embauche entretien
Samira Rozaine, consultante en stratégie RH, a répondu à nos questions. © Doc. privé

Témoignages: ces questions sexistes posées en entretien d’embauche

Légalement, interroger la vie privée d’un(e) candidat(e), sans lien direct avec la fonction vacante, est interdit. Dans la réalité, les questions déplacées sont encore monnaie courante!

Il n’a pas fallu qu’on cherche bien loin pour trouver des témoins dans le cadre de notre dossier sur les discriminations à l’embauche. Les questions d’ordre privé n’ont en effet pas disparu des bureaux des RH et des boss, qu’ils soient hommes ou femmes.

Bébé non admis?

Cinq femmes nous racontent comment les recruteurs ont dépassé les bornes, selon elles.

Gwendaëlle, 35 ans: “Quand j’avais 26 ans, j’ai participé à un processus de recrutement pour devenir cheffe de projets dans une ASBL. Environ 200 candidats avaient postulé. La première étape de sélection était un test écrit, que j’ai très bien réussi. Nous n’étions plus que douze au dernier round, une rencontre avec les recruteurs. Mon entretien s’est super bien passé, mon profil correspondait à ce qu’ils recherchaient, je cochais toutes les cases. Pour finir, ils m’ont posé deux questions: ‘Comptez-vous vous marier?’ et ‘Avoir des enfants prochainement?’. Étant honnête, j’ai répondu que je me mariais dans deux mois, et que, oui, je désirais devenir maman. Je n’ai pas été prise pour le job. Je connaissais personnellement une des quatre personnes qui avaient mené l’entretien oral, elle m’a dit qu’ils auraient voulu m’engager, mais qu’ils avaient préféré quelqu’un qui ne prévoyait pas d’avoir un enfant, car ils ne pouvaient pas ‘se le permettre financièrement’. Moi qui pensais que le milieu associatif était humain, je suis tombée de haut. Aujourd’hui, je suis entrepreneure et maman de deux filles”.

Maddie, 27 ans: “Mon patron actuel m’a demandé lors de notre rendez-vous si j’étais atteinte d’endométriose parce que, je cite, ‘une ancienne employée en souffrait et était souvent absente’. Ultra-personnel et franchement discriminatoire”.

Lucy, 28 ans: “Il y a un an et demi, j’ai postulé à un job que je trouvais hyper intéressant. L’entretien avec la directrice s’est bien passé jusqu’à ce qu’elle précise, en souriant: ‘Rassurez-moi, vous ne voulez pas d’enfants tout de suite?’. Je ne sais plus ce que j’ai répondu, mais je me rappelle m’être sentie coincée! Quelques jours plus tard, la dame m’a rappelée, elle souhaitait m’embaucher. Elle a déroulé le tapis rouge pour que j’accepte, m’offrant un job sur mesure… mais j’ai refusé. J’accorde trop d’importance à l’ambiance de travail et cette courte remarque en disait long sur sa mentalité. Je suis devenue maman peu de temps après. Si j’avais été engagée, quel stress j’aurais eu de lui annoncer ma grossesse”.

Les maris, on les connaît, ils ont des réunions qui s’éternisent…

Sarah, 36 ans: “J’ai deux filles de 4 ans et 6 ans. Il y a quelques mois, j’ai passé un entretien pour travailler dans le département Communication d’une entreprise belge de grande distribution. Deux hommes d’une quarantaine d’années m’ont interviewée. Lors de notre discussion, ils m’ont demandé comment j’allais me débrouiller pour aller chercher mes enfants tous les jours à l’école. Je précise que je ne leur avais pas dit que j’étais maman, ils avaient sûrement dû checker mon profil Facebook avant de me rencontrer. J’ai trouvé la question un peu déplacée mais je leur ai répondu poliment que je m’organiserais avec mon mari. Ce à quoi l’un d’eux a rétorqué: ‘Oui mais les maris, on les connaît, ils ont des réunions qui s’éternisent!’. Cette phrase m’a mise hors de moi. Je suis persuadée qu’ils n’auraient jamais interrogé un homme sur son organisation familiale dans le même contexte. Finalement, j’ai été engagée… et je me suis enfuie au bout de deux jours. J’aurais dû me fier à mon instinct, cette société était vieux jeu à tous les niveaux, j’avais senti que ça ne matcherait pas”.

