Aurélie Silvestre: “Le père de mes enfants est mort au Bataclan”
Le 13 novembre 2015, les attentats de Paris coûtaient la vie à 130 personnes. Parmi eux, Matthieu. C’était l’amoureux d’Aurélie, mais aussi le papa de Gary, 3 ans, et de Thelma qui était encore dans le ventre de sa maman. Aurélie nous raconte.
Matthieu est mort au Bataclan, sous les balles des terroristes. Ils avaient un petit garçon de 3 ans et Aurélie était enceinte de 5 mois. Très vite, la jeune femme décide qu’ils seront heureux malgré tout. Sans doute par instinct de survie. “Matthieu était mort, nous devions vivre!”, clame-t-elle.
10 ans ont passé depuis les attentats du Bataclan, Gary a aujourd’hui 13 ans, Thelma en a 9. À ceux qui leur demandent comment ils vont, Aurélie a l’habitude de répondre: ‘Super bien, au vu des circonstances…’ Les enfants se chamaillent parfois. Gary connaît le manque, Thelma vit le vide. Et pour Aurélie, c’est encore une autre histoire…
Au temps du bonheur
Aurélie se souvient de cette journée du 13 novembre 2015 comme si c’était hier. “Matthieu s’est levé le premier pour préparer le biberon et le café. C’est lui qui emmenait Gary à l’école le matin. Il était enseignant-chercheur à la fac, moi je bossais pour une marque de bijoux. Ce jour-là, peu après qu’il a quitté l’appart, je lui ai envoyé un texto: ‘Je t’aime, tu es un père formidable, je suis heureuse’. J’aimais l’homme et j’adorais le père qu’il était devenu.”
Quand Aurélie rentre le soir, Matthieu donne le bain à Gary. “On entendait le clapotis de l’eau et leurs rires qui éclaboussaient tout. Ce soir-là, Matthieu avait prévu d’assister à un concert au Bataclan. Nous étions souvent allés ensemble dans cette salle. Mais depuis la naissance de Gary, nous sortions plutôt séparément. Cela nous convenait. J’étais contente d’être un peu seule, de me faire couler un bain… À 21h46, Matthieu m’envoie un texto: ‘Ça, c’est du rock and roll!’.” Quelques secondes plus tard, les terroristes entraient au Bataclan.
La chemise à carreaux
Vers 22h, une copine d’Aurélie l’appelle et lui suggère d’allumer la télé. Un bandeau défile sur l’écran: ‘Prise d’otages au Bataclan’. Aurélie tente d’appeler Matthieu. Il ne répond pas. “Pourtant il répond toujours. Même en réunion, il répond qu’il répondra plus tard. Mais là, Matthieu ne répond pas. Je lui envoie un ‘Je t’aime’ comme un ballon qu’on laisserait s’envoler vers le ciel. Puis je crois l’apercevoir à la télé, qui s’échappe du Bataclan. Je reconnais sa chemise à carreaux bleu et rouge! C’est lui! Mais quand j’ouvre la penderie, je vois la chemise sur son cintre…”
Le cœur de Matthieu s’est arrêté, celui de Thelma bat la chamade. Je promets à ma fille que nous allons vivre, rire, danser.
Les proches d’Aurélie la rejoignent. Ils appellent les hôpitaux, publient des photos sur les réseaux, courent dans tout Paris. C’est finalement son père qui lui annonce la nouvelle, le samedi soir: “Mathieu est mort”. Il faudra encore attendre 4 jours interminables avant qu’elle puisse voir son corps, derrière une vitre, à l’Institut médico-légal. “Je suis là avec mon gros ventre. Il est beau. Je lui chuchote quelques mots: ‘Ne t’inquiète pas, mon amour. Nous serons heureux. Je vais assurer. Je te jure que nous serons heureux’.”
Papa est mort
Le lendemain, Aurélie allume la télé machinalement pendant qu’elle se brosse les dents. Ça parle encore et encore des attentats. Quelqu’un dit: “Il avait un enfant de 3 ans et allait avoir une petite fille au printemps…” “Je songe: ‘Oh mon Dieu, sa pauvre femme…’ Je ne comprends pas que l’on parle de lui, de moi, de nous! Cette réalité est tellement difficile à intégrer: Matthieu a été tué par des terroristes. Je n’ai pas encore 35 ans, je suis veuve avec bientôt 2 enfants.”
“La seule veuve que j’ai côtoyée jusque-là, c’était ma grand-mère. Elle a perdu son mari a 35 ans et l’a pleuré toute sa vie. Je ne veux pas être ce genre de veuve. Pas question de vivre en noir. Je décide d’ailleurs de mettre du rouge à lèvres ce matin-là comme tous les autres. Gary a besoin de sa maman. Je lui dis: ‘Papa est mort’. Je n’ai pas envie de dire que papa est monté au ciel, et encore moins qu’il nous a quittés.”
“Papa est mort. Gary comprend. Il adore les dinosaures et sait que ce qui est mort ne revient pas. Il pleure, il hurle. Je le prends dans mes bras. Et là, pour la première fois, je ressens que je suis sa mère. Complètement. Entièrement. C’est une sensation étrange. Mais avec le recul des ans, je comprends: jusque-là Matthieu et moi partagions le rôle de parents, désormais je suis le guichet unique de mes enfants.”
