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Témoignage: “Je suis une survivante de l’inceste”

Par Tatiana Czerepaniak

Corinne a été abusée sexuellement par son père pendant de nombreuses années. Des violences sans nom qu’elle a refoulées jusqu’à ce qu’elles remontent à la surface lors de la lecture d’un article évoquant le sujet.

Longtemps maintenues sous silence, les victimes d’inceste sont de plus en plus nombreuses à prendre la parole pour révéler les violences qu’elles ont connues. Corinne Jean, 59 ans, fut l’une des premières, en Belgique, à lever le voile sur l’inceste, en mettant en lumière les abus perpétrés par son père alors qu’elle avait 11 ans. Un quotidien fait de violences physiques et psychologiques que la quinquagénaire dévoile dans un livre, Ce soir-là, ils ont dansé, et qu’elle détaille pour Femmes d’Aujourd’hui.

“Mon père battait ma mère et mes frères. Moi, il me violait”

Corinne est née en 1962 au sein d’une famille “bien sous tous rapports”: un papa qui gagne sa vie, une maman qui se consacre au foyer, une fratrie composée de trois garçons et d’une fille, des vacances en Suisse… Rien ne laissait transparaître la violence dans laquelle le clan évoluait. “Mon père était quelqu’un de très agressif: il buvait, battait ma mère et mes frères… Envers moi, il utilisait une autre forme de violence, tout aussi destructrice, puisqu’il a commencé à me violer peu après mon onzième anniversaire. La première fois que c’est arrivé, je dormais dans la même chambre que mon frère. Mais ce matin-là, c’était mon père qui avait pris sa place dans le lit. Quand je me suis réveillée, il m’a dit de venir. J’ai obéi… C’est là qu’il a commencé à me violer”.

Sous le choc, la petite fille descend presque comme si de rien n’était, et part à la messe. “Je me rappelle très bien avoir eu envie de me suicider pendant tout le temps que la messe durait… Mais je me suis dit que j’allais me faire mal, alors je n’ai pas osé”.

Violée chaque week-end

“Le week-end, mon père faisait en sorte de m’isoler pour abuser de moi”, explique Corinne. “Il me demandait de le rejoindre à la cave, de l’accompagner dans le garage dans lequel il travaillait, de venir avec lui rendre visite à sa maman. Et chaque fois, il me violait”. L’homme est si violent et exerce une telle emprise sur la famille que tous font mine de ne pas comprendre ce qu’il se passe, même la mère de la fillette. “J’ai le souvenir d’un jour où mon père, pensant qu’on était seuls, m’avait demandé de venir avec lui à la cave. En descendant, je vois ma mère en train de nettoyer. Je me dirige vers elle pour échapper à ce qui va m’arriver. Elle me regarde et a vite fait de s’encourir, me laissant seule avec lui”.

Pendant ces abus, Corinne a comme l’impression de sortir de son corps, de se déconnecter de son physique pour ne rien ressentir. Elle enfouit littéralement ce qu’elle subit au plus profond d’elle-même, et n’en parle à personne, pas même à ses plus proches amies ou aux religieuses de son école: “L’école, c’était mon échappatoire, mon espace de liberté. Je ne voulais absolument pas qu’on me le prenne. Alors je me suis tue là aussi et j’ai profité de cette protection que m’apportaient ces journées au sein de mon établissement scolaire”. Ces abus sexuels ne s’arrêteront qu’à la mort de son père, qui décède dans un accident de voiture alors que Corinne a 20 ans.

Une vie “normale”, sauf que…

Après la mort du père, la famille est perdue: “Mes frères, ma mère et moi, on avait toujours vécu sous son emprise. Alors oui, ça a été un choc quand il est mort: il décidait de tout, avait tous les pouvoirs. On était comme perdus, car habitués à sa violence et à ses injonctions. Cela a été le début d’une certaine errance pour moi”.

Corinne fait alors face à un tsunami d’émotions, et à un frère aîné qui “reprend le flambeau” du défunt, imposant ses choix à toute la famille. Mais la jeune femme veut s’en sortir: elle rencontre un homme, trouve un travail et quitte le foyer. Avec son conjoint, elle achète une maison et projette de faire des enfants. Sauf que son mari exerce, lui aussi, une certaine emprise sur elle: “Il n’était pas aussi violent que mon père, mais il buvait, ce qui nous amenait à des situations compliquées. Mais pour moi, vu ce que j’avais connu, les choses étaient normales”.

Malgré l’alcoolisme de son mari et la tristesse qu’elle ressent au plus profond d’elle, Corinne se sent épanouie dans sa vie de femme mariée: “J’étais tout simplement heureuse d’avoir ce que j’avais toujours souhaité: un homme qui gagne correctement sa vie, une maison, un emploi”. Corinne ne parlera jamais à son époux de l’inceste dont elle a été victime. “Durant des années, j’ai fait comme si je n’avais rien enduré. J’ai essayé de construire une vie comme tout le monde. Je me suis mariée, j’ai eu des enfants, je voulais vivre”.

