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Témoignages: “J’ai un job invisible”

Par Justine Leupe

Elles exercent un métier de l’ombre, pourtant indispensable. Lumière sur 5 femmes qu’on ne voit pas, mais sans qui le quotidien serait bien plus compliqué.

Rendons visibles les invisibles! Cinq femmes nous parlent de leur métier essentiel au bon fonctionnement du pays. Un travail dont elles sont fières!

Annie, 40 ans, coordinatrice d’équipe de nuit chez Delhaize

“Quand le client trouve ce qu’il cherche, ça fait plaisir!”

Ne jamais se fier aux apparences: si Annie conduit ses enfants chaque matin à l’école, si elle est toujours à la sortie des classes, elle n’en est pas pour autant mère au foyer. “Mes voisins doivent penser que je ne travaille jamais, sourit-elle. Parce qu’ils ne me voient ni partir à 19h, ni revenir à 4h du matin”.

Pendant que nous dormons, Annie travaille dans un immense hangar du Delhaize, où elle et son équipe de nuit préparent les commandes des magasins, pour que les rayons soient achalandés dès l’ouverture. Et ça, ça la rend particulièrement fière. “Quand le client trouve ce qu’il cherche, ça fait plaisir! C’est grâce à toute l’équipe, même si je doute que les gens en aient conscience. En plus, c’est un horaire qui me permet d’équilibrer famille et travail. Je peux dormir un peu avant que les enfants se lèvent, déjeuner avec eux, les conduire à l’école, puis rentrer et me rendormir. Avant d’aller les rechercher, je prépare le repas pour être entièrement disponible pour les devoirs, jouer, papoter… On mange en famille à 17h, et on a même le temps de faire une balade avant que je les couche au lit et que je m’en aille. Ils n’ont pas besoin de maman quand ils dorment, mais quand ils sont réveillés, maman est là”.

Chef de 30 hommes

Entre les deux, maman est la chef d’une équipe de trente hommes. Les débuts ont été difficiles avec certains, peu disposés à se “laisser commander par une femme”, mais aujourd’hui, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, grâce à la Annie’s touch. “Je m’intéresse à eux, à leur vie hors boulot, je leur demande s’ils ont bien dormi, je veux qu’ils voient que je suis humaine avant tout, que je peux comprendre ce qui leur arrive. Être chef, ce n’est pas seulement donner des instructions, c’est d’abord être à l’écoute, créer un lien de confiance. Si la personne est stressée, je ne vais pas la stresser davantage. Au contraire, j’apporte un peu de douceur. Et ça marche, on a de très bons résultats!”

© Laetizia Bazzoni

Fatima, 57 ans, technicienne de surface en entreprise

“Parfois, un employé laisse un petit mot pour me remercier”

“On dit ‘technicienne de surface’, mais moi je dis femme d’ouvrage. Ça fait quinze ans que je fais ce métier, dont six en entreprise. Au moins, nettoyer les bureaux, ce n’est pas le même ménage qu’à la maison (rires)”. Fatima, c’est la fée du logis de Roularta, la maison-mère de Femmes d’Aujourd’hui. C’est grâce à elle et ses collègues que l’on travaille dans un environnement propre et agréable. Beaucoup l’en remercient, mais ce n’est pas toujours le cas. “La plupart des employés sont gentils et prennent le temps de discuter un peu avec moi. Mais pour d’autres, je passe inaperçue. Comme si leur travail était plus important que le mien. Ça me fait mal au cœur, mais en moi-même je suis fière de mon boulot, de gagner ma vie, on part en vacances, mes enfants ne manquent de rien”.

“Sans travail, je ne serais rien”

Fatima aime travailler, et elle le fait avec le sourire, même s’il est épuisant physiquement (ce sont surtout les douleurs au dos qui sont éprouvantes, à force de s’abaisser). Mais à ses yeux, avoir un travail est inestimable: “Je me lève le matin, m’habille, me coiffe, sors de chez moi, rencontre des gens dans la rue, dans le bus, au travail; et le soir, je rentre contente de moi. Si je ne travaillais pas, je déprimerais, c’est sûr. Comme on dit, le travail, c’est la santé!”

