
“J’ai été accusée à tort”: une enseignante raconte sa descente aux enfers
Enseigner, c’était la vocation de Marguerite*. Pendant 30 ans, elle a donné son énergie, son temps et son cœur à ses élèves. Jusqu’au jour où une accusation a tout fait basculer.
“C’était un matin de novembre, il y a 4 ans. La classe avait commencé, mais Roméo M.* ne trouvait pas son matériel. Son bureau était en pagaille. Comme je le faisais souvent, je lui ai proposé qu’on le range ensemble. Ce petit bonhomme de 10 ans était intelligent, mais avait du mal à s’organiser. Je passais du temps avec lui chaque jour pour l’aider à progresser, à son rythme. Pendant qu’on rangeait son bureau, je me suis rendu compte qu’à nouveau, il lui manquait une partie de ses fournitures. Je l’avais invité à plusieurs reprises à apporter son matériel, mais rien n’y faisait, pas même les appels aux parents. Depuis la rentrée, ils n’avaient signé aucune de mes notes.
À bout de solutions, j’ai fait ce que je ne fais jamais: lui faire copier 50 fois: ‘Je dois avoir mon matériel pour travailler correctement.’ Après la pause de midi, son père a débarqué dans ma classe, furieux. Ignorant le protocole Covid en place à l’époque, il s’est approché de moi menaçant, hurlant que j’humiliais et harcelais son fils. Avant de partir, il a lancé: ‘Ça ne va pas en rester là, je connais du monde.’”
30 ans d’enseignement sans encombre…
“Je n’avais jamais rencontré de problème en 30 ans d’enseignement. Il y avait bien eu des parents qui râlaient parce que j’étais exigeante, mais ils finissaient toujours par me remercier pour mon implication, ma bienveillance et les progrès accomplis par leur enfant. Cette fois, c’était autre chose. Je suis retournée dans ma classe en tremblant et j’ai essayé de me rassurer en espérant que la rencontre proposée après les cours apaiserait les choses. Mais les parents de Roméo n’ont jamais répondu à mon invitation.”
… Jusqu’à ce jour
“Quelques jours plus tard, j’étais convoquée par l’inspection académique. Une plainte à la gendarmerie avait été déposée contre moi par la famille M. Leurs accusations étaient hallucinantes: j’aurais tiré les cheveux, insulté, humilié… La famille avait inventé un tas de choses. Pire: 6 lettres anonymes avaient été envoyées à l’inspection, toutes le même jour. Et toutes reprenant le même vocabulaire: des mots grossiers que je n’utilise jamais. J’étais abasourdie. L’inspecteur s’était entretenu avec la famille M. auparavant et était convaincu de ma culpabilité.
J’ai tenté de lui exposer ma version, les nombreux témoignages élogieux en ma faveur, j’ai reconnu la punition et le fait que nous avons rangé le bureau ensemble, tout comme mon côté exigeant, mais toujours bienveillant. Il m’a peu laissé m’expliquer et a poursuivi son monologue avec des termes comme ‘procédure’, ‘enquête’, ‘procureur’. Puis il a mis un terme à l’audition en me proposant une suspension conservatoire de 4 mois, le temps de l’enquête.”
Une mise à l’écart injustifiée
“Je suis sortie de l’entretien dévastée. L’école, c’était ma vie. Cette mise à l’écart injustifiée sonnait comme une condamnation. J’ai appelé mon mari pour qu’il m’empêche de m’envoyer dans le ravin sur le chemin du retour.
Puis j’ai sombré… 3 mois de larmes, d’incompréhension et d’angoisse. Le stress était tel que j’ai développé des tremblements. Mon corps s’était disloqué. C’était comme si on m’arrachait les nerfs, de la tête jusqu’au bout des pieds. Je me réveillais la nuit pour me débarrasser des spasmes et tenter de faire partir cette colère qui ne sortait pas. Du jour au lendemain, j’étais devenue une enseignante sans raison d’être, une femme sans vie, une maman qui ne savait plus que pleurer.
L’école, c’était ma vie. Cette mise à l’écart injustifiée sonnait comme une condamnation.
Mon mari et mes enfants ont été extraordinaires. Ils ont pris soin de moi avec énormément d’amour, me faisant sortir, manger, respirer… Je me souviens d’un jour où, dehors avec mon époux, je me suis collée contre lui pour me protéger du regard des gens. J’avais l’impression que tout le monde savait et me jugeait coupable.”
