
Témoignage: “Je suis devenu famille d’accueil en étant papa célibataire”
En Fédération Wallonie-Bruxelles, près de 4000 enfants vivent en famille d’accueil, et plus de 600 attendent encore une place. Dans son livre émouvant, Éric, 43 ans, raconte comment il est devenu papa solo après avoir accueilli Lilly, il y a 5 ans.
“J’ai toujours rêvé de devenir papa, mais en tant que gay et célibataire, à l’approche de la quarantaine, je savais que ça ne serait pas un parcours classique. Un jour, j’ai entendu parler du système des familles d’accueil. Je me suis renseigné sur Internet et j’ai découvert qu’un SAAF (Service d’Accompagnement en Accueil Familial) se trouvait au bout de ma rue et qu’une séance d’information s’y tenait quelques jours plus tard. En sortant de la session, c’était une évidence: c’était exactement ce que je voulais.”
Le meilleur “match” possible
“Assez rapidement, j’ai entamé les démarches pour devenir famille d’accueil longue durée. Le processus s’étend sur plusieurs mois et comprend une dizaine de rendez-vous avec des psychologues et assistants sociaux. En tant que papa solo, je ne me sentais pas prêt à m’occuper d’un bébé. J’ai exprimé mon souhait d’accueillir un enfant âgé entre 3 et 5 ans. Les services d’accueil s’efforcent de créer le meilleur ‘match’ possible entre l’enfant et la famille d’accueil, en tenant compte des besoins de chacun. Ils ont pensé que je formerais un bon duo avec Lilly, une petite fille de 4 ans.
Très attachée à sa maman biologique, qu’elle ne voyait pourtant plus depuis longtemps, son placement dans une famille avec une mère d’accueil aurait pu créer un conflit de loyauté. Par ailleurs, elle avait besoin d’un cadre structurant, et les professionnels ont estimé que ma personnalité assez cadrante lui conviendrait bien.”
24 heures pour prendre une décision
“On m’a présenté le profil de Lilly par visioconférence, en pleine période de covid. Lors de l’entretien, j’ai à peine reconnu l’assistante sociale et la psy qui m’avaient accompagné tout au long du processus. Elles étaient distantes et m’ont exposé le dossier de manière glaciale. Je n’ai eu droit qu’à une succession de faits très durs: l’abandon de Lilly à ses 17 mois, son sevrage à la naissance à cause de la toxicomanie de sa mère, son strabisme, son retard de langage… Des informations difficiles à entendre quand on s’apprête à devenir parent.
J’avais l’impression de me condamner à une vie de contraintes.
Elles m’ont donné 24 heures pour accepter ou refuser l’accueil de Lilly. J’étais complètement perdu. D’un côté, je n’arrivais pas à m’imaginer accepter une situation aussi complexe. J’avais l’impression de me condamner à une vie de contraintes. De l’autre, le rejet semblait impensable après tout ce que cet enfant avait déjà traversé. La culpabilité aurait été trop forte. J’ai demandé à parler à quelqu’un qui connaissait Lilly pour en savoir plus sur sa personnalité.”
Se confronter à la réalité, avant la rencontre
“Exceptionnellement, j’ai pu m’entretenir avec Karine, sa puéricultrice de référence. Elle m’a décrit Lilly comme une petite fille rayonnante, espiègle, qui adorait le chocolat. Grâce à elle, j’ai pu voir au-delà des faits bruts du dossier et j’ai accepté d’accueillir Lilly. Par la suite, les professionnelles du SAAF m’ont expliqué que cette présentation froide et factuelle était délibérée, afin que les parents d’accueil ne puissent pas leur reprocher d’avoir caché la vérité. Mais, à ce moment-là, je m’étais tellement projeté dans la joie de devenir papa que la confrontation avec la dure réalité du passé de Lilly m’a fait l’effet d’une douche froide. On oublie parfois que les enfants sont retirés à leur famille d’origine suite à des faits graves de négligence, voire de maltraitance.”
