cmh-intersexe
Selon l'ONU, on estime que 1,7% de la population mondiale naît avec des caractéristiques intersexes.

Christophe, 52 ans: “Je suis mi-homme, mi-femme”

Par Caroline Corbiau

Christophe est né XXY, avec 47 chromosomes au lieu de 46. Il témoigne de la difficulté à être mi-homme, mi-femme. On dit intersexe.

Selon l’ONU, on estime que 1,7% de la population mondiale naît avec des caractéristiques intersexes. Concrètement, cela signifie que leur développement ne correspond pas strictement aux définitions médicales de l’homme ou de la femme. Une nébuleuse… L’intersexuation recouvre une diversité de réalités biologiques, souvent méconnues du grand public. Christophe, né XXY, témoigne de cette réalité biologique bien plus fréquente qu’on ne l’imagine.

“Je n’ai été que très peu écouté”

Lorsque Christophe naît en 1973, le phénomène d’intersexuation est déjà connu, mais on part du principe que ce qui est mi-homme, mi-femme est pathologique, une erreur de la nature en quelque sorte. “Mes parents, confiants, ont été trompés depuis le départ par les médecins qui ne parlaient pas d’intersexuation, mais bien d’anomalie du développement sexuel, explique-t-il. Je leur en ai voulu pendant de très nombreuses années parce qu’ils ne se sont jamais remis en question. C’est moi qui étais en souffrance, mais je n’ai été que très peu écouté, encore moins consulté.


Petit, Christophe ne fonctionnait pas mentalement et psychologiquement comme les autres garçons. C’était un enfant plutôt calme, docile et chétif. “En réalité, j’avais peur des autres. Je jouais seul dans mon coin, je vivais dans un monde un peu parallèle. Mais en fait, je souffrais simplement de solitude et me sentais incompris.” Encore aujourd’hui, Christophe est beaucoup plus sensible que les autres, en raison de certaines zones de son cerveau qui ont un volume réduit. Il a des troubles de l’émotion et de l’humeur, divers troubles dys, de l’apprentissage ainsi qu’autistiques. Ces difficultés sociales, du fait de la présence d’un 3e chromosome, l’handicapent toujours à l’heure actuelle.

Traitement sans consentement

Christophe ayant l’apparence d’un petit garçon et ses chromosomes sexuels comportant un Y, on lui signifie qu’il doit se comporter comme un garçon. Très rapidement, on le traite par testostérone afin qu’il ressemble à un XY, qu’il rentre dans cette case, et qu’il puisse modifier son développement sexuel et social, avec des caractéristiques secondaires masculines telles que la pilosité, la voix grave, la libido… “Durant ce traitement, confie-t-il, en tant qu’enfant et victime, je dois accepter que mon intimité soit violée et mon corps touché et transformé par une équipe médicale, mais aussi photographié, sans consentement et sans savoir dans quel but. Le reste n’est que torture. On me dépossède d’une certaine façon de ce qui est censé m’appartenir.

Mon corps montre qu’il refuse ces changements.

Vers 13-14 ans, mon corps se transforme: mes hanches s’élargissent et ma poitrine se forme. Avec le traitement, je suis censé devenir un garçon, mais mon corps en est très loin. Je subis une double ablation des seins, la pose de faux testicules et mon pénis est corrigé, sans aucun soutien psychologique. Je subis des douleurs et des infections à répétition. Mon corps montre qu’il refuse ces changements.”

“Les profs de gym me traitent de fiotte”

Vers 16 ans, Christophe se sent attiré par l’image des garçons auxquels il essaie – en vain – de ressembler grâce au sport et aux hormones. “Et pourtant, ceux de ma classe jouent à me faire peur, me dominent, me brutalisent, me font souvent tomber, me font même subir un viol terriblement traumatisant. Les profs de gym aussi se moquent de moi, me traitent de ‘fiotte’.”

À l’adolescence, Christophe s’entend dire que les hormones sont des vitamines qu’il doit prendre “pour son bien”. Et pourtant des problèmes de santé – qui persistent encore aujourd’hui – tels que polyglobulie, thromboses, embolies et difficultés identitaires surviennent. On lui impose des dosages forts qui le rendent agressif. Alors que dans le cas des personnes trans, on individualise le traitement en jouant la prudence.

