© Simon Matzinger/Unsplash

Témoignage: “Mes parents sont morts dans un accident d’avion”

La tragédie avait fait grand bruit: l’été 2014, l’avion de la Malaysia Airlines reliant Amsterdam à Kuala Lumpur a été abattu alors qu’il survolait l’Ukraine. À son bord, 283 passagers… dont les parents de Lisa.

“Mon père était opticien. Dans le hameau où il tenait sa boutique depuis 23 ans, tout le monde était au courant qu’il allait partir 3 semaines en vacances en Malaisie, avec ma maman. Le matin du 17 juillet, je les ai déposés à l’aéroport d’Amsterdam. Sur le panneau d’affichage du hall des départs, le numéro de leur vol – MH17 – était bien affiché. Trois mois plus tôt, un avion de la Malaysia Airlines avait disparu des radars, et je les ai même raillés à ce sujet. ‘Tâchez d’arriver sains et saufs à destination!’ leur ai-je lancé, avant de leur dire au revoir.

C’était leur vol!

En début de soirée, j’ai reçu un SMS de mon coloc: ‘Tes parents n’étaient pas dans cet avion?’ J’ai ouvert l’appli info sur mon téléphone. Et là, j’ai lu le titre en haut de l’écran: ‘Malaysia Airlines’, ‘Kuala Lumpur’, ‘crash’. À cet instant, un voisin a appelé. Il avait entendu les infos et avait griffonné le numéro de vol sur un post-it: ‘MH17’. Et là j’ai réalisé: c’était leur vol.

Un numéro d’urgence officiel avait été ouvert, mais on n’arrivait pas à joindre qui que ce soit. Je me revois, assise, les mains plaquées sur les oreilles pour essayer de ne plus entendre cette tonalité d’attente lancinante et insupportable. J’ai éteint la télé, je ne voulais plus voir ces images. Je gardais une once d’espoir. Peut-être y avait-il des survivants? Ou peut-être mes parents n’avaient-ils pas embarqué? Leur atterrissage était prévu à 1 heure du matin. En temps normal, ils envoyaient toujours un SMS une fois arrivés à destination. Quand l’aube s’est levée sans l’ombre d’un message, j’ai su…

Papa et maman ont été victimes d’une guerre qui ne les concernait pas

Le lendemain matin, nous avons roulé vers l’aéroport, où une liste reprenant les noms des passagers du vol avait été établie. Nous avons dû décrire comment ils étaient habillés. À vrai dire, je suis persuadée que ces infos étaient d’aucune utilité, mais nous avons répondu aux questions parce que c’est ce qu’on nous demandait de faire. S’en est suivie une série d’appels interminables avec toutes sortes d’instances officielles. Ma sœur et moi devenions folles à force de ne rien savoir. Ce n’est que le dimanche, soit quatre jours après le crash, que nous avons été redirigées vers des agents de liaison qui ont répondu à nos questions, rempli des formulaires et effectué des prélèvements d’ADN pour l’identification des corps.</p>

Un cortège de pompes funèbres

Six jours après le crash, les premières dépouilles ont été rapatriées d’Ukraine. Portés par des militaires, les cercueils ont été sortis un à un de l’avion, puis déposés dans les corbillards, en direction de Hilversum, où les corps allaient être identifiés. Nous ignorions toujours si ceux de nos parents figuraient parmi eux. Nous avons dû attendre quatre semaines pour le savoir… Quelques jours avant mon vingt-quatrième<span class=”s1″> </span>anniversaire, le téléphone a sonné. Les corps de mes parents avaient tous deux été identifiés. Nous avions déjà organisé une cérémonie funéraire deux semaines plus tôt car nous avions besoin de dire au revoir, de pouvoir entamer notre processus deuil.</p>

