déni de grossesse
Les dénis de grossesse ne sont pas aussi rares qu'on le pense. © Getty Images

Témoignage: “Ma jeune fille au pair a fait un déni de grossesse”

Un matin, Jessica, maman de 3 jeunes enfants, tombe nez à nez avec… un bébé. Un petit qui n’est pas le sien mais celui de sa jeune fille au pair, qui ignorait être enceinte.

Lors de sa troisième grossesse, Jessica prend la décision de faire appel à Fanja, afin de les soulager, elle et son conjoint, pour l’arrivée de leur dernier bébé. Un choix qui les mènera à vivre une aventure déroutante… “Notre jeune fille au pair est arrivée en janvier 2020 de Madagascar. J’accouchais deux mois plus tard, au début du confinement. J’étais ravie de l’avoir accueillie, elle nous a super bien aidés les premières semaines! Mais un dimanche matin, les choses prennent une tournure étrange: en me réveillant, je remarque qu’elle m’a envoyé un message pendant la nuit, demandant de venir la voir quand on aurait un peu de temps, elle avait quelque chose à nous dire”.

Dans la chambre, la surprise!

Quand Jessica entre dans la chambre, Fanja est allongée sur son lit. “Elle m’explique qu’elle a fait une espèce de cauchemar pendant la nuit et qu’un bébé est arrivé! Ses mots résonnent dans ma tête, sans que je ne comprenne vraiment ce qu’elle me raconte… Alors elle s’écarte doucement. Et là, au milieu du lit, je découvre une toute petite chose vaguement emmitouflée dans un sweat à capuche. Ce bébé me semble incroyablement minuscule… Je suis tellement sous le choc que, sur le moment, c’est la seule chose qui me vient en tête, je suis abasourdie. Je saurai plus tard que Fanja était déjà enceinte de six mois quand elle est arrivée chez nous”.

Et là, au milieu du lit, je découvre une toute petite chose emmitouflée dans un sweat à capuche

Jessica reprend ses esprits et réalise que ce nouveau-né est là, à peine couvert, alors qu’on est en avril et que la fenêtre est ouverte: “J’ai l’impression qu’elle ne réalise pas du tout l’importance de la situation. Et en même temps, je la comprends, elle doit être tellement bouleversée! Je me dis qu’il faut vite appeler une ambulance, d’autant qu’elle m’explique avoir accouché il y a environ… dix heures! Je me pose un tas de questions: ‘Comment a-t-elle fait pour couper le cordon?’, ‘L’a-t-elle déjà nourri?’, ‘Est-il prématuré?’, ‘A-t-il besoin de soins?’. Tout se bouscule dans ma tête, j’ai les mains moites et je sens une montée d’adrénaline. J’appelle le Samu et explique la situation à mon mari”.

Jessica pose quelques questions à la jeune fille: “Je lui demande tout d’abord si elle a allaité son bébé. Elle me répond que cela ne fonctionne pas, alors je la rassure et lui dit que ça va aller, qu’il faut parfois un peu de temps. Mais j’attends les secours avec impatience et mon cœur bat la chamade”. Heureusement, l’ambulance arrive rapidement, embarquant le bébé et sa maman, direction l’hôpital.

Turlupinée

Quelques heures plus tard, Jessica reçoit un coup de fil de l’hôpital qui lui apporte de bonnes nouvelles: l’enfant va bien, hormis un léger manque de glucose. “Ce bébé que je trouvais si petit faisait 3kg, et était donc né à terme! Apparemment, elle avait coupé le cordon avec une paire de ciseaux… Ma gynécologue me dira plus tard que Fanja a eu beaucoup de chance, car le cordon doit se couper à un certain endroit et à un certain moment, que ce n’est donc pas si simple”. Seul hic: la jeune maman a été victime d’une déchirure pendant l’accouchement et il était impossible pour les médecins de la recoudre après tant d’heures.