Et Fatima y est particulièrement sensible en cette période, elle qui a eu la Covid en novembre, et qui a perdu sa maman juste avant les fêtes, à cause de ce terrible virus. Alors au bureau, elle désinfecte régulièrement les poignées des portes, des armoires, des frigos, les claviers, les rampes d’escalier… “Il est déjà arrivé qu’un employé laisse un petit mot pour me remercier, ça fait hyper plaisir et ça me motive à faire encore mieux!”

© Laetizia Bazzoni

Catherine, 60 ans, technicienne de laboratoire à la SWDE

“Dès qu’un résultat est non conforme, on lance l’alerte”

Ouvrir le robinet et avoir de l’eau claire, potable et au goût agréable, ça ne coule pas de source. C’est qu’en amont, ils sont des dizaines à veiller à sa qualité. Parmi eux, Catherine, technicienne de labo en microbiologie depuis 30 ans. “Quotidiennement, on analyse les eaux de distribution de la Société wallonne des eaux et les eaux brutes avant traitement. On vérifie qu’elles sont conformes à la législation au niveau bactériologique. Dès qu’un résultat est non conforme, on lance l’alerte et une équipe d’intervention procède au traitement”.

Il suffit d’une fenêtre cassée à un château d’eau, pour qu’un pigeon y pénètre et se noie dans le réservoir. À l’analyse, Catherine identifiera des entérocoques gallinarums, signe qu’il faut illico décontaminer. Il arrive aussi qu’une pompe doseuse de chlore tombe en panne pour que l’eau ne soit plus désinfectée… “Il y a 36.000 raisons qui peuvent entraîner des non-conformités. Chaque semaine, on reçoit 3 à 400 échantillons à contrôler. Pour ça, on travaille sept jours sur sept, avec une garde de nuit, car certains paramètres doivent incuber 24, 48 ou 72h avant qu’on puisse les lire”.

L’eau, or bleu qu’il faut préserver

Ce sont ainsi une quinzaine de laborantins qui sont à pied d’œuvre pour préserver notre santé. Et cela, dans l’ombre. “Lors du premier confinement, on avait forcément un laissez-passer, on s’est fait la réflexion que peu de personnes ont conscience du boulot qu’on fait. Notre boulot est méconnu, mais si nous n’étions pas là, les gens s’en rendraient vite compte. On se demandait d’ailleurs si on allait être repris dans les métiers essentiels et aussi vaccinés en priorité, mais non…”. Avant de repartir à la paillasse, “les tables de labo” dans le jargon du métier, Catherine insiste sur le caractère extrêmement précieux de l’eau et l’importance de ne pas la gaspiller: fermer le robinet quand on se lave les dents, ne pas laver sa voiture en pleine canicule, éviter de passer des heures sous la douche… Il faut préserver cet or bleu!”

© Laetizia Bazzoni

Laetitia, 39 ans, préposée dans un recypark

“Au début de la Covid, on était des héros, mais la gratitude s’est effacée”

Tout en sourire, Laetitia aide un monsieur à décharger sa voiture au recypark FAC (Farciennes-Aiseau-Châtelet): “On ne mélange pas les bouteilles, le verre plein et le verre de vaisselle, ce sont trois matériaux différents, mais il faut l’expliquer. Beaucoup de gens pensent qu’il suffit de tout déverser dans les encombrants, mais non. Chaque objet peut se transformer et servir ensuite à autre chose que sa fonction initiale”. Elle l’a appris durant ses deux ans et demi passés chez Transform, la “boutique” de seconde main gérée par le CPAS de Charleroi, où elle s’occupait de la réfection de meubles et de l’upcycling. Son premier boulot, après avoir été maman au foyer et élevé seule ses cinq enfants! “J’adore ce métier. Parce que je peux participer à la sauvegarde de la planète et qu’il me permet d’apprendre tous les jours”. Les usagers, eux, sont ravis de venir dans ce recypark 100% féminin. Ça n’a pas été simple pour ces femmes de s’imposer, mais aujourd’hui, même les plus bourrus apprécient l’équipe dont ils saluent l’accueil, la sympathie, l’écoute et… la fantaisie. “C’est vrai qu’on aime décorer le parc avec des objets qu’on récupère dans les containers. C’est notre touche féminine”. Une jolie façon d’égayer le lieu où sont répartis 23 containers.