Deuil contre nature

J’ai traversé les premiers mois en mode survie. La douleur était incommensurable. Et la colère immense. Mes parents ont été assassinés. Leurs vies ont été volées par une guerre avec laquelle ils n’avaient rien à voir. Je ne pourrai jamais l’accepter. J’avais été diplômée juste avant leur disparition, après quoi j’avais décidé de prendre mon temps pour décider ce que j’avais envie de faire et commencer à chercher du boulot  au début de l’été. Sauf que c’était au-dessus de mes forces. Et puis, nous avions tellement de choses à régler ma sœur et moi: le magasin, la maison, les factures… Tout au long de cette période, nous avons également dû faire face aux médias qui nous renvoyaient sans cesse et sans délicatesse les raisons de notre chagrin en plein visage. La seule chose qui nous apportait un tant soit peu de réconfort, c’était la présence de nos proches.</p>

La veille du Nouvel An, nous nous sommes envolées vers Bali, une île dont mes parents avaient conservé de magnifiques souvenirs. Nous leur avons une nouvelle fois dit au revoir en y dispersant une partie de leurs cendres. Et là, pour la première fois depuis six mois, je me suis enfin sentie revivre. Il y a eu aussi les paroles de ce chauffeur de taxi, à qui nous avions raconté notre histoire – il y avait à bord du vol MH17 de nombreuses personnes qui faisaient escale à Kuala Lumpur avant de continuer leur chemin vers Bali – et qui nous a dit: ‘Quand vos parents sont montés dans l’avion pour partir en vacances, ils étaient déjà au paradis. Et c’est là qu’ils reposent aujourd’hui, au paradis.’ Savoir qu’ils n’ont pas eu le temps de réaliser, que tout s’est passé si vite, qu’ils n’ont pas eu peur, me procure un peu de paix intérieure.</p>

Une lueur d’espoir

À mon retour de Bali, j’ai décidé d’aller de l’avant. Petit à petit, j’ai refait des projets, repensé à l’avenir. Autour de moi aussi, le calme est revenu. Les discussions ne tournaient plus systématiquement autour de mes parents, même s’ils restaient dans toutes les mémoires. J’ai été engagée au sein d’une agence qui organise des concerts. J’ai pu travailler à mon rythme et ça m’a fait du bien.

Ce que je trouve le plus difficile, c’est de me dire que quoi que j’entreprenne, ils ne seront pas là pour le voir. Le fait qu’ils nous aient été enlevés si brutalement rend les choses d’autant plus éprouvantes. J’imagine que le vide est le même quand quelqu’un décède des suites d’une maladie, mais au moins, on a le temps de dire au revoir.

Grâce à un groupe d’aide aux victimes, ma sœur et moi avons pu rencontrer des gens de notre âge qui avaient également perdu un membre de leur famille dans le crash. On s’est rencontrés plusieurs fois, et depuis, nous nous retrouvons régulièrement les uns chez les autres. On a tous des personnalités très différentes, mais nous partageons quelque chose que personne d’autre ne peut comprendre. On peut rire ensemble et même se permettre des blagues de mauvais goût car nous avons traversé la même épreuve.

Bien que j’aie déménagé, j’ai aussi gardé contact avec les amis de mes parents. Chaque 16 juillet, nous nous réunissons dans une réserve naturelle où nous avions l’habitude de nous balader en famille. On y boit une coupe de champagne, la boisson fétiche de ma maman, et leur dédions notre verre. Dans ces moments, quand nous partageons nos souvenirs, c’est comme si mes parents étaient toujours là. Même si j’aborde ces réunions avec une certaine nervosité, je suis toujours contente après coup.

Le temps ne guérit pas les blessures, certainement pas. Ce qu’il s’est passé m’a marquée à vie. Depuis le drame, c’est comme si je trimbalais sans arrêt un fardeau. J’ai parfois l’impression de devoir gravir une montagne avec un énorme sac à dos sur les épaules. Ce que j’ai appris, c’est qu’on a souvent tendance à sous-estimer ses capacités. Or regardez-moi, je suis encore debout.”

Texte: Annelies Dyck

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