Le duo hors de danger, Jessica pense alors à ses propres enfants, et se demande comment leur expliquer la situation: “Cette question m’a vraiment turlupinée. Finalement, je leur ai dit le plus naturellement du monde que notre jeune fille au pair avait eu un petit bébé, et curieusement, c’est passé assez facilement. Ma ‘grande’ de 4 ans m’a demandé si c’était un garçon ou une fille et comment il s’appelait, puis elle est passée à autre chose”.

Un vide juridique entoure cette naissance

Au-delà de la charge émotionnelle de l’aventure, Jessica doit gérer les conséquences administratives de ce déni de grossesse. “En tant qu’employeurs de Fanja, nous étions responsables d’elle et des frais qui incombaient à cette naissance. Mais nous avons subi un flou législatif: l’assurance ne voulait pas prendre en charge l’hospitalisation puisqu’il ne s’agissait ni d’un accident, ni d’une maladie. Nous étions aussi tenus de continuer à la loger, la nourrir et à payer son salaire. C’est un cas de figure unique, pour ainsi dire jamais vu! Nous avons dû faire énormément de démarches et remplir des tas de papiers pour Fanja, que ce soit pour la mutuelle, l’hôpital, les allocations sociales…”.

L’assurance ne voulait pas prendre en charge l’hospitalisation puisqu’il ne s’agissait ni d’un accident, ni d’une maladie

Le couple a bien pensé rompre son contrat, mais Fanja souhaitait absolument continuer à travailler pour la famille. “Elle m’en avait d’ailleurs parlé le jour de l’accouchement. Elle a même proposé confier son bébé à des sœurs pour pouvoir continuer à travailler chez nous ou faire un aller-retour à Madagascar pour donner son bébé à sa maman et revenir travailler. Cette proposition m’a tellement choquée que j’ai dû sortir de la chambre pour pleurer tant j’étais bouleversée. J’ai bien entendu refusé, en lui disant que la priorité, c’était son nourrisson”.

Choc des cultures

Redoutant leur réaction, la jeune fille met deux semaines avant de dévoiler l’arrivée de son bébé à ses proches. Quand elle se décide enfin à téléphoner à sa famille, son père lui répond qu’elle n’a pas intérêt à revenir. “Il lui a fait comprendre que c’était quelque chose de honteux: ‘Que vont penser les gens? Que va dire le prêtre?’, lui a-t-il dit”.

Les semaines qui suivent, Fanja s’occupe de son bébé, Jessica et son conjoint se chargent de faire les courses pour elle. “Puis un jour, elle nous a expliqué vouloir introduire une demande d’asile politique pour ne pas devoir repartir du pays. Elle est partie sur Bruxelles où elle a été hébergée chez Fedasil, jusqu’à ce que l’on perde progressivement le contact”.

Trop peu de suivi

Lorsqu’une maman fait un déni de grossesse, ce n’est pas toujours indiqué dans son dossier médical… Comme si c’était anecdotique, alors que les conséquences psychologiques pour la mère et l’enfant peuvent être immenses. Aucune statistique n’existe d’ailleurs sur le sujet, et aucun suivi n’est automatiquement organisé.

Pourtant, d’après Justine Masseaux, auteure du livre Une maternité impensée (Éd. Academia-L’Harmattan), les dénis ne sont pas aussi rares qu’on le pense, et peuvent toucher tout le monde, quel que soit le niveau social de la mère: “J’ai rencontré des femmes de tous milieux, l’une qui travaillait dans une grande institution européenne, l’une en doctorat qui avait déjà des enfants… Il n’y a aucune corrélation entre le déni et le manque de moyens ou les troubles psychiques, par exemple”. Et de poursuivre: “Le problème, c’est que le déni de grossesse peut avoir des conséquences importantes dans la construction du lien mère-enfant et qu’aucune structure, aucune ASBL ne prend la santé mentale de ces femmes en charge. On vous dira d’aller voir un psychologue mais celui-ci ne sera probablement pas spécialisé. Je pense à une femme qui m’a raconté que son psy lui avait dit: ‘Mais madame, vous deviez sûrement le savoir, que vous étiez enceinte'”. L’auteure explique que c’est sur les groupes Facebook où les femmes échangent entre elles qu’elle a trouvé le plus d’informations sur le sujet.

Texte: Lucie Hage

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