
Témoignage: “À la mort de leurs parents, nous avons élevé nos petites-filles”
Après l’accident fatal de leur fille et de son mari, Susanne et Didier* ont fait face à la tragédie avec beaucoup d’amour: ils ont pris la relève pour élever leurs petites-filles.
Susanne et Didier étaient sur le point de profiter de la retraite. Aujourd’hui, ces sexagénaires préparent des collations et jouent les taxis entre les cours de danse et de dessin…
C’était un dimanche…
Susanne: “C’était un dimanche, à 7h15. Nous étions à la mer et le téléphone a sonné: Julie, notre fille, et William*, son mari, étaient morts dans un accident de voiture, en revenant d’un mariage. Je n’oublierai jamais cet appel. Nous sommes tout de suite allés retrouver nos petites-filles, Billie, 9 ans, et Lou*, 11 ans, qui étaient chez le frère de William. Le service d’aide aux victimes leur avait déjà parlé et elles avaient dit qu’elles voulaient rester dans leur maison.”
Didier: “C’était le trou noir. Mais une chose était claire: le souhait des filles devait être respecté. Les parents de William habitent loin et ils ont un autre fils, qui vit près de chez eux. Julie était notre seule enfant. Le jour même, nous nous sommes installés à la maison des filles et nous ne sommes jamais repartis, même pas pour une nuit. Le lendemain, elles ont voulu aller à l’école. Une façon pour elles de maintenir une certaine normalité.”
Mamy-maman, papy-papa
Didier: “Ce lundi-là, Billie nous a demandé: ‘Je peux vous appeler papa et maman, maintenant?’ Ce à quoi nous avons répondu: ‘Nous voulons bien être un papa et une maman pour toi, mais tu n’as qu’un seul vrai papa et une seule vraie maman.’ Les filles s’en tiennent le plus souvent à mamy et papy, mais parfois, elles disent ‘mamy-maman’ ou ‘papy-papa’, comme un compromis.”
Ils étaient de très bons parents. Tout ce que nous avions à faire, c’était de construire ensemble sur cette base.
Susanne: “Nous voulions adopter autant que possible les habitudes de leur ancienne vie. Nous avons dû apprendre. Les premières semaines, nous avons discuté avec les enfants tous les jours. Comment faisaient papa et maman? Par exemple, Julie écrivait sur un tableau les repas partagés durant la semaine, nous avons perpétué cette habitude. Ils étaient de très bons parents, les filles sont adorables et serviables, tout ce que nous avions à faire, c’était de construire ensemble sur cette base.”
Établir des règles ensemble
Didier: “Cela reste des enfants, bien sûr. Le dimanche, après le patro, elles allaient à la friterie avec leurs parents. Nous avons fait de même. Chaque dimanche, elles commandaient chacune des nuggets, des ‘Chixfingers’, une boulette et une fricadelle, soit 4 portions de viande au total… Alors que récemment, nous avons appris que leurs parents ne leur accordaient qu’une portion par personne. Elles nous ont bien eus! Certaines de leurs amies disent quand elles viennent jouer: ‘Waouh, papa ou maman ne nous laisseraient pas faire ça!'”
Susanne: “Mais il y a quand même des règles. Nous avons demandé aux filles ce qu’elles trouvaient raisonnables comme limites en termes de tablette. Avant, Billie et Lou venaient chez nous le mercredi après-midi et restaient parfois derrière l’écran. Nous n’avions jamais chronométré. En tant que grands-parents, ce n’était pas notre job. En tant que parents, si. Nous avons décidé ensemble que les filles avaient droit à une heure d’utilisation de leur tablette tous les 2 jours.“
Adopter de nouvelles habitudes
Susanne: “Nous sommes très ouverts avec les filles. Si nous passons une mauvaise journée, nous le disons et elles nous font un câlin ou un dessin qui dit en substance ‘Vous vous débrouillez très bien.’ Elles aussi se sentent libres de s’exprimer. Après une activité, il arrive qu’elles disent: ‘C’était plus marrant avec papa et maman.’ On comprend. Avec elles, nous sommes entraînés dans une vie qui ne correspond pas à notre âge, mais d’un autre côté, cela nous distrait de notre chagrin.”
Didier: “Julie et William aimaient camper. Le premier été, les filles nous ont demandé des vacances au camping. Je ne me voyais pas dormir sur un matelas par terre, à 63 ans. Mais nous y sommes allés: pas sous tente, dans une caravane de luxe, avec un couple d’amis et on a passé de très belles vacances.”
