
Ambre Chalumeau: “Devenir adulte, c’est comprendre qu’on ne comprendra plus”
En matière de livres, Ambre Chalumeau est plutôt celle qui pose les questions. Cette fois, la journaliste répond aux nôtres sur son premier roman, écrit au départ d’un drame personnel.
Dans l’émission française Quotidien, Ambre Chalumeau interroge des autrices et des auteurs avec finesse. Quand c’est elle qui se prête au jeu de l’interview, sa sensibilité affleure plus encore, tout en sincérité et humour, à l’image du ton de son premier livre, Les vivants. Un premier roman émaillé de phrases percutantes, qui traite du passage de l’adolescence à l’âge adulte, de l’amitié, et de l’urgence de vivre.
Drame personnel
Quand vous aviez 17 ans, votre meilleur ami est tombé dans le coma. Écrire vous a aidée…
“Petite, je lisais beaucoup et cela m’a donné le goût d’écrire: j’écrivais beaucoup d’histoires de pirates (rires). J’ai pris l’habitude de mettre des mots sur mes expériences, de les résumer par une formule, une scène ou une image. C’est assez naturellement que je me suis mise à écrire lorsque mon ami a attrapé ce virus rare. C’était l’une des premières crises que j’avais à gérer de ma vie. Avant cela, j’avais été très épargnée. J’avais besoin de mettre de l’ordre dans mes pensées et j’ai commencé à écrire ce texte, déjà à la 3e personne. Ne pas utiliser le ‘Je’ me permettait d’être plus analytique.
Au fur et à mesure des années, je suis revenue sans cesse à ce texte: j’y ai ajouté des bribes dès que je vivais quelque chose de nouveau. Puis un jour, une éditrice m’a demandé si je n’avais pas un texte qui traînait dans mes tiroirs…”
Adultes sans certitudes
Vos personnages passent en accéléré de l’adolescence à l’âge adulte. Et vous, comment l’avez-vous vécu?
“À ma petite échelle, j’ai ressenti une perte de certitudes. Avant que mon ami ne tombe dans le coma, j’étais convaincue que les maladies n’arrivaient qu’aux personnes âgées, que les drames n’arrivaient qu’aux autres. Que ce meilleur ami serait toujours là demain, après-demain… En un claquement de doigt, tout a basculé. Pour moi, devenir adulte, c’est comprendre qu’on ne comprendra plus. Qu’il faut apprendre à naviguer dans ce bordel. Et ce passage à l’âge adulte n’arrive pas qu’une fois. Il peut arriver à tout moment.”
En quoi la maladie de Simon ébranle-t-elle l’équilibre de chacun, ados comme adultes?
“Le coma de Simon est un petit séisme qui fait trembler pas mal de murs. Tous vont être mis face à une quête personnelle et ne seront plus les mêmes à la fin du livre. Cela vient nous apprendre que rien n’est figé dans la vie.
Rien n’est figé dans la vie. C’est terrifiant et, à la fois, il y a quelque chose de joli là-dedans…
C’est terrifiant et, à la fois, il y a quelque chose de joli là-dedans car cela veut dire qu’on peut tout reconstruire et repenser. La vie nous donnera des occasions de modifier les schémas dans lesquels on s’enlise.”
Votre livre permet de comprendre que tout le monde vit des crises personnelles…
“Grandir, c’est aussi réaliser que tout n’est pas parfait chez les autres. Qu’une femme très belle, très mince, souffre peut-être de cette beauté ou du contrôle de son corps. Que ce couple radieux en soirée ne fait peut-être que se disputer dans l’intimité. Quand j’ai vécu ce drame, je pensais que je faisais partie d’une minorité de gens. En fait, je faisais partie d’une majorité de gens. Les vivants, ceux qui se promènent dans la rue, ceux que vous croisez dans le métro, ont été à terre un moment et ont su se relever. Ceux qui ont vécu des crises sont ceux qui ont survécu.”
Dire qu’on aime
Ce drame qui est arrivé à votre ami a-t-il façonné votre vision de l’amitié?
“Oui, le fait de découvrir que mon ami, du jour au lendemain, a pu tomber dans le coma pour une raison arbitraire et mystique explique sans doute le fait que je doute beaucoup. Que j’ai du mal à faire confiance au monde et à la vie. On m’a eue une fois déjà et ça a alimenté ma part de doute. Mais c’est aussi une leçon de vie: voir qu’une vie peut être mise sur pause comme ça, ça rappelle l’urgence de vivre. Je ne sais pas si je sais encore appliquer ça tous les jours, mais je sais que cela m’a poussée à dire aux gens que j’aimais que je les aimais. Il ne faut jamais avoir peur de passer pour quelqu’un de trop sentimental.”
Voyez-vous une différence entre les amitiés adolescentes et adultes?
“Quand on est plus jeunes, l’amitié est parfois presque comptable. On est amis parce qu’on s’envoie x textos par jour, parce qu’on a x selfies ensemble… En grandissant, on bascule vers une amitié moins démonstrative mais plus structurelle. L’amitié très démonstrative ne garantit pas nécessairement qu’on connaît l’autre par cœur. Aujourd’hui, mes amitiés favorisent un climat de confiance. Je sais que je peux tout dire à mes amis et inversement, même si on se voit moins souvent.”
Lire aussi: Doit-on tout accepter d’un ami déprimé?
Humour réflexe
Votre écriture est bourrée de punchlines. Vous avez toujours été si marrante?
“Avoir des Belges qui me disent que je suis drôle, c’est un honneur (rires). L’humour est un petit réflexe face aux difficultés de la vie. Quand j’étais petite, j’étais une enfant très solitaire: du genre à observer dans un coin. L’humour me permettait de me défendre et de me moquer de ceux qui m’oppressaient. Et puis, mes parents ont toujours su changer les anecdotes du quotidien en récits rigolos.”
En vidéo
On a demandé à Ambre de nous conseiller au rayon lectures. Alors, on offre quel bouquin à qui?
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À lire
Les Vivants, Ambre Chalumeau, éd. Stock
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