"L’enfer a commencé dès les premiers jours. Je suis arrivée dans une vieille demeure glaciale et labyrinthique." © Yawen Liao/Unsplash

Témoignage: “Comment je me suis libérée d’une secte”

Lorsque la route d’Agathe croise celle de la communauté religieuse des Béatitudes, la jeune femme pense y découvrir une voie vers la guérison. Mais à la bienveillance succède rapidement un enfer, qu’elle mettra 7 ans à fuir.

“J’ai été une enfant puis une adolescente en grande souffrance. Derrière une façade de normalité, la violence verbale et le dénigrement étaient le quotidien de notre famille. Ma mère me terrorisait. Et au contraire de mes sœurs, j’étais considérée comme le vilain petit canard. Il y a eu le décrochage scolaire et la dépression, puis les hospitalisations et les tentatives de suicide. Je traversais des périodes toujours plus noires. Madeleine* habitait en face de chez mes parents. Nous étions aussi proches que des sœurs. Sa famille était très croyante. Tout l’opposé de la mienne. Chez eux, je me sentais protégée, choyée.”

Les mots justes

“À mes 22 ans, alors que je sombrais dans l’alcool et les troubles alimentaires, je les ai accompagnés en vacances. Madeleine avait invité des copines. Un soir, toutes ont commencé à raconter leurs expériences spirituelles. Elles en parlaient avec une sorte d’aura. Je suis rentrée de ce voyage avec un évangile et j’ai prié chaque matin pendant 15 jours, mais j’allais toujours aussi mal. C’est alors que Viviane*, la mère de Madeleine, m’a parlé des Béatitudes, la communauté catholique dans la mouvance du renouveau charismatique à laquelle elle appartenait et qui pratiquait une thérapie psycho-spirituelle miraculeuse.

Elle m’a proposé de me présenter Yvette*, celle qui encadrait ces séances. Je détestais les psychologues, n’ayant eu que de mauvaises expériences, mais en désespoir de cause, j’ai accepté. Et je ne sais comment, Yvette a gagné ma confiance. Je lui ai raconté mon histoire, me livrant comme jamais auparavant. Après m’avoir écoutée, elle a déclaré que rien n’était de ma faute. Que mes parents me blâmaient pour ne pas admettre qu’ils étaient coupables et malades. Que j’étais très intelligente et capable d’accomplir de grandes choses. Les mots que j’avais rêvé d’entendre durant toute mon existence. Je n’imaginais pas que c’était le début de l’emprise.”

Dieu, guide de la liberté

“Sans le savoir, je lui servais sur un plateau le moyen de me couper de mes proches. Chacun de mes mots était une arme pour diaboliser ma famille et en même temps me convaincre que Dieu allait me sauver. Mes parents étaient fermement opposés à ces séances, ce qui à mes yeux, était la preuve qu’ils ne souhaitaient pas ma guérison.

J’ai fini par me réfugier auprès de la famille de Madeleine. Je réalisais un stage chez un fleuriste, j’avais l’impression d’avoir trouvé ma voie, d’aller bien, grâce à la présence de Dieu et à son Amour. En 6-8 mois, il était devenu mon phare, le détenteur de mon bonheur et de ma liberté.

J’ai dit à mes parents et à mon employeur que Dieu avait changé ma vie et que je partais le retrouver.

Durant cette période, j’ai réalisé avec Madeleine une retraite dans une des maisons de la communauté des Béatitudes. Une parenthèse très joyeuse, dans un esprit bienveillant. Alors, lorsque Yvette et Viviane m’ont proposé d’y retourner seule, afin de guérir vraiment, j’ai accepté. J’ai écrit des lettres à mes parents ainsi qu’à mon employeur pour leur dire que Dieu avait changé ma vie et que je partais le retrouver. Dans mon esprit, il s’agissait d’une étape, le temps de me rétablir. Je n’aurais jamais pensé y rester 7 ans.”

Le début de l’enfer

L’enfer a commencé dès les premiers jours. Je suis arrivée dans une vieille demeure glaciale et labyrinthique, où nous vivions à une cinquantaine. Le quotidien était centré autour du labeur et de la prière. Le petit-déjeuner était suivi du recueillement et des laudes (prières matinales, ndlr), ensuite le travail, la messe, le déjeuner et les corvées ménagères, le retour au travail et enfin le chapelet et l’office, puis le coucher.

