© Leon Biss/Unsplash

Témoignage: “La prostitution m’a aidée à surmonter le viol”

Comment se remettre d’un viol? Abusée puis désabusée, Caroline a failli sombrer. Son chemin de résilience est passé par la prostitution. Pour reprendre le pouvoir sur son corps et sur sa vie, elle est devenue escort-girl.

“C’est une discussion qu’on a parfois entre filles: ‘Et toi, comment tu réagirais si tu te faisais violer?’ J’avais 18 ans, je ne connaissais le viol que par les séries télé, je voyais des vies complètement bousillées. Du coup, j’avais un avis très tranché: ‘Moi, c’est sûr, je me suis suicide! C’est impossible de survivre à un truc aussi horrible!’ On discutait tout en se disant que ça ne nous arriverait jamais. Puis un jour, ça m’est arrivé…

L’histoire du train

Un jour de 2009, à la veille des vacances de Pâques. J’ai fait la fête avec des copains et je reprends le premier train du matin. Quand je monte dans le wagon, il y a quelques garçons à moitié endormis. Je n’y prête pas vraiment attention, je m’installe derrière eux. Très vite, un des garçons m’interpelle. Il veut écouter ma musique, il arrache mes écouteurs, il essaie de prendre mon iPod. Je me lève pour changer de wagon, mais il me suit. Je comprends que ça va mal se terminer. Il me ceinture, il ouvre mon manteau, fait sauter les boutons de ma chemise, arrache mon soutien-gorge. Je lui donne des coups de pieds dans le ventre mais ses potes viennent lui prêter main forte. Ils sont trois à me maintenir allongée sur la banquette, et ils vont me violer tous les trois.

Puis le train s’arrête en gare, ils descendent tranquillement pendant que j’essaie de rassembler ce qu’il me reste de vêtements. Je suis à moitié nue et complètement dévastée. Les heures qui suivent, c’est police, hôpital, unité médico-légale. On me fait des prises de sang, des analyses d’urine, des prélèvements vaginaux. On me coupe même les ongles pour récupérer les bouts de peau que j’aurais éventuellement arrachés à mes agresseurs. J’ai l’impression d’être plongée dans un épisode des Experts. Je parle avec ma mère. Je lui dis que non, je ne serai pas comme ces filles des séries. Non, je ne vais pas m’effondrer. J’ai été violée, O.K., mais la vie continue. Alors que mes proches parlent pudiquement de ‘l’histoire du train’, j’utilise le mot ‘viol’ assez naturellement. Je décide d’être dans le combat, pas dans le trauma!

Un corps sans âme

Rien ne va pourtant se passer comme je le voudrais… Avant le viol, j’étais première de classe, je rêvais d’étudier les sciences politiques puis de devenir journaliste, et personne ne doutait que j’y arriverais. Mais après, petit à petit, et malgré ma bonne volonté, je commence à sombrer. Il y a d’abord la trithérapie qui m’a été prescrite à titre préventif au cas où l’un des violeurs m’aurait transmis le sida. Le traitement dure trois mois et les effets secondaires sont très lourds: je fais des cauchemars horribles et je suis incroyablement fatiguée.

Puis, je me rends compte que je deviens violente. Un jour de juin, à l’école, un garçon me met une petite tape derrière la tête. Le geste n’est pas bien méchant, mais ça me met hors de moi. Il n’est plus question qu’un homme me touche, m’agresse, m’humilie, me soumette. Je me lève d’un bond, je lui attrape les cheveux et je lui mets des coups de pied dans l’entrejambe. Je ne réfléchis pas, c’est un réflexe, je suis en transe. En août, ça recommence. Je frappe pour me soulager. Maman m’a emmenée en vacances sur l’île de Fuerteventura avec mon petit frère. Je profite du all inclusive pour boire comme un trou. J’espère atténuer ma souffrance et ne plus penser à rien, mais ça ne fait qu’accentuer mon mal-être.