“On veut que je sois quelqu’un d’autre”

Christophe voit un fossé abyssal entre ce qu’il ressent et ce qu’il est censé devenir. “Je suis en demande de réponses par rapport à mes besoins. Or, ce qu’on m’impose sert toujours les attentes de la société, de mes parents et du corps médical plutôt que les miennes. Ce que moi j’éprouve, personne ne me le demande, jamais. J’ai des angoisses, de l’anxiété, je fais des cauchemars. Mais la seule chose qu’on veut de moi, c’est que je sois quelqu’un d’autre.”

La direction de l’université, où je suis premier de classe, m’oblige à changer d’établissement.

Vers 19 ans, il tombe amoureux fou d’un jeune homme, mais à cette époque, en 1992, l’homosexualité est encore perçue comme une maladie. “La direction de l’université où j’étudie et où je suis premier de classe m’oblige à changer d’établissement en raison de cette relation. Je tente alors de me suicider et suis hospitalisé en psychiatrie.”

Devenir père

Ce passage en psychiatrie se révèle totalement traumatisant: “On m’attache, je me sens déshumanisé. J’éprouve de la colère, une détresse totale. Je ne comprends pas pourquoi je ne peux pas être libre de vivre comme je suis né. Je garderai toujours mes deux X et ma trisomie (naître XXX, XXY ou XYY constitue une trisomie des chromosomes sexuels, ndlr), mais on me fait jouer un rôle de XY que je ne serai jamais.”

Pour ses parents, les priorités passent par la filiation, l’héritage et l’hétérosexualité. “Ils me font quitter la maison et me poussent à me marier. À 21 ans, je reprends mes études et rencontre ma future femme, Nathalie. Notre rencontre est sincère. Nous avons tous 2 un vécu traumatique et nous nous comprenons bien. Je l’épouse, en 1999. Elle m’accepte comme je suis et me permet de devenir père. Je suis stérile, mais on contracte un prêt pour bénéficier d’un don de sperme. Ensemble, nous avons 2 enfants, mais notre vie conjugale est évidemment compliquée.”

Souffrance sans fin

Côté professionnel, ses problèmes de santé ne lui permettent pas de continuer le métier pour lequel il s’est formé dans le milieu médical. Il se dirige alors vers la vente pharma. “Ce n’est que performance et compétitivité – à l’opposé de mes valeurs – et je suis confronté à des collègues mâles dominateurs, mais j’ai un crédit à rembourser, donc je mords sur ma chique. Lors d’un team building, une activité initiatique tourne mal, je mens pour cacher mon intimité et ça me coûte mon boulot.”

Mes parents et ma sœur ont encore honte de moi.

Si Christophe devait résumer sa vie aujourd’hui, c’est énormément de souffrance, beaucoup d’isolement, d’incompréhension et de rejet, de la violence psychologique de la part de sa famille, mais aussi du corps médical, ainsi que de la négligence et un manque de clairvoyance. “Mon environnement familial m’a toujours obligé à me comporter comme une personne hétérosexuelle, une personne lisse, parce ma différence n’est pas acceptée. On m’a caché beaucoup de choses, mais surtout, mes parents et ma sœur ont encore honte de moi. Ils se sont toujours dédouanés, pointant la responsabilité des médecins et mon soi-disant manque d’efforts. Aujourd’hui, ils n’y comprennent toujours rien.”

“Je subis un syndrome prémenstruel”

Selon Christophe, pour faire changer les choses, il faut prioritairement sensibiliser les futurs parents, mais aussi la société au fait qu’après une grossesse, on peut avoir une fille, un garçon, ou un enfant entre les 2: un intersexe. Et dans ce 3e cas, les parents doivent attendre que leur enfant s’exprime sur son ressenti, demande éventuellement un traitement et ensuite, lui expliquer les effets secondaires possibles et les conséquences à long terme sur la santé.

Aujourd’hui, je paie les pots cassés de tout ce qu’on m’a fait subir; je ne suis que le produit de tout ce qu’on m’a fait. Je suis mi-homme, mi-femme. J’ai un corps d’homme, mais par exemple, j’ai des douleurs dans la poitrine tous les 28 jours et je subis un syndrome prémenstruel lors duquel je pleure et je suis plus fragile. J’ai du mal à m’identifier puisque je suis biologiquement homme et femme. Ma physiologie restera toujours intersexe…”

Vous aimerez aussi:

Recettes, mode, déco, sexo, astro: suivez nos actus sur Facebook et Instagram. En exclu: nos derniers articles via mail.

Contenu des partenaires

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.