© Getty Imahrd

Témoignage: “Ma fille est devenue un garçon”

2015 n’a pas été de tout repos pour Peggy, qui a vu sa fille Joyce se transformer doucement et devenir un garçon. Elle nous raconte comment cette année si particulière s’est déroulée pour elle.

Peggy, la petite cinquantaine, est une femme mariée mais aussi la mère de quatre enfants. Deux filles et deux garçons, âgés de 15 à 32 ans. Une famille comme les autres, à un détail près: en 2015, sa fille ainée a entamé, plus de deux ans après son coming-out trans, les démarches pour devenir un homme. Une transformation qui prendra quelques mois à peine, et un parcours que la mère de famille a déposé sur papier.

Dans la vie de Peggy, maman d’un garçon transgenre

Peggy nous ouvre le journal intime de cette année si particulière, à l’intérieur duquel la quinqua se raconte entre larmes, tristesse, mais surtout petits et grands bonheurs.

1er janvier 2015

C’est à peine le premier jour de l’année et je sais déjà qu’elle sera riche en émotions! Après avoir été ‘enfermé’ 26 ans dans un corps féminin, mon enfant va enfin pouvoir devenir qui il est réellement. Je l’ai toujours su, je crois. Quand il avait 5 ans déjà, je me demandais s’il ‘n’aimait pas les filles’. Mais 2015 est officiellement l’année où ma Joyce va vraiment devenir Vincent. Il a toujours lutté pour savoir qui il était, jusqu’à il y a deux ans. Nous avions vu un reportage sur un transsexuel et toutes les pièces du puzzle se sont mises en place. Cela a été à la fois un soulagement et une tristesse. Enfin, j’appelle cela une ‘tristesse de maman’. Je vais soutenir Vincent à 100%, bien sûr, mais pour qu’il s’épanouisse, il faut laisser partir Joyce”.

18 février

Voilà, mon enfant s’appelle officiellement Vincent. Un pas de plus a été franchi. On a d’abord reçu le document attestant de son changement de prénom, puis son nouveau permis de conduire et maintenant sa carte d’identité. Même s’il n’a pas encore véritablement changé de sexe, son prénom a pu être modifié. La petite lettre ‘f’ deviendra ‘m’ après l’ablation de son utérus. C’est ainsi en Belgique. L’opération est planifiée en octobre”.

25 février

C’est l’anniversaire de mon enfant! Son premier en tant que garçon. J’ai l’impression que tout va si vite! Enfin… Je crois que pour Vincent c’est encore trop lent. Il est impatient d’avoir un nouveau corps, une nouvelle vie. Il attend cela depuis si longtemps. Nous avions eu les premiers contacts avec l’équipe médicale (urologue, chirurgien plasticien, etc.) en octobre 2013. Il aura fallu sept entretiens psychologiques pour qu’il puisse entamer la cure de testostérone qui allait le masculiniser. Dès cet instant, la pilosité s’est intensifiée, mais ce qu’il attendait le plus tardait: la mue de la voix dans les graves. Nous nous laissons guider par l’équipe qui connaît le monde transsexuel sur le bout des doigts, qui a conseillé de faire suivre Vincent par un logopède.”

26 février

La journée a été dure. Aujourd’hui, sur les réseaux sociaux, quelqu’un a fait des commentaires inopportuns sur la transformation de Vincent. Je l’avais prévenu que ça risquait d’arriver, et je me pensais même bien armée pour y faire face… mais j’ai explosé. Les gens jugent et condamnent sans rien savoir. Personne ne sait ce qu’il a vécu ces dernières années. On ne fait pas ça par plaisir… Finalement, cela s’est bien terminé: l’auteur de ces lignes déplacées s’est excusé en écrivant qu’il était désolé et avait réagi ainsi par ignorance. Nous avons au moins pu amener une personne à ne pas juger trop vite. C’est déjà ça.”