En septembre, je renonce à m’inscrire en sciences politiques. Je n’ai plus envie de rien. J’erre sans but. J’enchaîne les petits boulots. Je me cherche, je me perds surtout. Je bois seule, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Je teste les drogues dures. Je suis éteinte. Je suis un corps sans âme. Je ne suis plus qu’une enveloppe charnelle vide. Je suis là physiquement, mais plus émotionnellement. Malgré tout, au plus profond de moi, je suis certaine que je vais m’en sortir. Je ne sais pas encore comment, mais je vais m’en sortir…

Payer pour racheter

Le déclic va venir d’un livre: King Kong Théorie de Virginie Despentes. Elle y évoque le viol qu’elle a subi. Ça me parle. Puis elle raconte son passage par la prostitution. Comment ça l’a aidée à se réapproprier son corps et à reprendre le pouvoir sur les hommes. Vu de l’extérieur, ça peut paraître dingue mais moi qui ai été violée, je comprends. L’idée commence alors à me trotter dans la tête. Je me choisis un prénom d’emprunt – Candy – et je m’inscris dans une agence d’escorts.

Les premières fois que la bookeuse m’appelle, j’invente toutes sortes de contretemps pour refuser le rendez-vous. Puis, un jour, je me lance. Ma vie prend une tournure que jamais je n’aurais imaginée: je suis une pute. Et ça me procure une incroyable sensation de pouvoir et de liberté. Pour la toute première fois depuis mon viol, je me sens à nouveau maître de mon corps. Ce corps que certains m’ont pris de force, je revendique maintenant d’en faire ce que je veux, avec qui je veux. Je reprends le contrôle. Pour avoir l’honneur de me toucher, il faut le mériter. C’est moi qui décide où, quand, comment, avec qui et pour combien. Je fais payer les hommes. Dans tous les sens du terme. Et ils paient cher, très cher. C’est une façon de racheter ce qu’ils m’ont pris dans ce train pourri, une façon de récupérer ma dignité perdue. Et ça me fait beaucoup de bien.

Que les choses soient claires: je ne fais pas l’apologie de la prostitution. Lorsqu’une fille est exploitée et maltraitée, c’est juste ignoble. Mais en ce qui me concerne, c’est un acte choisi, réfléchi et qui s’avère libérateur. Je ne dis pas non plus qu’il faut passer par la prostitution pour se relever d’un viol mais moi, ça m’aide. J’ai la chance de rencontrer des gens bien. Notamment des clients réguliers à qui je me confie, qui sont touchés par mon histoire et qui me poussent à aller de l’avant. Un jour, l’un d’eux me dit: ‘Je te souhaite tout le bonheur du monde!’

Quelques séances de photos de charme contribuent aussi à ce que je reprenne confiance en moi. Je comprends que je peux encore être sublimée alors que j’ai été salie, humiliée, rabaissée, dévalorisée. Être mise quelques heures sur un piédestal par un photographe, ça fait beaucoup de bien à l’estime de soi.

La page est tournée

Au fil des semaines et des mois, les appels s’enchaînent et les rendez-vous se confirment. Je pourrais gagner des fortunes, mais ce n’est pas mon objectif. Petit à petit, je sens que je vais mieux, je me retrouve, je reprends goût à la vie, je recommence à avoir des projets… Voilà une bonne année que je me prostitue, je me dis qu’il temps de refermer la parenthèse et de reprendre une vie normale.

Et là, un coup de chance: je vois une affichette à la devanture d’une entreprise, ils cherchent une hôtesse d’accueil, je pousse la porte et je suis engagée illico! Je pourrais garder quelques clients sur le côté pour arrondir les fins de mois… Mais non, j’arrête la prostitution pour de bon. La page est définitivement tournée. Je n’ai ni honte ni regret. Au contraire, je suis fière de mon parcours. Moi qui croyais qu’une fille violée était bousillée, moi qui pensais me suicider… J’ai réussi à me relever! Le plus important dans la vie, ce ne sont pas les épreuves que l’on subit, mais les décisions que l’on prend pour s’en sortir. Et moi, je m’en suis sortie.”

Texte: Christine Masuy / Coordination: Julie Rouffiange

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