
Parole de papa: “Je fais une dépression post-partum”
Corentin, 35 ans, est papa de jumeaux de 15 mois. Depuis leur naissance, il traverse une dépression post-partum. Entre fatigue extrême, solitude et pression sociale, il témoigne de son parcours et des difficultés rencontrées en tant que père.
“Avant la trentaine, je n’ai jamais ressenti l’envie d’avoir des enfants. Mais en voyant mes amis devenir parents, j’ai commencé à me dire que je passais peut-être à côté d’une belle aventure. Plus je voyais les autres avancer autour de moi, plus je me sentais à la traîne et malheureux. Puis, à 31 ans, j’ai rencontré Carole. Nous avons pris le temps de nous connaître avant d’évoquer l’idée d’avoir des enfants. Ce n’était pas un projet immédiat, et honnêtement, je n’étais pas particulièrement informé sur la parentalité. Mais à partir du moment où l’on s’est dit qu’on allait essayer d’avoir un bébé, cela a été très vite! Je pense que si cela avait pris plus de temps, j’aurais pu m’informer davantage, me préparer et faire le deuil de ma vie d’avant, cela aurait peut-être été différent, j’aurais peut-être éviter la dépression…
La grossesse s’est pourtant déroulée à merveille. Nous avons suivi une belle préparation à l’accouchement, qui m’a permis de me sentir impliqué, serein et confiant dans ce rôle de futur père. J’étais enthousiaste, heureux, persuadé que nous allions vivre une aventure extraordinaire. En plus, nous allions avoir des jumeaux!”
L’impression d’avoir été trahi
“L’accouchement lui-même a été difficile à vivre. On m’avait vendu un moment magique, inoubliable. Mais c’était surtout extrêmement stressant. Par contre, les premiers jours, à la maternité, nous étions comme sur un petit nuage, entourés de sages-femmes. Comme Carole a eu quelques complications, nous y avons passé 12 jours. Quand il a fallu rentrer à la maison, mon congé de paternité était terminé et j’ai dû directement reprendre le travail. Un choc.
La réalité m’a frappé de plein fouet. Ce qu’on m’avait raconté sur la parentalité – ces phrases toutes faites du type ‘C’est dur mais ça en vaut la peine’, ‘Tu verras, quand ce sont les tiens, ce n’est pas la même chose’ – me semblait soudainement terriblement faux. Tous les discours que j’avais entendus étaient édulcorés par rapport à la réalité, que je vivais comme un enchaînement de contraintes et de corvées. J’ai eu l’impression qu’on m’avait menti. Chaque nuit, les pleurs, les maladies, les cris incessants m’épuisaient. Je les entendais crier et je me sentais vide, incapable de me lever. Je ne prenais aucun plaisir à m’occuper d’eux et quand j’avais terminé le travail, je n’avais aucune envie de rentrer à la maison”.
Une pression immense
“J’ai vite ressenti une pression énorme liée à mon rôle de père. Dans ma famille, comme dans beaucoup d’autres, les pères étaient peu impliqués. Mon propre père ne s’est jamais occupé de moi, et son père avant lui encore moins. Pourtant, aujourd’hui, on attend des papas qu’ils prennent une place égale à celle des mères. Je voulais être ce père-là, pleinement engagé, faire du 50-50 avec Carole. Mais cette pression était trop forte. J’avais le sentiment d’avoir sur mes épaules le poids de toutes les générations avant moi, comme si je devais briser une chaîne de négligence. En discutant avec mon père durant la grossesse, il m’a avoué, les larmes aux yeux, qu’il regrettait de ne pas s’être investi davantage. Cela a ajouté à ma culpabilité: je ne voulais pas reproduire ce schéma, je devais être à la hauteur.
J’ai dû me battre pour que la crèche cesse d’appeler uniquement leur maman…
Dès la naissance, j’ai ressenti une forme d’exclusion. Tous les conseils, les fascicules, les accompagnements étaient destinés aux mères. J’ai dû me battre pour que la crèche cesse d’appeler uniquement Carole pour les questions concernant nos enfants. Aujourd’hui encore, quand on va les rechercher à la crèche, les puéricultrices ne parlent qu’à ma compagne.
Le congé de paternité est beaucoup trop court et lorsque j’ai demandé un congé parental en 4/5, il m’a été refusé parce que trop de femmes dans l’entreprise en bénéficiaient déjà. À chaque étape, j’avais l’impression de devoir militer pour exister en tant que père.”
