Sadia Seikh affaire
À 20 ans, elle fuit à Mons pour poursuivre ses études et s'installer avec Jean… © Noces/Docs privés

Affaire criminelle: Sadia, morte pour l’honneur

Elle avait 20 ans et la vie devant elle. Intelligente, pétillante, belle, elle voulait juste être une fille de son âge, libre et amoureuse. Mais pas du garçon que lui avaient choisi ses parents…

“Jamais je n’épouserai ce type!”, hurle Sadia en claquant la porte de la maison. Comment ses parents peuvent-ils lui faire ça, à elle qui a toujours obéi, qui cumule les résultats brillants à l’école et qui rêve d’une carrière d’avocate? Alors, à la veille de ses 18 ans, elle fugue, déterminée à quitter cette famille de cinglés qui a promis, quand elle avait 12 ans, sa main à un vague cousin resté au pays. Un gars qu’elle n’a jamais vu! Pas question, c’est leur culture, leurs traditions, pas les siennes. Elle, elle est née ici, à Charleroi, elle a grandi “à l’européenne”. La Belgique, c’est son pays, sa vie.

Marier par arrangement, c’est la tradition

Dans le quartier, les Sheikh, famille discrète et sans histoire, sont appréciés par leurs voisins. Tariq et Parveen ont quitté le Pakistan dans les années 70 et ont eu cinq enfants: les aînées, Fozia et Tahira, sont mariées et ont déjà quitté le nid; Mudusar, seul garçon de la fratrie, est très complice avec Sadia, l’avant-dernière; Sariya, la cadette, passe son temps à épier sa sœur pour ensuite tout cafeter aux parents. Lesquels tiennent à leur transmettre les valeurs pakistanaises et leur imposent d’étudier le Coran et la langue arabe. Eux aussi, ils ont été mariés par arrangement, c’est la tradition.

Sadia épousera Abbas, que ça lui plaise ou non. Pour qu’elle daigne rentrer à la maison et se prêter à une cérémonie religieuse par Internet, ils lui promettent de la laisser s’inscrire à la fac de droit. Alors elle rentre, participe à ce simulacre de mariage, et entame ses études. Mais un an et demi plus tard, la jeune épouse est priée d’aller au Pakistan pour officialiser son mariage, comprenez “être violée par Abbas en espérant qu’elle tombe rapidement enceinte”.

Sadia épousera Abbas, que ça lui plaise ou non. © Noces/Docs privés
Tu as trois jours pour réfléchir. Sinon je vous tue tous les deux.

Fuir pour vivre

Le 27 mars 2007, elle prend ses 20 ans à deux mains et part à Mons pour poursuivre ses études et s’installer avec Jean, dont elle est secrètement amoureuse depuis longtemps. Dans la foulée, elle porte plainte contre son père: “Il est venu me trouver à l’école, m’a serré le bras et m’a dit: ‘Si tu ne contribues pas à mon bonheur et à celui des miens, je ne vous laisserai pas vivre en paix, toi et ton copain. Tu as trois jours pour réfléchir. Sinon je vous tue tous les deux'”.

Sadia ne rentre pas. Elle sait qu’elle risque gros mais elle résiste. Un message plus apaisant de son frère l’invitant à trouver une solution pacifique lui fait baisser sa garde. Alors elle ravale sa peur et cède aux mains tendues de sa famille. Un rendez-vous est pris pour le lundi 22 octobre, elle viendra déjeuner chez eux le midi. Mudusar vient l’accueillir à la sortie des cours.

Piégée à jamais

À leur arrivée, point de casserole sur la gazinière, de table dressée pour le repas, ni de parents, pourtant si impatients de retrouver Sadia. Seule, Sariya est là pour l’accueillir. Quelques minutes plus tard, la centrale des secours reçoit un appel terrifié. “Envoyez vite une ambulance à la rue du Chênois numéro 220 à Lodelinsart. Quelqu’un a tiré des coups de feu sur ma sœur!”.

