
“Le patient que je n’oublierai jamais”: 10 infirmières témoignent
Être infirmière, c’est bien plus que soigner: c’est écouter, soutenir, et parfois porter avec soi des histoires indélébiles. 10 professionnelles partagent la rencontre qui a marqué leur carrière.
L’enfant aux urgences qui ne s’en est malheureusement pas tiré. La jeune fille dont les os étaient brisés, mais qui faisait preuve de tant de courage… Toute infirmière a un jour rencontré un patient qui a pris une place spéciale dans son cœur. On vous conte 10 histoires extraordinaires.
1. “Elle a été une source d’inspiration”
Cécile, 75 ans. “Elle avait 17 ans et avait été renversée par un bus sur le chemin de l’école. Elle était arrivée au service de chirurgie gravement blessée, les os brisés. C’était il y a plus de 50 ans. J’étais jeune, elle aussi, le courant est passé. Elle a été une source d’inspiration pour moi. Avec elle, j’ai appris comment on soigne des fractures, mais aussi ce que ça signifie persévérer. Comment accorder un maximum d’attention à un patient et le distraire de ses blessures. Comment vraiment écouter quelqu’un, sans dire un mot. Elle m’a même appris comment peler les pommes de terre. (Rires.) Elle était si jeune, mais déjà si adulte.
Elle est restée dans notre service pendant des mois et, pendant tout ce temps, nous avons formé une équipe soudée. Je l’encourageais à avancer. Je l’ai aussi soutenue lorsqu’elle a elle-même voulu devenir infirmière, mais doutait d’en être capable physiquement et mentalement. Mais elle y est arrivée.”
2. “J’ai eu l’impression de perdre un grand-père”
Ève, 39 ans. “En tant qu’infirmière à domicile, on fait presque partie de la famille de nos patients. On les soigne, on les écoute, on les connaît par cœur. Ils nous font souvent plus confiance qu’à leur propre famille. André est un de mes patients que je n’oublierai jamais. Il est décédé à 98 ans. Il me racontait des tas de choses, sur la guerre, sur l’hôtel qu’il tenait, sur sa femme, dont il s’est occupé jusqu’au bout même s’il avait déjà lui-même des problèmes de santé. J’étais émue quand il me racontait tout ça. André me disait aussi à quel point c’était difficile pour lui de se débrouiller dans le monde numérique actuel.
Pendant 5 ans, je suis allée chez lui presque tous les matins et tous les soirs. Je l’aidais à se laver et s’habiller, je lui apportais parfois le journal. Ça ne faisait pas vraiment partie de mon travail, mais pour André, je le faisais avec plaisir. C’était un homme chaleureux, qui ne cachait pas que je lui manquais quand je partais en vacances. C’était aussi un homme fier, qui trouvait difficile d’admettre qu’il avait besoin d’aide pour des choses simples. À la fin, il était un peu moins joyeux. Il n’entendait plus bien, sa vue se dégradait et lire son journal – ce qu’il aimait tant – devenait de plus en plus fastidieux. Ça le rongeait. Sa famille disait souvent qu’il deviendrait centenaire, mais quand je me retrouvais seule avec lui, il me confiait qu’il ne voulait pas vivre jusque-là. Il avait eu une belle vie et il était en paix avec ça.
Ses derniers jours, il ne les a pas passés chez lui: il était tombé et avait été transféré de l’hôpital dans une résidence pour personnes âgées. Il n’y a vécu que quelques jours. Ça s’est passé exactement comme je m’y attendais. Une maison de repos, ce n’était pas pour le fier André. Quand j’ai reçu la nouvelle de son décès, j’ai eu l’impression d’avoir perdu un grand-père. Et chaque fois que je passe devant sa maison, j’ai cette image de lui, qui m’attend, assis à la table de la cuisine, ses médicaments devant lui. On ne peut pas expliquer le lien si spécial qui vous unit avec quelqu’un comme lui. André m’a appris comment on peut être heureux avec peu de choses et comment, quoi que l’on traverse, rester positif dans la vie.”
