
Témoignage: “J’ai changé d’identité pour échapper aux nazis”
Jeannette et Jacques, enfants juifs cachés pendant la guerre, livrent un témoignage rare sur leur survie sous l’Occupation nazie.
Nous avons rendez-vous avec Jeannette Aron Goldstein dans sa jolie maison uccloise. Ce jeudi ensoleillé de mars, elle a accepté d’évoquer les années durant lesquelles elle s’est appelée… Jeanine Collet. À ses côtés, son mari raconte aussi. Leurs histoires, transmises avec une pudeur extrême, nous ont bouleversée tout en nous rappelant l’importance de “raconter pour ne pas oublier”.
Jeannette: “On m’a baptisée et donné une fausse identité”
“Je suis née en 1933. Au début de la guerre, j’étais donc une petite fille d’à peine 7 ans, avance Jeannette. Avec mes parents et mon frère, on vivait à Forest. Dès 1940, même si nous étions encore trop jeunes pour comprendre les enjeux de cette guerre, les fameuses ordonnances sur le statut des Juifs ont réduit peu à peu nos droits et notre liberté. Certaines actions ont été rapidement mises en place, notamment grâce au Comité de Défense des Juifs (CDJ), qui s’est fortement mobilisé pour sauver les enfants.
Dès la rentrée de 1942, nous n’avons plus pu nous rendre à l’école. J’ai alors été placée dans un institut catholique, loin de ma famille. Je n’en ai gardé que de vagues souvenirs, sauf celui d’une des religieuses qui nous battait. Par chance, j’ai pu sortir de là. Au début de l’année suivante, je suis arrivée au château de Belœil où je suis restée jusqu’à la fin de la guerre. Mon frère et moi avons été placés dans des ailes séparées du château. Lui avec les garçons, moi avec les filles. L’idée était que les enfants juifs ne puissent pas être identifiés par la Gestapo. On nous a donc mélangés aux enfants non juifs. On m’a baptisée à l’église de Belœil et donné un faux nom: Jeannine Collet.
Seule préoccupation: être à l’abri
Étrangement, en tant qu’enfant, ce sont des situations qu’on subit sans trop poser de questions. De manière générale, on a très peu parlé de tout ça. Avec le recul, j’aurais aimé interroger davantage ma mère, mais après la guerre, quand notre famille s’est retrouvée à Bruxelles, nous nous sommes concentrés sur le présent. Pendant la guerre, tout ce qui comptait pour nos parents, c’était de nous mettre à l’abri et de ne pas trop nous inquiéter. Moins on en savait, mieux c’était.”
À peine une ou deux visites à Belœil!
Jeannette nous montre quelques jolies photos prises à Belœil en juillet 1943: des portraits presque banals d’une maman souriante entourée de ses 2 enfants.
“Ces photos ont été prises l’une des rares fois où ma mère est venue nous rendre visite. À l’époque, elle était cachée à Schaerbeek, chez un couple qui l’avait engagée comme servante pour lui éviter une possible arrestation. En se rendant à Belœil avec de faux papiers, elle prenait un risque énorme. Sans parler du prix du ticket de train. Après la guerre, elle racontait qu’elle avait eu du mal à nous reconnaître. Elle nous avait trouvés très amaigris. Mon père était beaucoup plus typé que maman. Il a donc passé presque toute la guerre seul, caché dans un appartement. Se montrer lui aurait coûté la vie.
À Belœil, nous étions une centaine d’enfants à bénéficier de repas et d’une certaine sécurité. Nous étions un peu scolarisés, mais pas comme si nous étions allés à l’école. À l’issue de la guerre, j’avais pratiquement 4 ans de retard. Mon frère (décédé il y a 2 ans, ndlr) a été beaucoup plus marqué que moi par cette longue période de séparation. Il lui a fallu plusieurs années pour surmonter le choc. Il bégayait, souffrait de nombreuses sautes d’humeur et d’un gros retard scolaire. Dans un contexte de guerre, ce détail semble anodin, mais comme on nous incitait à avoir une vie normale, ça n’en était pas un. Pour ma part, j’ai vécu ce moment comme peut le faire une enfant qui accorde sa confiance à des adultes. Je faisais ce qu’on me disait.”
Le silence et la peur
“Nous ne pouvions pas parler de ce qui nous arrivait. Trop en dire, c’était courir le risque qu’un enfant ou un adulte mis dans la confidence nous trahisse. On vivait dans le silence. Je me souviens très précisément d’un moment où les Allemands sont arrivés au château. Les circonstances exactes m’ont échappées, mais je sais que toutes les petites filles juives ont été séparées du groupe et rassemblées en haut de la tour.