Catherine, 30 ans: “Lorsque je cherchais un job en sortant de mes études, des questions d’ordre personnel du style ‘Voulez-vous des enfants’? m’ont souvent été posées lors d’entretiens. Plus jeune, je n’osais jamais répondre la vérité, de peur que ça me porte préjudice. Je répondais que la maternité ne faisait pas partie de mes plans. Aujourd’hui, j’ai pris de l’assurance. J’ai 30 ans, un enfant de 2 ans, et oui, je voudrais un deuxième. Je pars du principe que si on me pose la question, c’est louche. J’ai même pris le pli de mentionner sur mon CV que je suis maman. Si ça bloque un recruteur dès la lecture de ma candidature, c’est que ce n’est pas une boîte pour moi. J’ai besoin d’ouverture d’esprit et de collaborer avec des gens flexibles qui comprennent que la vie ne se résume pas au travail. Grâce à mon filtre, je suis convoquée à des entretiens qualitatifs. Et récemment, j’ai trouvé un job dans lequel je me sens évaluée à ma juste valeur”.

4 questions à une experte RH

Samira Rozaine est chasseuse de têtes, consultante en stratégie RH et Talent Management, coach carrière/business, professeure en GRH à la Haute École Francisco Ferrer et chargée de projets sur les sujets de discrimination à l’embauche et insertion socio-professionnelle au sein de l’ASBL CIProC.

Vous ne devez aucune vérité sur des sujets qui ne concernent que vous!

D’un point de vue légal, est-il autorisé de poser des questions privées lors d’un entretien (projet bébé, organisation familiale, santé…)?

“Des questions d’ordre privé ne peuvent pas être posées, à moins qu’elles soient pertinentes pour la fonction. Dans ce cas, l’obligation d’information et de bonne foi implique que le candidat y réponde. Il peut être compréhensible que des questions soient posées en lien avec l’organisation privée pour s’assurer au mieux de la présence et l’investissement du collaborateur. Malheureusement, en pratique, je constate que ce type de question reste systématiquement destinée aux femmes/mères et très rarement, voire jamais, aux hommes/pères. C’est une réalité qui continue de me surprendre car elle ne se calque pas sur l’évolution de notre société. Certains recruteurs sont très à l’aise dans l’exercice de la discrimination. Ils n’hésitent pas à interroger également des points de vue politiques, des pratiques religieuses, et j’en passe! C’est parfois tellement grotesque que les multiples exemples entendus/vécus m’ont motivée à devenir professeure en Haute École. À défaut de changer certaines mentalités existantes, ma mission est de m’adresser aux recruteurs de demain, notamment en les sensibilisant aux enjeux de la discrimination et au respect indéniable à porter à la personne derrière le CV”.

Que répondre à ce genre de questions personnelles?

“Il y a deux réactions instinctives: soit on répond, même en ressentant un malaise, soit on s’y refuse, souvent en se braquant. Si une question d’ordre privé, sans aucun rapport avec la fonction, est soulevée, le candidat n’est pas dans l’obligation d’y répondre. Je vais probablement en interpeler plus d’un, mais mentir est une option envisageable car refuser de répondre pourrait jouer en votre défaveur et aboutir à un non-engagement. À travers les années, j’ai remarqué que les postulants avaient le sentiment de devoir la vérité absolue aux employeurs. Or, vous ne devez aucune vérité sur des sujets qui ne concernent que vous! Le mensonge a, par définition, une connotation négative liée à la trahison. Il est important de s’en défaire. Il ne s’agit pas ici de mentir sur des compétences, un diplôme ou des formations, ce qui serait bien entendu très grave, mais de se réapproprier sa réalité dès lors qu’elle n’a rien à voir avec la fonction”.

Doit-on dire si l’on est enceinte lors d’un processus de recrutement?

“La candidate n’est pas dans l’obligation de mentionner une grossesse. Poser cette question alors qu’elle n’est pas justifiée par l’exercice de la fonction est considéré comme discriminatoire. Ceci dit, même lorsque le secteur d’activité est un secteur à risque, il n’y a pas d’obligation de le dire. Il reviendra au médecin du travail de poser la question. Ici, néanmoins, la question de la bonne foi peut être soulevée car si l’employeur l’apprend après engagement, cela pourrait nuire à la relation de confiance. Il revient donc à la candidate de juger si, au vu de sa situation, il est pertinent de le mentionner ou non”.

Comment réagir si l’on est victime de discrimination à l’embauche?

“Ne vous dites surtout pas que porter plainte ne servira à rien. Même si une discrimination n’est pas facile à prouver, il faut absolument lutter contre ce genre d’injustice. Il y a possibilité, si vous êtes syndiqué(e), de se faire accompagner. Vous pouvez agir seul(e) ou avec le soutien d’associations ou institutions. La voie civile est à privilégier car il y a possibilité d’introduire une action en cessation pour stopper la discrimination. La charge de la preuve est dès lors partagée: lorsque la personne discriminée invoque des faits qui laissent présumer la discrimination, l’employeur devra prouver le contraire”.

Le compte est bon
Retrouvez Samira sur son compte Instagram riche en bonnes infos: @rozaine_consulting.

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