Interview: Veerle Hegge, l’épouse de Bart De Wever, nous parle de son anorexie
Veerle Hegge, l’épouse de Bart De Wever, a publié mi-septembre un livre sur les abus sexuels qu’elle a subis enfant et sur le trouble alimentaire qu’elle a développé à l’âge adulte. Nous l’avons rencontrée, accompagnée du psychiatre Peter Adriaenssens, pour parler de son livre et de la levée des tabous.
Nous avons rendez-vous avec Veerle Hegge, l’épouse du Premier ministre Bart De Wever, pour parler de son anorexie. Elle a 52 ans, est institutrice et mère de 4 enfants. Nous la retrouvons dans le cabinet de celui qui l’a suivie pendant des années, le Dr Peter Adriaenssens. Dans son livre, De stem van mijn stilte. Wanneer een eetstoornis je leven verlamt (litt. La voix de mon silence. Quand un trouble alimentaire paralyse votre vie), elle révèle le trouble alimentaire qu’elle a développé à l’âge adulte, à la suite des abus sexuels qu’elle a subis enfant.
Un livre qui brise les tabous
Veerle Hegge, comment est née l’idée de ce livre sur l’anorexie?
Veerle Hegge “Lors de mon hospitalisation, j’ai commencé à écrire de courts poèmes. Cela avait un effet thérapeutique. C’est ainsi qu’a émergé le projet du livre. C’est mon histoire, mais je voulais surtout donner une image de ce qu’implique un trouble alimentaire, afin que d’autres sachent ce que cela provoque, et que celles et ceux qui le vivent puissent s’y reconnaître.”
Dr Adriaenssens, comment avez-vous été amené à y collaborer?
Dr Adriaenssens “J’ai suivi Veerle pendant plusieurs années pour les abus subis dans son enfance. Je connais bien son histoire et lorsqu’elle m’a demandé d’écrire un passage sur le traumatisme complexe, je n’ai pas hésité. Les personnes comme elle, qui osent sortir de l’ombre avec leur vécu, sont d’une grande importance pour les autres victimes. On ne pense pas spontanément à l’origine d’un trouble alimentaire. On ne se demande pas: pourquoi ce corps crie-t-il qu’il ne va pas bien? Je trouve essentiel que le public comprenne qu’il s’agit toujours d’une histoire complexe.”
Origine traumatique
Ici, la cause de l’anorexie s’enracine dans ce traumatisme complexe. Quel est le lien?
Dr Adriaenssens “Un traumatisme est dit complexe lorsque vous avez vécu des événements graves pendant votre enfance, que cela a duré dans le temps et que l’auteur des faits faisait partie de votre cercle proche. Le plus souvent, il y a une forme d’abus sexuel et on vous demande de garder le silence. Mais ce silence, le corps ne peut pas le supporter indéfiniment: il va chercher à exprimer la douleur du traumatisme. Chez l’un, cela se traduit par des idées suicidaires, chez un autre par l’automutilation, chez un troisième par un trouble de l’alimentation. Vous ne trouvez pas les mots, donc votre corps invente une manière d’entrer en dialogue avec les autres. Et c’est un élément important du processus de guérison.”
Veerle, devenir très maigre était une façon inconsciente de montrer que ça n’allait pas, mais les gens n’osaient pas vous en parler…
Veerle Hegge “La plupart des gens voyaient bien que j’étais devenue très maigre, mais ils ne savaient pas comment réagir. J’ai ressenti beaucoup de gêne. Ce qui m’a frappée, c’est qu’il était possible d’en parler en tête-à-tête, mais en groupe, on se taisait. Parfois, je me suis sentie très seule. Je n’en veux à personne: on parle beaucoup plus facilement des problèmes physiques que des problèmes mentaux. Alors que justement, la reconnaissance de l’entourage est particulièrement importante en cas d’anorexie.”
“Les gens sont souvent gênés de parler de troubles mentaux. Je me suis parfois sentie très seule.”
Se savoir victime
Dr Adriaenssens, la reconnaissance du traumatisme est-elle également cruciale?
Dr Adriaenssens “Oui, le rôle de la société est important. Le fait que les autorités mettent en place des points de signalement ou des centres d’aide après des violences sexuelles, par exemple, est une reconnaissance: la politique affirme que la violence n’est pas acceptable. Et comme le dit Veerle, la reconnaissance de l’entourage est utile. Il faut cependant nuancer: même si 100 personnes entourent une victime et lui disent: ‘Tu n’es pas responsable’, cette reconnaissance ne suffit pas. Le plus difficile est de se regarder dans la glace et d’affirmer: ‘Je suis la victime, c’est l’auteur qui porte la pleine responsabilité.’”
Est-ce que vous parvenez à dire cela, Veerle: “Je suis la victime”?
Veerle Hegge “Ce n’est pas facile, non (silence).”
Comment gérer l’anorexie
Dans votre livre, vous racontez comment, après votre hospitalisation, votre famille a eu du mal à verbaliser ses inquiétudes et ses peurs. Pourquoi?
Veerle Hegge “Comme à l’extérieur, c’était compliqué de parler de problèmes mentaux à la maison. Je n’en veux à personne. J’ai délibérément choisi de ne pas associer mes enfants à mon processus. Je voulais les protéger. Je pensais: je suis leur maman, je dois les soutenir, pas l’inverse. Ce sont des jeunes adultes, ils commencent leur vie et ne doivent pas se faire de souci pour moi. J’en ai beaucoup discuté avec des soignants. Fallait-il impliquer les enfants? Je les ai toujours tenus à distance. Je me demande parfois si ce n’était pas une erreur. Mais je pense qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise décision.”