Le corps qui somatise
“En décembre, j’ai été auditionnée à la gendarmerie. Comme à une criminelle, on m’a rappelé mes droits puis interrogée à charge, 2 heures durant. La famille de Roméo avait effectivement le bras long, et ils avaient été parfaitement conseillés. Moi, je n’avais rien préparé d’autre que ma vérité et une vingtaine de lettres de soutien écrites par des familles. Je me sentais faible, minuscule, démolie. J’ai pensé épuisement, ras-le-bol, envie que tout s’arrête. Je ne savais pas que j’aurais dû accepter la proposition de la gendarme de déposer plainte pour calomnie. Aussi j’ai refusé, déjà contente d’avoir pu parler devant une instance de loi.
À partir de cette audition, mes pleurs sont devenus moins nombreux, mais mon corps a somatisé davantage. La souffrance émotionnelle et physique était devenue insupportable. À la nouvelle année, j’ai eu envie d’en finir. C’est l’amour de mes proches qui m’a tenue en vie.”
Un retour et un au revoir
“Je devais revenir à l’école le 22 mars. Mais 3 semaines avant, je n’avais toujours aucune nouvelle de l’inspection. Ne supportant plus de ne rien savoir, j’ai fini par contacter l’inspecteur, qui m’a convoquée le 19 mars… soit 3 jours avant ma réintégration. La rencontre fut glaciale: ‘L’enquête s’arrête ici. Vous reprenez lundi. L’institution ne vous soutiendra pas.’ Aucune explication, aucun document officiel, aucun dialogue. Je voulais parler. Il m’a fait taire.
J’aime toujours autant mon métier, mais quelque chose s’est brisé.
Je suis retournée dans ma classe le jour convenu. Juste une journée. Après quoi mon médecin m’a arrêtée jusqu’en juin. Je ne me voyais pas reprendre dans cet établissement après tant de souffrance. À la fin de l’année, je suis allée dire au revoir à mes élèves et j’ai tout expliqué aux parents. J’ai demandé ma mutation.
Depuis, je travaille dans une petite école de campagne où j’ai été bien accueillie. J’aime toujours autant mon métier, mais quelque chose s’est brisé. Quoi que je fasse, j’ai l’impression de vivre avec une petite caméra au-dessus de ma tête. J’analyse tout ce que je fais, tout ce que je dis… Il y a 2 ans, à ma demande, un inspecteur est venu évaluer mon travail. À la fin de sa journée, il m’a félicitée pour l’ambiance dans la classe, les apprentissages des enfants et ma façon d’accompagner mes élèves. Cette reconnaissance, j’en rêvais depuis le début de ma plongée en enfer. Ce jour-là, j’ai vécu une libération.”
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Suivi psychologique
“Malgré tout, je suis encore en suivi psychologique. Je garde dans un coin de ma tête la peur du pouvoir des autres. C’est épuisant, au point que je ne sais pas si je dois rester dans l’enseignement. Il me reste 10 ans de carrière. J’ai toujours rêvé d’être ‘maîtresse d’école’, persuadée que c’est l’un des plus beaux métiers du monde. Depuis 30 ans, j’arrive chaque jour une heure avant le début des cours, je repars une heure après et je travaille à l’heure du déjeuner, parce que j’adore les enfants. Je m’investis au maximum pour leur assurer un avenir meilleur. Il a suffi d’une accusation mensongère pour tout remettre en question.
Jusqu’il y a un mois, je voulais croire que si la famille de Roméo avait su le mal qui avait été fait, elle aurait agi autrement. Mais je viens d’apprendre que les parents ont accusé une autre enseignante. Et qu’ils s’en sont vantés. Heureusement, la vérité a été vite rétablie cette fois et ma collègue a échappé à ce calvaire. Moi, ce qui m’a sauvée, c’est l’extraordinaire soutien de mon entourage. Grâce à eux, je me sens plus forte désormais.
Je veux me tenir debout pour ne pas laisser cette injustice voler ce qui a toujours donné du sens à ma vie. Et pour transmettre un message d’espoir: on peut dépasser la souffrance et retrouver le goût de vivre. Aujourd’hui, chaque sourire d’élève, chaque progrès me rappelle que je peux faire la différence dans la vie des enfants. Et qu’en plus de leur enseigner le savoir, je peux leur apprendre la résilience et l’humanité.”
Pour aller plus loin
Résilience. De l’accusation à la reconstruction, Marguerite Francine, éd. Librinova
*Prénoms d’emprunt. Texte: Marie Bryon
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