La maison était gérée par un berger. Sous ses ordres se trouvaient les responsables de l’organisation pratique ainsi que nos guides spirituels. Nous leur devions obéissance à tous. Dieu y était le juge ultime, surveillant en permanence nos pensées, faits et gestes.

Au début, j’étais désespérée, mais je ne me voyais pas partir. Je ne pouvais pas retourner chez Madeleine, dont la maison était en face de chez mes parents. Ma vie d’avant était en lambeaux. Il ne me restait plus rien. Nous n’étions plus censés quitter les lieux, pourtant je faisais parfois des fugues, mais je revenais rapidement, suppliant qu’on me pardonne. Il n’y avait ni barreaux ni grillages. Il n’y en avait pas besoin. Ils étaient en nous.”

7 ans à l’écart du monde

“Je me disais qu’il était trop tard pour que je puisse être sauvée. On nous répétait sans cesse que nous étions l’élite, au-dessus des pécheurs aveugles. Si j’étais malheureuse, cela devait forcément être de ma faute. Alors j’ai tenté de toutes mes forces de m’adapter.

Il fallait demander l’autorisation pour absolument tout. C’était très infantilisant, mais aussi reposant d’abandonner son identité et ses biens. Et puis un jour, je suis tombée amoureuse d’un garçon. On était censé demander son aval au berger, mais je n’osais pas. Et puis, après de longs mois d’espoir secret, j’ai compris que ce garçon ne m’aimait pas et j’ai demandé à changer de maison. Je ne pouvais plus rester là.

J’ai intégré un autre lieu de la communauté. Moins strict, mais tout aussi malsain. C’était le domaine de l’un des fondateurs des Béatitudes. Il y avait ses favorites, dont je ne faisais pas partie. J’étais maltraitée une nouvelle fois, et pire que tout, par le représentant direct de Dieu. Là-bas, j’avais le droit de sortir et je me rendais dans des bars pour boire jusqu’à me noyer. Je revenais en me confessant, mais un jour le berger m’a mise face à un ultimatum: je rentrais dans le droit chemin ou je partais. Une heure après, je quittais les lieux. J’avais rencontré quelques années plus tôt une assistante sociale très bienveillante. Je lui ai demandé de m’héberger. Sur le moment, je me sentais libérée. Je n’avais pas pris la mesure de mon état intérieur. Du traumatisme. J’étais entrée dans cette communauté à 23 ans. J’en ressortais à 30, détruite.”

Se reconstruire, chaque jour

“Je suis restée 4 mois chez elle avant de sombrer et de m’autodétruire à petit feu. J’ai replongé plus fort que jamais dans les addictions, intégré d’autres communautés religieuses qui se sont révélées encore pires. Je suis devenue accro aux médicaments censés m’aider. Un jour, j’ai tout avalé d’un coup. J’aurais pu mourir.

Tout me semblait trop violent, m’égratignait.

Et puis, doucement, j’ai sorti la tête de l’eau. Je suis devenue bénévole au Secours Catholique. J’ai entrepris des formations, recroisé par hasard Christophe, une connaissance qui allait devenir mon futur mari. Une libraire de mon village m’a proposé un petit travail. Mais tout me semblait trop violent, m’égratignait.

J’ai replongé plusieurs fois et retenté des thérapies, mais c’était un désastre. Jusqu’à la rencontre d’une nouvelle psychologue qui a réussi à franchir mes murailles. J’ai réussi à me sevrer des médicaments et de l’alcool.”

L’écriture comme remède

“Un jour, je suis tombée sur le témoignage d’un psychiatre qui dénonçait les thérapies déviantes et l’emprise. Et ça a été le déclic. Onze ans après Les Béatitudes, j’ai commencé à écrire. C’est devenu mon remède. J’ai d’abord écrit 13 pages sur mon histoire. Puis est venu un livre, rédigé avec l’aide de mon mari, j’avais besoin d’alerter. De dire que ma douleur m’a rendue plus fragile face à cet environnement sectaire, mais que la manipulation est insidieuse et peut trouver un terrain ou se développer chez chacun d’entre nous. Personne n’est à l’abri de l’emprise. Aujourd’hui, je n’ai plus aucun contact avec Madeleine ou qui que ce soit des Béatitudes. J’ai trouvé la paix, mais les séquelles sont là. Je ne sais pas si un jour, je serai véritablement guérie.”

*Prénoms d’emprunt. Texte: Barbara Wesoly

Aller plus loin

Pourquoi se (c)taire?, de Agathe et Christophe Renouard, éd. Maïa

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