3. “Il avait suggéré qu’on m’engage”
Christelle, 61 ans. “C’était en 1984. J’étais en dernière année d’études d’infirmière et pendant ma dernière période de stage, juste avant les examens de fin d’année, j’ai dû m’occuper d’un monsieur qui avait été opéré de l’appendicite. On ne s’en rend plus compte aujourd’hui, mais à l’époque c’était très difficile de trouver un boulot d’infirmière. Entre mes 2 derniers examens, j’ai posé ma candidature pour un poste dans l’hôpital de mon dernier stage… et j’ai été prise! Quelques semaines plus tard, j’ai appris par un maître de stage que ce monsieur que j’avais soigné était tellement élogieux à mon sujet qu’il avait suggéré qu’on m’engage. Malheureusement je n’avais pas ses coordonnées et je n’ai jamais pu le remercier, mais je n’oublierai jamais son aide pour le début de ma carrière d’infirmière…”
4. “Je savais que c’était grave”
Anne-Marie, 59 ans. “Je travaillais aux urgences d’un hôpital pédiatrique et, une nuit, on nous a amené un petit garçon en détresse. Il criait: ‘Maman! Maman!’ et en l’entendant, avec mes 20 ans d’expérience dans ce service, je savais que c’était grave. Sa mère avait consulté un généraliste le matin même parce que son fils avait de la fièvre et une éruption cutanée. Ça ne semblait pas très grave, mais le petit se sentait de plus en plus mal et les parents étaient de plus en plus inquiets. Le médecin les avait envoyés à l’hôpital local, mais quand son état s’est encore dégradé et qu’il a frôlé l’état de choc, on l’a transféré chez nous. Dans un moment pareil, tout le monde est sur le pont. Nous étions 6 autour de lui et chacun faisait précisément ce qu’il devait faire. Poser les perfusions, administrer les médicaments, aider les médecins, effectuer des tests sanguins, surveiller la tension, informer régulièrement la maman…
Après 3 heures, nous l’avons vu partir sous nos yeux. Une septicémie, ça peut être foudroyant…
Nous avons tout essayé, mais rien n’y faisait. L’enfant, qui semblait souffrir de septicémie en réaction à une méningite, était de plus en plus mal. Nous avons essayé de le réanimer jusqu’au dernier moment . Mais après 3 heures, nous l’avons vu partir. Une septicémie, ça peut être foudroyant… Après toute cette tension, ce stress, cette panique, tout s’est arrêté. Nous avons pris des photos et une empreinte de sa main. Un dernier souvenir pour les parents. On vit souvent des choses déchirantes dans un service d’urgences, la joie et le chagrin y sont souvent mêlés. Ce jour-là, nous n’avons pas pu sauver ce petit garçon. Et après toutes ces années, j’en reste toujours bouleversée.”
5. “On faisait une farandole jusqu’à la salle à manger”
Dina, 60 ans. “Il y a environ 40 ans, je travaillais comme aide-soignante dans une maison de repos, dans la section pour les résidents atteints de démence. C’est là que j’ai rencontré Theresia, originaire d’Indonésie. Elle avait perdu beaucoup de ses facultés, mais pas sa dignité. Elle pouvait parfois vous regarder de haut, l’air de dire: ‘Je ne suis pas née de la dernière pluie, ma petite!’ Je l’aidais toujours à sortir de son lit la dernière, parce qu’elle n’était pas une lève-tôt, et quand je devais la réveiller, je commençais à chanter ou à fredonner. Theresia enchaînait toujours avec des chansons indonésiennes, c’était de bons moments. Elle m’a même appris quelques mots d’indonésien, ce qui nous faisait beaucoup rire.
