
Yasmin, 40 ans: “Chocolatière à Gaza, je me reconstruis en Belgique”
En septembre 2024, Yasmin, maman de 3 enfants, chocolatière, a quitté la Palestine et cessé une affaire florissante pour échapper à la guerre. Elle nous raconte son voyage vers une reconstruction professionnelle et privée.
Yasmin, 40 ans, a fui Gaza avec ses enfants: ses filles Layan, 15 ans, et Salman, 12 ans, et son fils Zaid, 2,5 ans. Arrivée en Belgique en septembre 2024, elle est désormais installée dans le centre pour réfugiés de la Croix-Rouge d’Yvoir, près de Namur. Malgré l’émotion qui la submerge à l’évocation de sa famille restée là-bas et de tout ce qu’elle a été obligée de laisser derrière elle, elle a pris le temps de nous confier son quotidien, ainsi que le long chemin parcouru pour retrouver un peu de paix et de sécurité.
Une force inouïe
Star de la chocolaterie dans son pays, Yasmin a été contrainte de fermer son atelier et de mettre en pause un business prospère lancé il y a 6 ans. Désormais, elle vit dans l’attente du précieux sésame, la carte d’identité délivrée aux réfugiés, qui lui permettra de louer une maison, d’acheter une voiture et de reprendre le cours de sa vie. Yasmin nous prévient qu’elle va peut-être pleurer… Mais on sent dans sa voix une force inouïe. Preuve de son incroyable résilience, et de sa capacité à regarder vers l’avenir avec confiance et ambition.
Formée en Belgique
“J’ai toujours rêvé d’exercer le métier de chocolatière. Petite, on m’appelait déjà ‘Yasmin Chocolat’! Et il y a 6 ans, j’ai eu la chance de pouvoir étudier en Belgique: je me lançais dans le métier et j’ai participé à une exposition autour du chocolat, à Jérusalem. J’y ai rencontré la consule de Belgique qui, séduite par mon univers et par ma passion, a proposé de m’aider.
Ce pays était une évidence pour moi…
Je ne lui ai demandé ni matériel, ni argent: juste la possibilité de me former davantage en Belgique, le berceau du chocolat, pour pouvoir me lancer en tant que professionnelle. Quand la consule a visité mon petit atelier, elle a découvert que le chocolat que j’utilisais, ainsi que mes machines, étaient belges. Elle a compris que ce pays était une évidence pour moi et m’a donné le coup de pouce nécessaire.”
“J’ai livré mes chocolats à plusieurs présidents”
“À l’issue de ma formation chez Chocolate Factory à Anvers, j’ai fondé Boon Chocolate (le nom est un clin d’œil au mot néerlandais “boon”, qui signifie “fève” ndlr). Mon atelier employait 12 personnes jusqu’au début de la guerre. Je vendais mes chocolats à Gaza par le biais de plusieurs boutiques, mais aussi au Canada, en Grande-Bretagne et dans plusieurs ambassades. J’étais la première femme chocolatière de mon pays. J’ai même livré mes chocolats à plusieurs présidents! Ce statut de pionnière m’a valu une certaine notoriété à Gaza et au-delà.
En octobre 2023, au tout début de la guerre, j’ai été obligée de fermer mon atelier. Nous avons cru que le conflit ne durerait qu’1 mois ou 2. C’est en tous cas ce qu’on a essayé de nous faire croire. Quand j’ai senti que la situation devenait beaucoup trop dangereuse, j’ai décidé de quitter Gaza pour Ramallah (capitale de l’autorité palestinienne depuis l’annexion de Jérusalem, ndlr) mais là non plus, je n’ai pas pu mener une vie normale.”
Femme divorcée
“J’ai essayé d’y vivre et de poursuivre mon activité de chocolatière, mais c’était l’enfer, tout autant qu’à Gaza. En sortant de chez nous, ma fille a vu un homme mort au milieu de la rue. Une image qui l’a traumatisée et qui continue de la hanter. J’ai décidé de partir, dans l’urgence, sans rien pouvoir planifier.