D’un cœur à l’autre
Aurélie était enceinte de 5 mois après 2 fausses couches. “Le 6 novembre, nous avions appris à l’échographie que c’était une petite fille. Ce soir-là, Matthieu m’a dit: ‘Et si on l’appelait Thelma? Qu’est-ce que tu en penses? C’est beau, Thelma!’ Après la mort de Matthieu, j’ai eu peur de la perdre. Mais à l’échographie suivante, j’entendais battre son cœur. Toudoum, toudoum. Le cœur de Matthieu s’était arrêté, mais celui de Thelma battait la chamade. C’était dingue. La sage-femme m’a demandé si tout allait bien. Je lui ai répondu que oui, mais que le papa était décédé au Bataclan. Toudoum, toudoum… J’ai promis à ma fille que nous allions vivre, rire, danser!”
Aurélie tient bon, mais elle a peur de sombrer après l’accouchement. “Pour la naissance de Gary, Matthieu était à mes côtés. Je me souviens de chaque seconde, c’était magique. Cette fois, je suis seule. Quelque part entre la vie et la mort. Mais c’est la vie qui l’emporte! À l’instant où ma fille sort de mon ventre, je sais que nous serons heureuses. ‘Bonjour Thelma, je suis ta maman.’ C’est la première fois que je prononce ce prénom à voix haute depuis Matthieu. Je craignais d’être triste pour elle, pour lui. Mais rien de tout cela. Cet enfant est un rayon de soleil. Une promesse de vie. La plus belle des vengeances.”
Pas si simple
Au début, Aurélie croit que la vie va un jour reprendre son cours. Que les enfants vont grandir et qu’elle va trouver la juste place où ranger cette histoire. Mais ce n’est pas si simple. “Les fêtes de l’école, par exemple, étaient un cauchemar pour moi. Tous ces enfants si mignons, tous ces parents attendris… et Matthieu qui n’était pas là. La vie continuait, oui, mais rien ne serait plus jamais comme avant.”
Salah Abdeslam a dit que nous étions liés – les terroristes et les victimes. Cette phrase m’a longtemps hantée.
2 ans après le décès de Matthieu, Aurélie rencontre quelqu’un. Par hasard. Dans une librairie. “J’ai découvert qu’on pouvait à la fois pleurer un amoureux mort et vibrer dans les bras d’un amoureux vivant. C’était un ravissement. Mais cet homme a eu du mal avec mon histoire. Il estimait qu’elle prenait trop de place. Nous avons fini par nous séparer pendant le procès.”
Voir le monstre
Ce procès, Aurélie avait d’abord dit qu’elle n’irait pas. Ça ne l’intéressait pas. Et elle n’avait aucune envie de revivre le séisme des attentats. “Je voulais juste avancer dans la vie, jour après jour, avec mes enfants. Mais Matthieu n’est pas mort d’un quelconque accident, il a été assassiné par des terroristes… ‘Ce procès aura lieu avec ou sans vous, m’a dit mon avocate. Réfléchissez!’ J’ai donc fini par y aller. Et j’ai bien fait.”
Le procès a duré 10 mois. Une étape compliquée, mais au final très positive. “D’abord ça m’a permis de me connecter à mon histoire: je sais désormais exactement ce qui est arrivé à Matthieu. Je pense que ce sera bénéfique pour mes enfants et leurs enfants: ça leur évitera un traumatisme transgénérationnel. Et puis, ce fut une aventure humaine extraordinaire. J’ai rencontré des gens, notamment d’autres victimes, qui ont changé ma vie. Durant des mois, j’ai aussi été au contact des accusés et de leurs proches. Les voir, les entendre, ça m’a permis de déconstruire ma vision du monstre.”
Des destins percutés
“Durant le procès, Salah Abdeslam a dit que nous étions liés – les terroristes et les victimes. Cette phrase m’a longtemps hantée. Mais je sais aujourd’hui qu’il a raison. Il est quelque part bien présent dans mon histoire de vie. Nos 2 destins n’étaient pas faits pour se rencontrer, mais ils se sont percutés un soir de novembre 2015.”
À la fin du procès, une journaliste demande à Aurélie si elle serait prête à rencontrer Salah Abdeslam. “J’ai répondu spontanément: ‘Évidemment!’. Je ne sais pas ce que je pourrais lui dire… Mais je suis sûre que si l’on se parlait, je percevrais de l’humanité chez lui, et ce serait une source de réconfort pour moi.”
Interview: Christine Masuy
Pour aller plus loin
Les livres d’Aurélie Silvestre. Déplier le cœur, éd. Seuil, 2025, et Nos 14 Novembre, éd. JC Lattès, 2016.
Une mini-série. Des vivants, actuellement diffusé sur France 2 et disponible sur HBO dès le 26/11. La série de Jean-Xavier de Lestrade se concentre sur 7 rescapés devenus amis après les événements, les “Potages”. Un récit poignant, basé sur les vrais témoignages, qui dévoile le long chemin de la reconstruction.
Vous aimerez aussi:
Recettes, mode, déco, sexo, astro: suivez nos actus sur Facebook et Instagram. En exclu: nos derniers articles via mail.