Devenir maman, le bonheur ultime

Quelques années après son mariage, Corinne devient maman d’une petite fille. Un grand bonheur, tant pour elle que pour son mari, qui vivront une période de félicité. Cette maternité donne un véritable sens à la vie de Corinne, et fait quelque peu taire la tristesse profonde avec laquelle elle cohabite jusque là. “J’ai ressenti une telle fierté d’avoir mis au monde cette si jolie petite fille… Je vivais ma vie de jeune maman et j’adorais ça! Ce nouveau rôle m’a aidée à mettre de côté ma souffrance. Elle prenait moins de place, et j’avais moins de temps à lui accorder, même si une partie de ma personne souffrait constamment”.

Deux ans plus tard, la jeune femme tombe à nouveau enceinte. Une grossesse qui mettra à mal l’équilibre du couple. “Lorsque je tombe enceinte de mon fils, mon mari s’enfonce dans l’alcoolisme, il est de plus en plus violent. Je lui demande de se rendre aux Alcooliques Anonymes pour sortir de cette addiction, et de mon côté, je rejoins un groupe de parole à destination de ceux dont un proche est dépendant. Ce groupe est extrêmement bénéfique: j’y apprendrai à exprimer ce que je vis, ce que je ressens et, surtout, à comprendre que d’autres vivent les mêmes difficultés que moi”.

Un article de presse qui change tout

Un jour, à la librairie, Corinne découvre le magazine Psychologies et l’achète. La lecture du papier changera sa vie: “Il y avait un dossier sur l’inceste. En lisant ces pages, j’ai eu un choc, je me suis dit: ‘Mais j’ai vécu ça, moi’. Et tout est remonté à la surface, comme si ce que j’avais enfoui profondément remontait d’un coup”. Corinne lira le dossier à de nombreuses reprises: “À chaque fois que je lisais le magazine, une foule de sentiments m’assaillaient. Mes émotions se mélangeaient et je ne savais pas quoi faire de tout cela”.

Parallèlement, la situation se détériore avec son mari, qui boit de plus en plus et est de plus en plus violent. Et cette fois, Corinne comprend qu’elle ne peut continuer à évoluer dans cette relation toxique: “J’ai pris conscience que je devais partir après une scène de violence. Je me suis dit qu’il allait bousiller mes enfants, qu’ils vivraient la même chose que ce que j’avais connue, alors j’ai pris mes enfants et je suis partie”.

Déconstruire pour reconstruire

Corinne termine des études d’assistante sociale lorsqu’elle se retrouve mère célibataire. Heureusement, elle peut compter sur le soutien d’une amie, chez qui elle vivra pendant quelque temps avec ses deux enfants. Parallèlement, Corinne entame une thérapie afin de mettre des mots sur ce qu’elle a vécu. “J’avais cette impulsion vitale de m’en sortir, de ne pas reproduire les schémas toxiques. Alors j’ai été chez un psy en disant: ‘Bonjour, j’ai été victime d’inceste et je ne vais pas bien. J’ai besoin d’aide pour me reconstruire”.

Une thérapie qui lui apportera des outils incroyables: “Pour la première fois dans ma vie, j’ai eu l’impression qu’on m’écoutait, qu’on me comprenait et qu’on légitimait ma souffrance”. Corinne comprend alors combien ce qu’elle a vécu est grave. Et petit à petit, elle sent un certain apaisement, même si les souffrances restent présentes. Corinne finira par être diplômée. Le meilleur des sésames pour apporter soutien et bienveillance aux enfants en souffrance.

Écrire pour déposer la douleur

Alors qu’elle est en pleine séance avec son psy, Corinne a l’idée d’écrire un livre: “Je ressentais comme un besoin vital de déposer la souffrance que mon père m’avait infligée sur papier. Toute ma vie, j’ai eu l’impression de me battre contre lui, contre sa violence, son emprise… Même après sa mort. Écrire tout ça, c’était pour moi une manière de livrer une bataille contre ce qu’il m’a fait, de la gagner et d’être enfin moi”. Pour les besoins de son livre, Corinne entame un travail de souvenir. Elle va, avec son thérapeute, ramener au conscient les scènes de violence qu’elle a vécues, les décortiquer et les écrire sous forme de lettre. Un travail qui lui prendra dix ans.

Le 21 septembre 2012, son livre, Ce soir-là, ils ont dansé, est publié. Une victoire pour Corinne, qui se définit comme une survivante de l’inceste. “Mon père a tenté de me mettre à terre, mais je peux le dire aujourd’hui: j’ai survécu à la haine et à la violence. Je l’ai déconstruite et je me suis reconstruite loin de ce schéma noir grâce à mon goût de vivre envers et contre tout”. En 2015, Corinne organisait un colloque sur l’inceste, afin de lever le voile sur cette violence physique et psychologique. Une expérience qu’elle compte réitérer.

Et maintenant?

Si Corinne a réalisé un incroyable travail de reconstruction, la douleur empreint son quotidien. “Je vis avec une souffrance latente, tantôt presqu’en sommeil, tantôt bien présente. Ces maux psychologiques rayonnent dans mon corps et me créent des douleurs physiques. Le confinement a été une véritable épreuve pour moi, puisque j’ai été confrontée à certaines angoisses et peurs sur lesquelles je devais encore travailler. Aujourd’hui, à 59 ans, je sais que me réparer est une mission de la plus haute importance pour moi. Je ne cesse de me battre pour y arriver. Si j’arrête, je meurs… Alors je continue à réparer, encore et toujours”.

Le livre de Corinne Jean est en vente sur le site www.publier-un-livre.com.

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