Des profils trop peu mis en avant

Si un déchet atterrit là où il ne doit pas, à elles de descendre dans le container pour le ramasser. “Certains ont l’art de laisser des mauvaises surprises cachées dans les cartons, des déchets organiques, des alèses usagées… Pour l’instant, on est en guerre contre les masques. Car non, ce n’est pas du papier. En plus, c’est potentiellement contaminé. Les masques, ça se jette dans un sac poubelle bien fermé, pour que les collègues du ramassage ne risquent rien”. Des collègues à qui Laetitia est allée prêter main-forte lors du premier confinement quand le recypark a dû fermer. Outre la difficulté physique, il y a les risques liés à la circulation, aux automobilistes pressés ou fâchés. “Je regrette que certains manquent de considération pour notre boulot. Au début de la Covid, on était tous des héros, mais la gratitude s’est effacée, et ils oublient que sous l’uniforme, il y a l’être humain”.

© Laetizia Bazzoni

Lucie, 38 ans, conductrice de métro

“Wouah, je sais conduire une machine comme ça!”

Après avoir travaillé 17 ans en tant qu’éducatrice spécialisée, Lucie a ressenti le besoin d’avoir son espace. “Symboliquement, conduire un métro, c’est tout ce qu’il me fallait: un travail individuel où je suis autonome et où je reste en mouvement, où je retrouve ma bulle mais côtoie chaque jour des collègues…”. À l’écart des voyageurs, Lucie n’en est pas non plus complètement isolée. Certains n’hésitent pas à remonter la rame pour la remercier ou l’engueuler parce qu’il y a eu un problème de portes, parce qu’un incident l’oblige à faire demi-tour, parce qu’une panne survient… Des imprévus dont elle n’est pourtant nullement responsable.

Les quais, des théâtres ouverts

“L’air de rien, c’est un métier où il y a beaucoup d’adrénaline, quand quelqu’un fait mine de sauter sur les rails ou quand des gens se bagarrent sur les quais, par exemple. Il faut aussi être constamment attentif à ce qui se passe sur les voies, dans les rames, aux messages radio… Pour moi, les quais, ce sont des planches de théâtre. Il se passe toujours quelque chose. Il y a des gens qui se disputent mais aussi des gens qui s’aiment, qui se bécotent pendant des heures, on se dit ‘Tiens, ça fait trois tours qu’ils n’ont pas bougé ceux-là’, des gens qui attendent un bouquet à la main, d’autres les bras chargés de pizzas. Il y a des gens déguisés, qui font des trucs loufoques. J’imagine leurs histoires, ça nourrit mes moments seule. Et on se raconte nos anecdotes dans le local de détente. Et quel privilège d’entrer dans les entrailles de Bruxelles, c’est un peu de la spéléo urbaine. C’est valorisant de se dire ‘Wouah, je sais conduire une machine comme ça'”.

Un bonjour ne fait jamais de mal

À l’entendre, conductrice de métro, c’est que du bonheur, et ça tombe bien: la Stib recrute, particulièrement des femmes, encore sous-représentées (moins de 12% du personnel total). “Juste, si je peux me permettre, souffle Lucie, c’est vrai que quand je longe mon métro sur le quai pour rejoindre ma cabine de l’autre côté, on m’interpelle: ‘Porte de Hal?’ Sans bonjour, sans merci, comme si j’étais une machine. J’essaie de le prendre avec humour, mais ce n’est pas gai…”.

© Laetizia Bazzoni

Texte: Stéphanie Ciardiello, photos: Laetizia Bazzoni

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