Parmi ces réaménagements intrapsychiques, certains vont perdurer, d’autres non
Hormones ou pas, ces paramètres sont bien présents. “C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles beaucoup de femmes repoussent l’âge de la maternité, estime Christine Henderickx. Parce qu’elles savent que quelque chose va leur échapper, même si elles ne savent pas encore quoi, ni ce qu’elles ont à y gagner.”
Garder les pieds sur terre
“Pour la future maman, cette période peut donc faire office de bilan de vie. Surtout lors d’une première grossesse. Elle se demande: est-ce le bon moment? Est-ce j’ai accompli suffisamment de choses dans ma vie? Est-ce que je suis suffisamment bien dans ma peau? Mon partenaire est-il vraiment celui avec lequel je veux un enfant? Est-ce que la répartition des tâches sera juste? Une histoire pas vraiment réglée avec un ex, une rêverie qui restait… la grossesse va indéniablement clôturer le fantasme de l’adolescence”, décrit la psychologue.
Mais est-ce vraiment le bon moment de se plonger dans une crise identitaire? “Disons qu’il n’est pas forcément bon d’opérer de grandes révolutions dans cette période, car elle est transitoire”, explique la psychologue. “Parmi ces réaménagements intrapsychiques, certains vont perdurer, d’autres non. Il peut aussi s’agir de lubies, qu’elles soient alimentaires, ou plus profondes comme l’envie d’acheter un nouvel appartement par exemple.”
Les prémices de la parentalité
Pour la psychologue, s’interroger n’a toutefois rien de néfaste, bien au contraire. Cela ferait même partie intégrante du rôle de parent. “Un bon parent n’est pas celui qui a trouvé la réponse, mais celui qui accepte de se questionner toute sa vie. Il ne faut pas nier qu’avoir un enfant crée un changement. Mais changement ne veut pas dire détresse ou problème! Cela veut dire transformation. Et je pense que plus on anticipe, moins on a de soucis à l’arrivée.”
Changement ne veut pas dire détresse ou problème! Cela veut dire transformation
“Se remettre en question, je trouve ça positif, affirme la psychologue. Car cela garantit qu’on est prêts à s’adapter. Quand on devient parent, on développe notre souplesse d’esprit dans toutes les sphères de notre vie”, poursuit la psychologue.
L’apogée de la féminité?
Mais alors, comment expliquer que certaines femmes vivent la grossesse de manière plus sereine que d’autres? Déjà, parce que “les manifestations et les revendications des femmes ne sont pas les mêmes selon qu’elles soient entourées, qu’elles aient plus ou moins anticipé, qu’elles aient un budget, du soutien, ou pas”, explique la psychologue.
“Et puis, la grossesse comble certaines femmes parce que cette période peut être hyper rassurante pour celles qui ne se sont pas définies autrement que comme des candidates à la maternité. Elles se sentent alors à l’apogée de leur féminité. Pour celles qui ne se résument pas à ça ou qui ne sont pas sûres d’être aussi bonnes dans leur rôle de mère que dans leur rôle social ou professionnel, ce n’est pas la même chose.”
De mère en fille
Enfin, “une grossesse renvoie aussi à notre rapport à notre propre mère”, explique Christine Henderickx. “Il est difficile d’éviter de se confronter à notre maman lorsqu’on est soi-même enceinte. Et si ce lien est compliqué, cela peut avoir un impact sur notre grossesse. Il est d’ailleurs très fréquent qu’une femme enceinte rêve de sa mère, de sa grand-mère… Parce que c’est la lignée maternelle. Elle se demande ce qu’elle gardera et ce qu’elle laissera de cet héritage.”
Pour une femme, attendre une fille est aussi différent qu’attendre un garçon, nous explique la psychologue. “Parce qu’avoir une fille confronte davantage à la question de la féminité, de la filiation avec la mère justement”.
Elles en parlent
Mathilde, Julie et Elise reviennent sur leurs états d’âme de femme enceinte.
Mathilde, rêves et bilan de vie
“Pendant ma grossesse, ma grand-mère revenait sans cesse dans mes rêves”, confie Mathilde, maman d’une petite fille. “Il faut dire que j’ai appris que j’étais enceinte quand elle était en fin de vie. J’avais fait deux fausses couches avant, elle était au courant. Elle m’appelait souvent pour voir comment j’allais, elle me disait qu’elle priait fort pour moi… J’ai pu lui annoncer ma grossesse sur son lit de mort, et ça m’a fait du bien.”
“Pour moi, les cinq premiers mois de grossesse en particulier ont été synonymes d’un vrai bilan de vie, poursuit-elle. Je remettais en doute certaines valeurs, centres d’intérêts ou même mes amitiés. Il y a des relations dans lesquelles j’ai eu envie de dépenser moins d’énergie et d’autres où, au contraire, j’ai eu envie de m’investir davantage, parce qu’elles me correspondaient plus.”
Julie, hantée par ses ex
“Enceinte, j’ai rêvé de tous mes ex. L’un après l’autre, ils défilaient la nuit, parfois dans des scénarios un peu fantasmés, parfois conflictuels ou sans queue ni tête. Même des histoires que je considérais mortes et enterrées sont revenues à la surface, sans que je comprenne trop pourquoi”.
Élise, des sanglots inarrêtables
“Autour du 6e mois de grossesse, je me suis mise à remettre en question des choses qui étaient pourtant bien établies pour moi: est-ce que j’allais tenir le coup? Est-ce que le manque de sommeil allait me transformer? Est-ce que mon couple serait suffisamment fort pour s’adapter à un tel changement? Ces questions m’ont rendue très vulnérable, et me plongeaient dans des vagues de tristesse. Pendant quelques semaines, j’ai pleuré plus que d’habitude, je me sentais tout à coup prise par des sanglots inarrêtables”.
Je me suis mise à remettre en question des choses qui étaient pourtant bien établies pour moi
À force d’extérioriser et d’en parler avec son conjoint et ses amies, elle s’est sentie mieux. “Je pense que j’ai trouvé des réponses qui m’ont permis d’envisager la suite de ma grossesse plus sereinement”.
Vous êtes dépassée par vos émotions?
Si la grossesse vous rend très sensible, voici trois moyens de vous apaiser:
- Parlez. À votre partenaire, à une personne de confiance ou encore à un(e) professionnel(le) (psychologue, sage-femme…) qui pourra vous prêter une oreille attentive. Ne restez pas enfermée dans vos pensées si elles vous rendent triste ou vous stressent.
- Prenez soin de vous. La grossesse prend de l’énergie et c’est normal: vous êtes en train de fabriquer un être humain! Alors c’est le moment de faire fi des attentes extérieures et de vous mettre en priorité. Reposez-vous, nagez, offrez-vous un soin, lisez un bouquin…
- Trouvez votre porte de sortie. Quand nos émotions débordent, il suffit parfois de sortir se balader, de respirer calmement ou encore d’écrire nos pensées dans un carnet pour y voir plus clair.
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