Susanne: “Un nouveau monde s’est ouvert à nous. Quand nous avons emmené Lou au camp, les autres parents ont dit: ‘Où va-t-on aller, maintenant?’ La tradition voulait en effet qu’ils aillent boire un verre chez Julie et William après avoir déposé les enfants. Nous leur avons proposé de venir et notre jardin s’est rempli de jeunes parents.”
Bien s’entourer
Susanne: “On est parfois fatigués. Quand Julie est morte, nous venions de prendre notre retraite. Nous étions partis pour prendre un peu repos, et là, on n’arrête pas! On fait tous les trajets vers les activités des filles: l’académie de dessin, le cours de boxe ou de danse, la bibliothèque, la logopédie…”
Didier: “Le jeudi, nous avons souvent un coup de mou et nous nous couchons à 21h30. Mais nous recevons beaucoup d’aide. Quand au début, les gens demandaient ce qu’ils pouvaient faire, je répondais: ‘Emmenez les filles au zoo ou au parc d’attractions.’ Elles reçoivent beaucoup de propositions. Et puis, nous pouvons toujours compter sur la famille de William. Lorsque nous appelons ses parents, ils débarquent dans la demi-heure et les filles y vont 4 jours, pendant les vacances. Durant les congés de printemps, elles vont aussi skier avec un cousin de William, pendant que nous partons en Espagne.”
Susanne: “Au début, on n’osait pas prendre l’avion à 2, mais ce genre de peur n’est pas vivable. Julie et William revenaient d’un mariage, qui aurait pu y voir un danger? Je ne veux pas être surprotectrice. Lou a le droit d’aller à l’école à vélo, comme ses amis. On ne peut pas mettre les enfants sous cloche.”
Chacun fait son deuil
Didier: “L’autre jour, quelqu’un m’a dit: ‘Les filles vont bien, non? Elles sourient, elles ont toujours l’air en forme.’ Je lui ai montré l’émouvante vidéo de Billie lisant une lettre à ses parents, au cimetière. Bien sûr, les enfants ont des moments de joie. On ne peut pas pleurer tous les jours. Mais lire à haute voix devant une tombe, c’est aussi leur réalité. Si vous leur demandez ce qu’elles veulent pour leur anniversaire, elles répondent: une machine à remonter le temps.”
Susanne: “La première année, le soir, dans le calme et l’obscurité, sans les distractions de la journée, leur chagrin remontait à la surface. J’ai essayé de l’absorber, mais le mien était si grand lui aussi… Maintenant, les choses vont un peu mieux.”
Il est difficile de faire son deuil à 4 sous le même toit. Chacun traite les choses différemment.
Didier: “Il est difficile de faire son deuil à 4 sous le même toit. Chacun traite les choses différemment. Quand l’un passe une mauvaise journée et souhaite en parler, l’autre n’est pas toujours d’humeur à écouter. Ma fille me manque terriblement. Sa photo se trouve au-dessus de la télé et je peux la regarder pendant des heures. William me manque aussi, on s’entendait vraiment bien. Nous allions souvent au foot ensemble.”
L’œil tourné vers l’avenir
Susanne: “Et puis j’ai eu un cancer du sein. Les perspectives n’étaient pas bonnes. Nous avons été honnêtes avec les filles. Quand on vit sous le même toit, rien ne sert de taire les choses. Avec la chimio, j’ai perdu tous mes cheveux. Les filles n’ont jamais vraiment dit qu’elles avaient peur, mais je sentais leur soulagement quand mes résultats étaient bons. Là je suis en rémission.”
Didier: “J’espère que nos petites-filles deviendront des femmes fortes et indépendantes, qui pourront compter sur elles-mêmes et l’une sur l’autre, quand nous ne serons plus là. Au début, je me suis souvent demandé si Julie aurait voulu que nous nous occupions des enfants. Elle aurait peut-être préféré des personnes plus jeunes. Une de ses amies m’a rassurée: un soir, elles en avaient discuté, après avoir un peu trop bu. Ma fille lui a dit: ‘Je n’ai pas à m’inquiéter, je sais que ma mère et mon père prendront le relais.’ Cela m’a fait tellement de bien.”
*Prénoms d’emprunt. Texte: Tine Trappers et Françoise Gauder
Vous aimerez aussi:
Recettes, mode, déco, sexo, astro: suivez nos actus sur Facebook et Instagram. En exclu: nos derniers articles via mail.