Vous avez longtemps continué à tout gérer, notamment pour vos enfants…
Veerle Hegge “Jusqu’au moment de l’hospitalisation, j’ai fait tourner la maison et je travaillais à plein temps comme institutrice. Ce n’est que quand j’ai dû être admise en soins intensifs, parce que mon corps était épuisé, que j’ai compris qu’il fallait agir. L’hospitalisation a toujours été ma hantise. Dans de nombreuses familles, la mère est le moteur; chez nous, c’était encore plus marqué. Là où chez d’autres la répartition des tâches est 50-50 ou 60-40, chez nous c’était 95-5. Dans le meilleur des cas.”
Ce n’est que quand j’ai dû être admise en soins intensifs, parce que mon corps était épuisé, que j’ai compris qu’il fallait agir.
Une mère nouvelle
Dans votre livre, vous écrivez que 5 à 10% des personnes atteintes d’anorexie meurent des suites de la maladie. Vos enfants ont-ils eu peur?
Veerle Hegge “Eh bien, ce sont des enfants très solides… Je ne leur ai pas posé la question. Je pense qu’ils se sont inquiétés. Ils ne l’ont pas dit, mais après l’hospitalisation, je l’ai ressenti dans leur façon d’être avec moi. Ils étaient plus soucieux.”
Maintenant que vous êtes rétablie, vous êtes une mère différente?
Veerle Hegge “Oui, parce que j’avance moi-même peu à peu. J’ai appris à communiquer. Longtemps, je n’ai pas montré mes émotions. Par exemple, pendant 10 ans, je n’ai jamais pleuré. Pas parce que je n’avais pas de tristesse –au contraire– mais parce que je ne pouvais pas l’exprimer. Aujourd’hui, quand je suis dans une cabine d’essayage et que je demande une taille plus grande, j’ajoute: ‘Je souffre d’anorexie, je dois reprendre du poids.’ J’applique aussi cette ouverture en famille. Avant, je me retranchais dans mes moments difficiles; maintenant, j’ose dire: ‘Je traverse un moment compliqué.’ La semaine dernière, les enfants ont cuisiné. C’était très appétissant, mais pour moi ce repas était trop challengeant. J’ai dit: ‘Je vais goûter, mais je ne prendrai pas toute une assiette.’ Nous communiquons de manière plus détendue.”
Je n’ai jamais impliqué mes enfants, parce que je suis leur maman: c’est à moi de les soutenir, pas l’inverse.
Soutien de l’entourage
Vos enfants vont-ils lire votre livre?
Veerle Hegge “Je pense que oui.”
Et que pense votre mari?
Veerle Hegge “Il est là pour moi… Il me soutient, avec une certaine inquiétude.”
Vous enseignez en 3e primaire. Vos élèves ont-ils remarqué votre maladie?
Veerle Hegge “Pas vraiment, on m’offre d’ailleurs beaucoup de chocolat (rires). Les enfants acceptent les choses plus facilement. Une fois, je suis rentrée en classe avec une sonde nasale. La directrice avait préparé les élèves: ils savaient que j’avais un petit tuyau dans le nez. En arrivant, je leur ai dit: ‘Vous saviez déjà que vous aviez une institutrice un peu folle, non? Maintenant, me voilà avec un tuyau!’ Les enfants vous prennent comme vous êtes; ils ne se demandent pas ce qui est normal ou pas. Pas plus qu’ils ne se préoccupent de qui est mon mari.”
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Un grand pas en avant
Docteur, le livre de Veerle a forcément un grand impact médiatique. Qu’est-ce que cela change qu’elle soit l’épouse d’une personnalité?
Dr Adriaenssens “J’ai une longue histoire en psychiatrie: j’ai connu l’époque où des personnes connues faisaient tout pour cacher qu’un proche avait des problèmes psychiatriques. Veerle aurait pu se taire. Son mari aurait pu dire: ‘N’en parlons pas.’ Laisser paraître ce livre est un geste fort de la part d’un Premier ministre. Il montre la vie telle qu’elle est et se rapproche de la réalité de nombreuses personnes.”
Avez-vous préparé Veerle à cet impact?
Dr Adriaenssens “Non. Bien sûr, à notre époque, tout le monde a un avis sur tout. Il y aura toujours des critiques négatives. Je pense qu’il faut se concentrer sur l’aspect porteur d’espoir: il y a énormément de personnes que ce livre touche en silence et pour qui il a une grande valeur.”
Message d’espoir
Dr Adriaenssens, que voyez-vous quand vous regardez Veerle aujourd’hui?
Dr Adriaenssens “Je ne l’ai jamais entendue parler autant (rires). S’ouvrir ainsi et transmettre les connaissances qu’elle a acquises, c’est un très grand pas en avant.”
Veerle, dans vos remerciements au docteur, vous écrivez: “Vous m’avez redonné ma propre valeur.” Que voulez-vous dire?”
Veerle Hegge “Même lorsque j’étais hospitalisée en psychiatrie, le Dr Adriaenssens ne m’a jamais donné le sentiment qu’il y avait quelque chose de ‘cassé’ en moi. Je me suis toujours sentie normale.”
Dr Adriaenssens “Si vous vivez des choses anormales, il est normal que votre corps réagisse de façon anormale.”
Comment voyez-vous l’avenir?
Veerle Hegge “Rien de spectaculaire… Je souhaite continuer à avancer vers la guérison, être en bonne santé et le rester. Je veux surtout vivre, et ne plus me contenter de survivre. J’ai envie de profiter de la vie, d’abord avec ma famille. Ensuite, je souhaite continuer à enseigner, car j’adore ça: cela me donne le sentiment d’être utile et de faire partie de la société.”
Texte: Tine Trappers Adaptation: Julie Braun
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