Par l’œil de bœuf, je voyais les jeeps des Allemands. Les soldats passaient en revue les autres petites filles, mais c’était nous qu’ils cherchaient. Le reste de la journée est un peu flou. Je garde juste en tête cette image de moi; celle d’une enfant qui contemplait une scène qui aurait pu lui être fatale. Mon mari, Jacques, est lui aussi un enfant caché, mais son histoire est différente de la mienne. Sa mère, Félicie, a connu un destin tragique qui a forcément eu un impact sur sa vie à lui.”
Jacques: “Mon rêve d’enfant, c’était de voir ma mère revenir”
Jacques a passé la première partie de sa vie à Anvers. “Mais face à la menace de la guerre, j’ai déménagé avec ma famille à Bruxelles, une ville où la communauté juive était plus diluée. Nous étions, disons, moins visibles. Mon père était mort d’un accident de voiture avant la guerre. À Bruxelles, ma mère a rencontré mon beau-père, un Belge qui l’a entraînée dans la résistance avec lui. Cet acte de bravoure lui a été fatal.
Mon beau-père et elle ont été arrêtés au début de la guerre. Même s’il a endossé toute la responsabilité de leurs activités de résistance lors du procès et qu’aucune charge n’a pu être retenue contre elle, ma mère a été livrée à la Gestapo et déportée dans un convoi vers l’Allemagne (les larmes lui montent aux yeux, ndlr). Enfant, mon rêve, c’était de la voir revenir. Il nous a fallu 5 années pour comprendre que ça n’arriverait jamais.
Mouvements de résistance
Dans ce contexte si compliqué, tout était flou et désorganisé. Nous n’avions aucune idée de ce qui se passait là-bas, ni de l’ampleur de l’horreur. Mes grands-parents, eux, ont pu se cacher pendant presque toute la guerre, mais ils ont fini par être arrêtés. Ils ont fait partie du dernier convoi vers Auschwitz.
En 1943, les mouvements de résistance ont mis tout en œuvre pour sauver les enfants juifs. Par ce biais, j’ai été recueilli par Eugène Cougnet, le directeur d’un internat anversois qui avait décidé de louer le château de Bassine pour y cacher des enfants. En octobre, malgré sa bravoure, il a été dénoncé, arrêté, puis déporté vers l’Allemagne dont il n’est jamais revenu. Le groupe d’enfants dont je faisais partie a été emmené vers la citadelle de Huy, puis vers celle de Liège.
Mes grands-parents ont fait partie du dernier convoi vers Auschwitz.
À la fin de l’année, la jeune sœur de ma mère qui, par la suite, est devenue ma tutrice, m’a finalement récupéré, puis caché chez des particuliers jusqu’à la fin de la guerre.”
Un deuil entre parenthèse
“Chaque histoire est différente et peu importe les circonstances, ces longues séparations ont causé des drames, explique Jeannette. Y compris chez certaines familles belges qui, après avoir recueilli des enfants juifs pendant la guerre, ont eu du mal à les laisser repartir chez leurs parents. Pendant longtemps, les problèmes administratifs liés à la disparition de nos proches nous ont pris tant de temps et d’énergie qu’on a mis notre deuil entre parenthèses. Devions-nous déclarer morts ceux que nous avions tellement aimés? Ce qui est sûr c’est que nous voulions avancer et être à nouveau heureux.
La seule chose que nous avions en commun, nous les enfants, c’était notre innocence.
Avec Jacques, nous nous sommes rencontrés dans un mouvement de jeunesse. C’était en 1952, quelques années après la fin de la guerre. Nous avions envie de vivre, de voir des amis et de passer à autre chose. Nous nous sommes mariés très tôt, dès 1954. Une manière de nous reconstruire. Si nous reparlons de tout ça aujourd’hui, 80 ans après la fin de la guerre, c’est parce qu’on se rend compte à quel point on n’a rien appris de l’histoire.
À l’époque, nous étions juste des enfants. Certains venaient de familles riches, d’autres de familles pauvres. Nos parents étaient originaires de Pologne, de Russie, d’Allemagne ou d’Autriche et beaucoup avaient déjà un parcours très difficile derrière elles. La seule chose que nous avions en commun, nous les enfants, c’était notre innocence.”
Texte: Marie Honnay
Vous aimerez aussi:
Recettes, mode, déco, sexo, astro: suivez nos actus sur Facebook et Instagram. En exclu: nos derniers articles via mail.