12 mars

“Aujourd’hui était un grand jour: la poitrine de Vincent a disparu. De toute façon, il l’a toujours détestée: elle le gênait dans ses mouvements et dans la vie quotidienne en général. En principe, son ablation aurait dû se faire en même temps que celle de l’utérus mais cela signifiait un autre été passé à la camoufler sans pouvoir porter de t-shirts… Et c’était impensable pour lui. Vous n’imaginez pas à quel point il est heureux! Je le suis sincèrement pour lui aussi. Beaucoup de gens me témoignent du respect pour le soutien que j’apporte à Vincent, mais je trouve ça naturel: c’est mon enfant, je veux qu’il soit heureux. Même si cela signifie que je doive renoncer à mes propres rêves pour lui…”

13 mars

SMS de Vincent depuis l’hôpital. Il y a une grosseur à son sein gauche. Sans doute un saignement. Si cela se confirme, il faudra repasser par la case scalpel… Il a joint une photo de sa nouvelle poitrine toute plate. Cela m’a tellement effrayé que je me suis mise à pleurer sans plus pouvoir m’arrêter. Qu’ont-ils fait à mon enfant? Est-ce bien ce qu’il voulait? Et là, Vincent m’avoue qu’il se sent mutilé. Je suis impuissante. J’essaie de lui remonter le moral à distance. Quelle chance qu’il ne me voit pas… Mon Dieu que c’est dur tout ça!”

14 mars

Photo d’un Vincent rayonnant à l’hôpital. Torse nu, les yeux qui brillent. Sans rapport avec hier.”

17 mars

Des photos souriantes de Vincent circulent sur Facebook. Ça va mieux! Il en a parcouru du chemin ces dernières années, ces derniers mois. Je me souviens quand il a parlé de son mal-être au boulot. Je me rappelle de son patron à ses côtés quand il a annoncé la nouvelle à ses collègues. Chaque étape le rapprochait un peu plus de qui il est. Chaque petit pas l’épanouit davantage… Comme cet été, placé sous le signe des marcels!”

2 juin

La nostalgie m’envahit. Je pense à Vincent et à toute la famille. Chacun de nos enfants a intégré, à sa façon, que sa sœur est devenue un frère. Notre cadet a fait le switch en un clin d’œil. Il n’a plus jamais prononcé le prénom Joyce, uniquement Vincent. Pour Elyse, cela a été plus difficile: ‘Je ne dirai jamais Vincent’, avait-elle décrété. Puis, elle a quand même appris à son petit garçon à l’appeler Vincent… Quant à moi, aujourd’hui, je suis mélancolique. Je dois accepter la disparition définitive de Joyce, ma fille dont j’ai pris soin durant 25 ans. Je n’en parle pas à Vincent, il doit conserver toute son énergie pour les mois à venir, et je refuse qu’il sente ma peine. Il doit se battre pour son bonheur… Et moi trouver le mien!”

15 juillet

Vincent a une petite amie! Sa relation précédente s’est achevée, une nouvelle chance s’offre à lui. La jeunesse actuelle est bien différente de la nôtre, me dis-je. En réalité, Vincent n’a pas de pénis et est encore une femme. Je lui ai demandé si cela ne dérangeait pas sa copine. Il m’a avoué ne pas vraiment y avoir réfléchi… ‘Ma copine n’est ni hétérosexuelle ni bisexuelle, elle est Vincent-sexuelle’, a-t-il rétorqué. Il semble que je sois la seule à me poser mille questions. Comme un faucon, je surveille tout le monde d’un œil. Les autres chuchotent-ils? Épient-ils? J’ai tellement peur qu’on fasse du mal à mon fils…Mais je le sous-estime: ‘Maman, s’ils ne parlent pas de moi, ils parleront de quelqu’un d’autre’, m’a-t-il fait laconiquement remarquer. Il est fier. Je le suis encore plus!”