L’aide d’une psy
“Mais au-delà de ces obstacles, c’est le quotidien avec des jumeaux qui m’a fait sombrer dans la dépression post-partum. Je ne connaissais aucun père dans mon entourage qui avait des jumeaux ou qui s’occupait autant de ses enfants que moi. Je n’ai donc jamais pu en parler à un autre père, d’égal à égal, et ce sentiment de solitude est difficile à gérer. Je trouve qu’il est aussi plus difficile de créer un lien avec ses enfants au début, en tant que père, contrairement aux mères qui portent leur bébé.
Petit à petit, je me suis laissé aller. Je ne faisais plus attention à moi. Ma mère m’a un jour fait remarquer mon état physique alarmant. C’est à ce moment-là que j’ai consulté mon médecin traitant. Il a été d’une grande écoute, comme un psy. Après plusieurs séances, il m’a dirigé vers une psychologue qui m’a proposé des stratégies pour reprendre pied: prendre une douche et mettre de beaux vêtements en rentrant du boulot, sortir une fois par semaine, retrouver des moments pour moi. Cela n’a toutefois pas suffi. J’ai commencé un traitement antidépresseur, mais au bout de quelques mois, il a provoqué des pensées suicidaires. J’ai pris conscience que ce n’était pas normal et j’ai demandé à voir une psychiatre.
Après de longues recherches et des délais interminables, j’ai finalement trouvé une spécialiste qui m’a prescrit un autre traitement. Elle soupçonne aussi un trouble de l’attention (TDA) chez moi, quelque chose qui aurait toujours été là et qui expliquerait peut-être pourquoi je vis si mal cette situation.”
Un couple soudé
“Je sais que je suis un bon père. Je n’ai jamais fait ressentir à mes enfants le poids que je porte. Ils me courent dans les bras dès que je rentre à la maison, et je suis là pour eux. Mais je ressens une immense frustration, une perte de liberté qui me pèse. J’ai parfois l’impression d’avoir perdu ma vie d’avant et de ne pas parvenir à faire le deuil pour embrasser pleinement celle d’aujourd’hui.
Heureusement, ma compagne a été d’un soutien sans faille. Elle m’a écouté, sans jamais me juger, même quand je lui disais que je détestais ma vie. Ce qui a été le plus dur pour elle, c’est lorsque j’ai parlé de mes pensées suicidaires. Elle n’osait plus me laisser seul à la maison, si je partais trop longtemps au grenier, elle venait vérifier si je n’étais pas passé à l’acte. J’ai eu vraiment envie de disparaître quelquefois, je me dissociais. Je regardais des photos de ma famille pour ne pas perdre pied.”
“Ce sera plus facile…”
“Beaucoup m’ont dit ou me disent encore: ‘Tu verras, quand ils ne prendront plus le biberon, ce sera plus facile, quand ils marcheront ce sera plus facile…’ À chaque fois, ça s’est avéré faux, c’est de pire en pire à mes yeux. J’essaie de ne pas trop espérer par peur d’être déçu, mais je garde un espoir: quand ils seront capables d’échanger, de communiquer, peut-être que je ressentirai plus de plaisir à être père. Je comprends mieux les pères qui partent. L’envie de fuir est parfois immense. Mais je reste, malgré tout. J’avance, petit à petit.
Mon moment préféré? Celui où, après avoir couché les enfants, nous nous retrouvons, fiers d’avoir tenu bon!
Ce qui m’aide, c’est de me dire que j’ai fait ce qu’il fallait: j’ai cherché de l’aide, j’ai testé des solutions, et même celles qui n’ont pas fonctionné m’ont quand même permis d’avancer et d’être là où je suis aujourd’hui. Mais je veux rétablir une vérité: on peut très bien s’épanouir sans enfant. Il faut arrêter de croire que ne pas être parent, c’est rater sa vie. Je suis convaincu qu’il y a bien des façons d’être heureux.”
Et aujourd’hui?
“Le combat est encore long. Je ne suis pas guéri de cette dépression post-partum, mais je m’accroche. Je sais une chose: Carole et moi, nous sommes une équipe. Et même si cette épreuve est difficile, c’est ensemble que nous la traversons. Mon moment préféré de la journée? Celui où, après avoir couché les enfants, nous nous retrouvons tous les deux, fiers, malgré tout, d’avoir tenu bon.”
Le podcast à écouter
Histoire de Darons, animé par Fabrice Florent, explore chaque lundi la perception de la paternité à travers des discussions sincères avec différents pères. Dans l’épisode du 13 octobre 2024, Corentin partage son expérience personnelle en abordant sa dépression post-partum.
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