Après les soins du matin, on faisait une farandole jusqu’à la salle à manger et à la fin, elle me regardait dans les yeux et me disait chaque fois : ‘Tu es un monyet.’ Ce qui veut dire ‘singe’, parce que je lui faisais toujours des blagues. C’est le seul mot d’indonésien que j’ai retenu. Je n’oublierai jamais Theresia, pour sa joie de vivre et sa dignité. Je suis reconnaissante d’avoir pu prendre une petite place dans le monde d’une personne si merveilleuse.”
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6. “Elle me demandait toujours comment j’allais”
Hélène, 42 ans. “J’étais très jeune, à peine 18 ans, et j’effectuais mon premier stage à l’hôpital, en oncologie. En tant qu’étudiante de première année, je ne pouvais pas encore faire grand-chose, mais si nous avions du temps, nous pouvions passer dans les chambres pour discuter avec les patients. Clara avait été opérée des intestins et elle savait que j’étais une infirmière débutante. Mais elle m’a vraiment mise à l’aise. Par exemple, elle comprenait que ce devait être étrange de devoir laver pour la première fois quelqu’un que je ne connaissais pas. Elle m’a dit : ‘Vous dégagez de la sérénité, vous avez le cœur au bon endroit.’ Et elle m’assurait que j’étais faite pour ce job. Ça a apaisé mes incertitudes.
C’était quelqu’un de courageux et de calme. Elle savait que râler et pleurer ne l’aiderait pas. Chaque matin, elle me regardait en souriant et me demandait comment j’allais, alors que c’était elle, la patiente. Le dernier jour de mon stage, nous avons échangé nos coordonnées et quelques semaines plus tard, elle m’a envoyé une magnifique lettre. Elle m’a écrit qu’elle ne m’oublierait jamais. Clara doit avoir presque 90 ans aujourd’hui, mais la bonté qu’elle a partagée avec moi à l’époque m’enveloppe encore chaque fois que je pense à elle.”
7. “Certaines personnes donnent tout pour s’occuper d’un proche”
Anne, 52 ans. “De tous les endroits où j’ai été infirmière à domicile, il y en a un qui se distingue des autres, c’est chez Jeanne. Pendant 18 ans, je suis venue chez elle pour les soins de sa sœur, qui avait un handicap physique et mental et qui vivait chez elle. Jeanne faisait tant de choses pour sa sœur, c’était incroyable! Elle s’était d’abord occupée de ses parents, jusqu’à leur mort, alors que sa sœur vivait toujours avec eux. Et sur le lit de mort de sa mère, elle lui a promis de prendre sa sœur chez elle. Une magnifique promesse, mais avec de grandes conséquences sur sa propre vie et celle de son mari, puisque sa sœur a besoin de soins en continu.
Jeanne vit pour les autres. Tout le monde est le bienvenu chez elle.
Mais Jeanne vit pour les autres. Tout le monde est toujours le bienvenu chez elle. Faire à manger pour ses enfants qui n’habitent plus avec elle? Cuisiner 25 bûches de Noël et les offrir à tous ses proches, moi y compris? C’est Jeanne! Elle déborde d’énergie. Quand je passais chez eux, j’étais toujours accueillie avec un sourire, une anecdote, une tasse de café et un morceau de tarte. La pandémie de Covid a été une période très difficile pour Jeanne. Elle et sa sœur ont été si malades qu’elles ont dû être emmenées en ambulance à l’hôpital. La vie de Jeanne n’a tenu qu’à un fil et la maladie et la longue revalidation ont laissé des traces. Elle n’est plus aussi alerte qu’avant.
Elle et son mari vieillissent et se rendent compte qu’ils n’auront pas éternellement l’énergie pour s’occuper de la sœur de Jeanne. Ils ont déjà trouvé une place pour eux 3 dans une maison de repos du quartier, pour pouvoir rester ensemble. Aujourd’hui, je ne travaille plus comme infirmière à domicile, mais au fil des ans, j’ai pu voir que certaines personnes peuvent tout donner pour s’occuper de leur conjoint ou d’un membre de leur famille, jour et nuit. Je ne sais pas où Jeanne et tant d’autres trouvent cette force et ce courage, et je ne sais pas si je pourrais en faire autant.”
