En toute discrétion, An conseille les grands gagnants du Lotto. © Getty Images

“J’accueille les grands gagnants du Lotto”

Dans le bureau d’An, au 5e étage de la Loterie Nationale, rue Belliard à Bruxelles, on trouve toujours une bouteille de champagne à sabrer. Elle attend les gagnants, “à partir de 1 million”, comme si c’était on ne peut plus normal.

Un million d’euros, c’est énorme! Ils doivent se compter sur les doigts d’une main, celles et ceux qui ont l’honneur de pénétrer dans l’antichambre du bonheur, non? “En quinze ans de métier, j’en ai rencontré un millier, sourit An. À peu près 50 à 60 par an, dans toutes les couches de la société. Peut-être même que vous en connaissez sans le savoir…” Et si vous et moi ignorons de qui il s’agit, c’est notamment parce qu’An fait bien son travail: elle aide les gagnants à conserver l’anonymat, pour profiter au mieux de leur argent. Ne dit-on pas que pour être heureux, il faut vivre caché?

Préserver leur anonymat

Après deux années en tant que porte-parole de la Loterie Nationale, An a réalisé que les attentes du service marketing, qui accueillait les gagnants avant qu’elle ne crée sa propre fonction, étaient aux antipodes des besoins des chanceux. “On voulait absolument les faire poser avec leur gros chèque, pour preuve qu’il y avait vraiment des gagnants. Or, ce qui est le plus important, c’est que la Loterie garantisse leur anonymat”. Et de poursuivre: “Vous pensez qu’on atterrit au paradis du jour au lendemain, mais c’est très dur quand l’entourage ‘sait’, car il va inévitablement demander une partie du ‘pactole’. C’est humain…”

Pour préserver leur anonymat, An leur explique donc que la première chose à faire, c’est de ne pas en parler, surtout pas à leur(s) enfant(s), le secret est trop fragile ou lourd à porter. “Je remarque aussi que les femmes veulent souvent partager la nouvelle avec une amie. Je ne leur interdis pas, mais il faut être réaliste: même votre meilleure amie risque de ne pas être indéfiniment heureuse si vous avez gagné des millions et elle, rien du tout. Vous voudrez peut-être lui faire un cadeau. Mais de combien? 5000, 10.000 euros? C’est là que les ennuis commencent”.

La confidente

Le problème, c’est que pour rester anonyme, on ne peut partager son secret avec personne, si ce n’est un partenaire. Or après quelques jours, on a envie de parler à quelqu’un d’autre. “Je suis souvent la seule à être cette personne, nous dit An. Les gagnants savent qu’ils peuvent m’appeler à tout moment, je décrocherai toujours, même si je suis au restaurant; ce qui ennuie beaucoup mon mari et ma fille (rires)”. Généralement, ce sont les gagnants qui parlent: “C’est comme pour les émotions négatives: on a besoin que ça sorte. Ça ne me dérange pas d’être réveillée le week-end par un gros gagnant. S’il a validé son ticket par Internet, il ne risque pas de le perdre, mais s’il a un ticket papier, il est en panique à l’idée de l’égarer. Dans ces cas-là, les gens sont pressés de venir et je les comprends”, sourit-elle.

Un job unique en Belgique

Accueillir des personnes qui deviennent soudainement riches et vivent des émotions intenses, aussi positives soient-elles, est loin d’être un métier ordinaire, pour lequel An n’a d’ailleurs pas reçu de formation. Mais elle sait les qualités que devra avoir la personne qui lui succèdera, en tête desquelles: la discrétion. C’est pour cela que vous ne verrez pas sa photo, elle veut pouvoir aller au restaurant ou sonner à une maison sans être reconnue. “Je ne parle jamais de mon travail et encore moins des gagnants. Il faut aussi être à l’écoute, disponible, bilingue et intuitive. Je commence toujours par leur demander comment ils ont appris qu’ils avaient gagné, à quoi ils ont pensé. Il suffit de quelques questions et les gens commencent à parler pour ne plus s’arrêter!”

Il se tisse entre An et “ses” gagnants une relation unique: “Quand ils entrent ici, ils ne comprennent pas ce qui leur arrive, ils sont contents mais ont peur de faire des choses avec cet argent. Quand ils repartent, ils ont entièrement confiance en moi”. C’est pour cela qu’elle ne transmet aucune des lettres qu’envoient des gens dans le besoin. “Les semaines ‘normales’, j’en reçois cinq. Quand il y a un gros jackpot à l’EuroMillions, c’est une boite entière! J’explique toujours à ces gens que c’est extrêmement délicat, je n’ai aucun moyen de vérifier la situation de chacun, je ne peux que les renvoyer vers des associations”.