28 juillet

Dernier check-up avant l’opération: l’ablation de son utérus est fixée au 18 septembre. Dès cet instant, le ‘f’ de sa carte d’identité se transformera en ‘m’. Dès cet instant, les injections de testostérone seront gratuites. En tant qu’homme, c’est indispensable pour vivre. En tant que femme, c’est ‘un luxe’, je suppose. Le 22 septembre, on enchaînera avec l’opération du larynx qui rendra sa voix plus grave. Nous sommes curieux.”

9 août

Nous organisons une fête pour la ‘renaissance’ de Vincent. Nous avons même imprimé un faire-part de naissance, avec des dragées. Toute tremblante, j’ai lu à haute voix une lettre que je lui ai écrite: ‘Moi, maman de Joyce et aussi maman de Vincent, j’aime les cupcakes… qu’ils soient roses ou bleus. Il y a 25 ans, je suis devenue la maman d’une petite Joyce, 3 050 kg, 49 cm. Mon premier petit cupcake rose était né. Rapidement, nous avons constaté que Joyce n’aimait pas les Barbie ni les poupées, mais bien les Lego et les skateboards. Mon cupcake n’était pas tout à fait rose… Plus elle grandissait, plus ses sentiments étaient confus. Aujourd’hui, je réalise combien faire ce chemin seule a dû être harassant. Je trouve incroyablement courageux qu’il/elle soit arrivé(e) au bout de sa démarche… assez pour, en tous cas, changer la couleur de ce petit cake! Même si, bien sûr, le goût et les ingrédients restent les mêmes.

Dès qu’il/elle m’a confié ses souhaits, j’ai pensé: ‘Si c’est ce que tu ressens, fonce!’ Ce n’est qu’après que j’ai réalisé que ma fille aînée allait disparaître… Et j’ai été submergée par le chagrin. Aujourd’hui, il en est tout autrement: je suis fière d’avoir été à ses côtés tout au long de ce parcours, fière que notre Joyce, à présent Vincent, tienne compte de mon avis. Cela me touche énormément. Qui aurait imaginé que j’attendrais encore un heureux événement? Je suis fière de vous, Joyce et Vincent, fière de la différence entre qui tu étais, qui tu es, et de tout ce que tu as fait pour atteindre cet objectif. Ta maman.”

20 septembre

Vincent est rentré de l’hôpital, après son hystérectomie d’il y a quelques jours. Trois petites cicatrices témoignent de l’opération… rien de plus. Après-demain, il repasse sur la table d’opération pour sa voix.”

22 septembre

Je suis aussi nerveuse que curieuse. J’ai l’honneur d’être la première à entendre sa nouvelle voix! C’est un peu comme entendre son tout premier cri, lors de l’accouchement… Il est 13h10, le brancardier ramène Vincent dans sa chambre. Ma voix déraille quand je lui demande: ‘Et?’ Il me répond: ‘Oui, Maman’… Waouw, elle est si caverneuse, grave, masculine. Difficile à raconter. Mon fils est un vrai petit gars.”

4 décembre

Le dernier contrôle à l’hôpital a confirmé que tout était en ordre. L’année prochaine, Vincent subira sans doute une dernière opération qui consistera à se faire poser un pénis. Pour l’instant, il a obtenu tout ce qu’il souhaitait: avoir l’air d’un garçon. Il est si épanoui. Il se sent bien aux côtés de sa petite amie. Bien sûr, je n’ai pas traversé toutes les épreuves au même degré que lui. Même si je les ai vécues depuis les coulisses, je suis épuisée. Par tous ces allers-retours, par le fait d’être là pour lui, de pleurer, d’écouter, de cajoler… Je me suis un peu ‘oubliée’, pourtant je n’imagine pas un instant qu’il puisse en avoir été autrement. J’ai vu ma fille devenir un homme et passer de la détresse au bonheur. J’ai compris que la vraie beauté réside à l’intérieur de chacun: Joyce était l’emballage du merveilleux cadeau qu’est Vincent. Je continue à chérir Joyce car sans elle, je n’aurais pas eu mon extraordinaire fils…”

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