8. “Il devait se marier 2 jours plus tard”
Isabelle, 51 ans. “Un samedi aux urgences. Un homme d’une septantaine d’années arrive, victime d’une crise cardiaque. Malheureusement, nous ne pouvons plus rien faire pour lui. Il devait se marier 2 jours plus tard, pour tous les 2, c’était la 2e fois, nous explique la femme qui était avec lui, sa fiancée. Je l’ai informée de tout ce que nous avions fait pour lui et je l’ai accompagnée du mieux que j’ai pu dans cette séparation: une fleur, une bougie, de la lumière tamisée… Je trouvais ça si triste pour elle.
Lorsque le faire-part de décès est arrivé quelques jours plus tard, j’ai vu que j’y étais mentionnée. Moi, qui ne l’avait connue que quelques heures! Dans des moments comme ça, je sais pourquoi notre métier est important et ce qu’on peut signifier pour quelqu’un, spécialement lors de ces derniers instants.”
9. “Il a gravé un CD pour moi”
Maria, 70 ans. “J’ai travaillé pendant des années dans un centre psychiatrique où les gens pouvaient venir 24 h/24. Nous avions un grand salon où les patients allaient et venaient. Pour beaucoup d’entre eux, souffrant souvent de schizophrénie, c’était l’endroit où ils pouvaient dire ce qu’ils avaient sur le cœur. Je travaillais là seulement le week-end, je leur servais du café, un morceau de tarte et je discutais avec eux. Leurs histoires étaient souvent tristes. À cause de leur trouble, ils ne pouvaient plus revenir dans leur famille. Ils étaient incompris, j’ai vu beaucoup de solitude. Le patient que je n’oublierai jamais – appelons-le Jérôme – venait chaque jour au centre. Et chaque jour, il me racontait la même histoire, sur la musique qu’il faisait et combien il aimerait réussir dans le show-business.
Lorsque j’ai pris ma pension, il y a 6 ans, Jérôme a gravé un CD pour moi, une compilation des chansons importantes pour lui et aussi quelques-unes de ses propres compositions. Il me l’a donné un peu maladroitement. Il était gêné, mais il voulait me faire comprendre que nos conversations lui avaient fait du bien. Le fait qu’il ait pris du temps pour choisir cette musique m’a beaucoup émue. J’ai toujours ce CD dans mon armoire et quand je l’écoute, je pense à cet homme pas comme les autres, qui vivait pour sa musique.”
10. “Elle ne connaissait personne en Belgique”
Martine, 55 ans. “Des victimes d’un feu d’artifice ou d’incendie, des gens qui se sont brûlés avec de la soupe ou de l’huile pour friture… Voilà le genre de patients qui arrivent chez nous. Je travaille comme infirmière sociale dans l’un des 6 centres pour grands brûlés en Belgique et je suis continuellement en contact avec des gens qui traversent un moment très difficile de leur vie. Certains restent plusieurs mois chez nous pour récupérer le mieux possible au niveau physique et mental.
Un de ces patients était Leonor, une Portugaise. Un incendie avait ravagé son appartement et elle était arrivée chez nous avec des brûlures sur 30% du corps. Elle ne connaissait personne en Belgique. Lors des mois qu’elle a passés chez nous, avec des hauts et des bas, j’ai pris soin d’elle le mieux possible. Chercher un nouveau logement à prix abordable, trouver un interprète quand sa famille du Portugal est venue lui rendre visite, l’encourager avec notre psychologue quand elle n’en pouvait plus… Je l’ai vue évoluer, d’une femme qui avait tout perdu à quelqu’un d’à nouveau autonome. Je lui souhaite de tout cœur un bel avenir.”
Texte: Herte De Cleyn et Estelle Spoto
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