Sadia gît dans une mare de sang, elle ne survivra pas. Sariya, elle aussi, est blessée par balles. Pour le juge d’instruction chargé du dossier, l’affaire paraît entendue: il s’agit d’une banale et tragique dispute familiale. Pour les amis de Sadia, en revanche, qui connaissent son histoire et la savaient en danger, aucun doute: c’est un crime d’honneur fomenté par toute une famille. Mudusar a pris la fuite et coupé son GSM. Les Sheikh prétendent ignorer où il se cache, mais le juge en doute et ordonne leur mise sur écoute. Ce qu’il découvre alors fera basculer l’enquête…”.

Un plan minutieusement préparé

Plusieurs éléments convainquent les policiers que Tariq, le père, s’apprête à partir au Pakistan, et ils décident de l’interpeller. Tour à tour, les membres de la famille sont interrogés. Ceux-ci semblant se méfier, des micros sont placés à plusieurs endroits stratégiques de la maison. On les entend préparer soigneusement leurs auditions et entrer en contact à maintes reprises avec Mudusar. D’autres mensonges sont mis au jour, notamment sur le récit des faits. Ils prétendent avoir déjeuné tous ensemble, or aucun repas n’a eu lieu. Qu’il s’est écoulé une demi-heure entre l’arrivée de Sadia et les tirs, alors que tout indique que le drame s’est joué en deux ou trois minutes.

Fin janvier 2008, après quatre mois de cavale, Mudusar est arrêté et livre sa version: une violente dispute avec ses sœurs durant le repas, et une issue fatale dans un geste de colère. Pourtant, les expertises balistiques et médicolégales sont formelles: ça ne tient pas la route. Sariya n’a pas été blessée en tentant de protéger sa sœur, comme elle l’affirme. Au contraire, c’est en voulant la retenir quand elle tentait de s’échapper qu’elle a été atteinte par un projectile “réessuyé”, autrement dit une balle qui a d’abord traversé le corps de Sadia avant de se loger dans le bras gauche de Sariya.

Le “premier” crime d’honneur de Belgique

Trois ans d’enquête, des centaines d’auditions, des dizaines d’expertises, deux reconstitutions, 150 témoins convoqués et enfin, en novembre 2011, le procès s’ouvre à la cour d’assises du Hainaut. C’est la première fois qu’une affaire est jugée en tant que “crime d’honneur” dans l’histoire judiciaire belge, peu coutumière de la problématique des mariages forcés. Sur le banc: un père, une mère, un frère et une sœur, accusés d’avoir organisé l’assassinat de leur fille et sœur avec préméditation, pour laver leur honneur. Ils risquent la perpétuité.

La chasteté d’une sœur, c’est la fierté de son frère

Face à eux, aucun membre de la famille de Sadia n’est là pour la représenter. C’est l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes qui se constitue partie civile. Les témoins dressent un portrait élogieux des Sheikh et de l’accusé principal, Mudusar, fils respectueux, bosseur, très attaché aux valeurs traditionnelles et se sentant investi, en tant que garçon, d’un rôle protecteur envers ses sœurs. Quand il a appris que Sariya séchait les cours et que Sadia fréquentait un non-musulman, non choisi par ses parents, il a vu rouge car “la chasteté d’une sœur, c’est la fierté de son frère”, lance-t-il à la barre. Alors il a voulu les tuer toutes les deux.

Reconnue coupable

Mudusar a beau vouloir disculper ses proches et endosser seul la responsabilité de l’assassinat, ses “aveux” ne trompent personne. Mis bout à bout, tous les éléments – les écoutes, la téléphonie, les auditions, les rapports d’expertise – démontrent qu’il n’a pas agi seul. La thèse du complot familial est retenue. Mudusar et Tariq sont reconnus coupables d’avoir voulu marier Sadia de force, et coupables, avec Parveen et Sariya, de son meurtre. Le père écope de 25 ans de prison, la mère de 20 ans, le frère de quinze et la sœur, à qui sont prêtées des circonstances atténuantes, de cinq ans. Le recours en cassation introduit par les parents et un second procès ne changeront rien à la vérité judiciaire. Le 21 décembre 2012, les jurés de Namur confirment le verdict rendu un an auparavant à Mons.

Quant à Sadia, elle a été inhumée au Pakistan, dans la concession de la famille du jeune homme à qui elle avait été promise. Mariée à lui pour l’éternité.

Le film à voir

Noces de Stephan Streker, sorti en 2018.

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