Nous sommes arrivés en Belgique à l’automne 2024 après un long voyage qui m’a fait transiter par la France. Mon idée n’était pas d’y rester puisque je savais que c’était ici que je voulais me reconstruire, dans ce pays qui m’a déjà beaucoup donné. C’est juste que le chemin est souvent long quand on choisit de quitter un pays en guerre. En tant que femme divorcée, je dois tout gérer. C’est émotionnellement très difficile. Tout ce que je fais, c’est pour mes enfants. Malgré ce que j’ai traversé, je reste une battante. Même si c’est dur, je m’accroche.”
Sous les bombes
“Ma mère et mes frères sont partis en Égypte. Ma sœur qui est médecin est restée à Gaza. Son quotidien est un cauchemar. Ses 3 enfants et elle n’ont rien à manger: plus de fruits, plus de viande… Juste du riz qu’elle fait cuire à l’eau. Quand il est possible de cuisiner, car les Gazaouis n’ont même plus de gaz. Le bois commence à manquer également et l’eau potable est de plus en plus difficile à trouver.
Ma sœur vit dans une maison sans fenêtres pour se prémunir des risques d’explosion. Avec ses enfants, elle vit dans la peur permanente de mourir sous une bombe. Parfois, son fils dort sous une chaise, convaincu que cela pourra le protéger en cas d’explosion.”
Retrouver du sens
Depuis son arrivée en Belgique, Yasmin essaye de retrouver un sens à sa vie. “Certaines nuits, je rêve que la guerre à Gaza n’est qu’un mauvais rêve et qu’en ouvrant les yeux, je vais découvrir un pays en paix. Ici, je me sens en sécurité. Et quand on a expérimenté l’horreur de la guerre, on réalise que cette sécurité est essentielle.
Je pleure tous les soirs en pensant à tout ce que nous avons perdu.
La Croix-Rouge me fournit un lieu où dormir et de quoi manger. Mes filles peuvent aller à l’école. Elles apprennent le français et se sont fait beaucoup d’amis, tant dans le centre qu’à l’extérieur. Le petit commencera l’école bientôt. Jusqu’ici, ce sont les membres de la Croix-Rouge qui ont veillé sur lui pendant que je suivais des formations, pour apprendre le français notamment. Mais je pleure tous les soirs en pensant à tout ce que nous avons perdu. Sans parler des membres de ma famille auxquels j’ai dû dire au revoir. Beaucoup sont morts sous les bombes…”
De grandes ambitions
“Je dirais que mon arrivée en Belgique a résolu la moitié de mes problèmes. Reste à m’attaquer à la suite de ma reconstruction. Je décompte les jours qui me séparent de ma nouvelle vie: la mienne et celle de mes enfants. Je continue à me former à d’autres procédés en lien avec mon métier: j’ai appris à faire de la glace et je découvre de nouvelles techniques de pâtisserie. Malgré le chagrin que je ressens, je travaille très dur dans l’espoir d’un avenir plus serein.
À mon âge, j’ai besoin que les choses avancent. Je ne peux pas perdre plus de temps. Pour l’instant, je me suis rapprochée d’une chocolatière belge et d’un pâtissier qui ont souhaité profiter de mon expérience pour faire grandir leur business, une sorte de travail de consultance qui me donne foi en l’avenir. C’est un début, mais j’ai de bien plus grandes ambitions.”
Le chocolat: un langage commun à tous
Mon activité de chocolatière m’a fait prendre conscience que, si ma culture est très différente de la vôtre, le chocolat est un langage commun à tous. Quand j’aurai relancé mon affaire en Belgique, je compte proposer un produit très différent, mais aussi des ateliers qui vont me permettre de transmettre mes connaissances. Et pourquoi pas un petit musée du chocolat? J’ai des milliers d’idées à la minute qui, d’une certaine façon, vont me permettre de me rapprocher des Belges.”
Texte: Marie Honnay
Vous aimerez aussi:
Recettes, mode, déco, sexo, astro: suivez nos actus sur Facebook et Instagram. En exclu: nos derniers articles via mail.