La voix du bonheur

Il arrive qu’An annonce, elle, la bonne nouvelle au gagnant, notamment aux abonnés, qui ne vérifient pas le tirage. “Je les appelle, je leur demande s’ils sont en voiture, au bureau, seuls ou pas. Au départ, ils pensent toujours qu’il y a un souci avec leur abonnement. Si j’ai l’impression que ce n’est pas le bon moment, je dis que je rappellerai plus tard. Je ne lâche pas une telle nouvelle comme ça, sans prendre de précautions. Cela reste évidemment super gai d’annoncer à quelqu’un qu’il a gagné! Je me souviens d’un monsieur qui avait gagné 1 ou 2 millions. Il ne voulait pas me croire. Je lui ai promis que ce n’était pas une blague, qu’il pouvait raccrocher, appeler la Loterie et demander à me parler. Il m’a rappelée après cinq minutes, il n’y croyait toujours pas. Il a raccroché et m’a rappelée encore, et encore. Il a fait ça une dizaine de fois. C’était très drôle! Au dernier coup de fil, il m’a dit: ‘Votre voix, je ne l’oublierai plus jamais!’. Même si je n’y suis pour rien, pour eux je resterai Madame Lotto”. Et Madame Bonheur! “C’est vrai, je l’oublie toujours”, rit-elle.

Sa part du gâteau?

On imagine que certains gagnants ont très envie de lui faire un cadeau, mais “ça n’arrive quasi jamais! De toute façon, le paiement des gains se fait par virement, à la virgule près. Je reçois parfois une bouteille, des chocolats, des fleurs…”

Et si c’était An qui, un jour, remportait le jackpot, vers qui se tournerait-elle? “Oh j’ai la tête sur les épaules. Ma fille vient de finir ses études de médecine et rêve de construire un hôpital en Afrique, je l’y aiderais… Tous les gagnants me disent: ‘Je savais qu’un jour je gagnerais’. Eh bien moi aussi, je sais que je gagnerai un jour. Peut-être pas 100 millions”, souligne-t-elle avec le sourire.

Pas forcément comblés

“Dans 90% des cas, nous dit An, je me dis que ‘ça tombe bien que ce soit lui, elle, eux’. Comme ce couple qui avait gagné au Win for Life alors qu’ils venaient tous deux de perdre leur boulot dans la même société. En fait, il n’est arrivé qu’une seule fois que je n’ai pas aimé donner l’argent à la personne en face de moi”. La cagnotte du Lotto était de 2,5 millions et ce jour-là, il y avait eu trois gagnants, chacun remportant 840.000 euros. “Le lundi matin, le premier type arrive, furax: ‘J’ai vraiment pas de chance, j’ai perdu 1,6 million!’. On ne peut pourtant pas perdre ce qu’on n’a pas! Souvent, on me demande si l’argent rend heureux. Pas pour lui. On ne devient pas heureux tout à coup parce qu’on est riche. La vie devient plus facile, oui, mais le bonheur ne s’achète pas. Ni la santé”.

On ne devient pas heureux tout à coup parce qu’on est riche. La vie devient plus facile, oui, mais le bonheur ne s’achète pas. Ni la santé.

Faut-il avoir peur de gagner? L’avis de la psy

Pour certains, cet argent soudain est d’ailleurs un danger: “Ils seront déçus, nous explique Sonia De Graeve, psychologue. Notre société associe le bonheur au plaisir de dépenser. C’est un piège. Lorsqu’on devient plus riche, le confort est là, on peut s’acheter globalement ce qu’on veut, mais il reste des objets inaccessibles. En outre, on a beau avoir une plus belle maison, on reste soi, on peut se rêver écrivain de talent mais ça ne s’achète pas! Finalement, ni nos névroses ni nos problèmes relationnels ne sont réglés par la consommation ou la richesse. Le shopping sans limites procure un bien-être immédiat, à la manière d’une crise de boulimie. Puis, face à l’accumulation des achats, seuls restent la culpabilité et le vide. À combler au plus vite”.

Le syndrome de l’argent soudain

Il y a quelques années, la Loterie britannique menait une étude auprès de 294 gagnants. Plus de la moitié se sont déclarés plus heureux après leur gain, mais quid de l’autre moitié? “En psychologie”, explique Sonia De Graeve, “on parle du ‘syndrome de l’argent soudain'”. C’est quoi, au juste?

  • Se trouver tout à coup à la tête d’une grosse fortune implique, pour certains, l’arrêt de toute activité. Avec pour résultat la sensation d’être inutile, d’avoir une vie vide.
  • Pour d’autres, il y a le stress de devoir gérer cette somme, la peur du vol, de la dilapidation.
  • Certains gagnants se sentent coupables face à leur entourage.
  • D’autres sont victimes de commérages.
  • C’est aussi le cadre de vie qui change, les repères sont radicalement chamboulés.
  • … Et les relations humaines qui vont avec.

Le rôle d’An est donc indispensable car “mal accompagné, ce changement peut être dévastateur, conduire au divorce, à l’alcoolisme”, précise la psychologue. C’est aussi la raison pour laquelle la Loterie Nationale belge reste très discrète et prend de grandes précautions pour protéger ses gagnants.

Avec quel jeu a-t-on le plus de chance de devenir millionnaire?

Les billets à gratter! Avec un Win for Life, vous avez 1 chance sur 1,25 million de gagner une rente à vie. Au Lotto, c’est 1 chance sur 5 millions de remporter le gros lot. À l’EuroMillions, seulement 1 chance sur 140 millions pour le plus gros gain.

Texte: Stéphanie Ciardiello avec la collaboration de Nicole Burette.

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