“Neuf mois, le temps d’une grossesse, se sont écoulés entre le début des démarches et la première rencontre avec Lilly. Le jour J, elle était enfouie dans les bras de sa puéricultrice. J’avais préparé des photos de sa chambre et de mes amis qui allaient devenir ses tontons. Timide, la petite fille faisait mine de ne pas m’écouter, mais Karine m’encourageait à continuer. Au bout de 30 minutes, Lilly a laissé tomber son doudou. Je l’ai ramassé et, après l’avoir récupéré, elle me l’a tendu. Ce geste était sa manière de me montrer qu’elle m’acceptait. Petit à petit, elle a commencé à s’ouvrir et à sourire. En repartant, elle m’a fait un signe de la main. Ce jour-là, je n’ai pas entendu le son de sa voix, mais il y a eu une véritable évolution en seulement une heure de rencontre. Et quand j’ai revu Lilly quelques jours plus tard, elle m’a presque sauté dans les bras. Elle a commencé à parler, et depuis, elle ne s’est plus jamais arrêtée!
Lilly n’était pas malheureuse en pouponnière. C’était courageux de sa part de quitter son environnement.
La phase de pré-accueil a duré un mois et demi, au cours duquel j’ai vu Lilly plusieurs fois par semaine. Au début, c’était en pouponnière, puis en dehors de l’institution, et enfin à la maison. Le 13 août 2020, elle s’est installée définitivement chez moi. Quand je suis allé la chercher, ce fut à la fois beau et difficile. Lilly n’était pas malheureuse en pouponnière. C’était courageux de sa part, du haut de ses 4 ans, de quitter l’environnement dans lequel elle avait presque toujours vécu, ses habitudes, ses copains et sa référente qu’elle considérait comme sa deuxième maman.”
Prendre ses marques doucement
“Lilly coupait consciemment les liens avec cet univers familier pour rejoindre un inconnu qu’elle connaissait à peine. Mais elle savait que c’était nécessaire, car on lui répétait sans cesse ‘qu’il fallait une famille pour bien grandir’. Dans le rétroviseur, en quittant la pouponnière, j’ai vu Karine s’effondrer dans les bras de sa collègue.
Arrivés à la maison, Lilly était excitée. Mais soudain, elle a fondu en larmes, elle aussi. Petit à petit, elle a pris ses marques dans sa nouvelle maison et nous avons appris à nous apprivoiser, l’un l’autre. Le travail des services est incroyable: réussir à détacher un enfant d’un univers pour l’ancrer dans un autre, créer un lien artificiel jusqu’à le rendre naturel, cela relève de la dentelle!”
Tester et se sentir en insécurité
“Pendant tout le pré-accueil, Lilly était en mode séduction. Elle se montrait sous son meilleur jour, m’écoutait et obéissait. Un ange! Mais la psychologue de la pouponnière m’avait prévenu: “Attention, n’oubliez pas qu’avant de mettre un téléphone sur le marché, on le casse pour vérifier sa résistance. Préparez-vous, elle va tout faire pour vous casser.”
Au début, je n’y croyais pas, mais rapidement, Lilly a commencé à tester les limites: elle frappait violemment dans le cadre, cherchant à savoir si je la garderais ou la ramènerais à la pouponnière. C’est ce qu’on appelle le trouble de l’attachement, un comportement fréquent chez les enfants abandonnés. On en entend souvent parler, mais il faut le vivre pour vraiment le comprendre. Il a fallu du temps pour que Lilly sache qu’elle pouvait compter sur moi. Même après 5 ans, dès qu’elle se sent en insécurité, elle cherche à vérifier si je vais partir. Mon rôle est de lui montrer que je ne l’abandonnerai pas, quoi qu’il arrive. C’est parfois épuisant.”
Un quotidien plus spontané
“Aujourd’hui, Lilly a 9 ans. Cela fait 7 ans qu’elle n’a pas vu sa mère, et qu’elle nourrit toujours l’espoir de la retrouver. Je souhaite sincèrement que sa mère aille mieux un jour, qu’elle puisse lui offrir les réponses dont elle a besoin et lui expliquer que l’abandon n’était pas de sa faute, pour que Lilly puisse enfin faire la paix avec son passé.
Lilly a mis du désordre dans ma vie et de la vie dans mon quotidien.
De mon côté, j’ai entamé les démarches pour adopter Lilly et officialiser notre lien. Je veux qu’elle devienne ma fille et porte mon nom de famille! Avant elle, j’étais un homme plutôt rigide. Mon appartement ressemblait à un magazine de déco. Lilly a mis du désordre dans ma vie et de la vie dans mon quotidien. Elle est spontanée, ‘organique’. Cette petite fille m’a transformé. Elle m’a appris à m’ouvrir et à avoir davantage confiance. Parce qu’il est impossible de tout contrôler, surtout avec un enfant placé. Grâce à Lilly, j’ai appris à lâcher prise, à accepter les choses telles qu’elles viennent, et à être heureux, tout simplement.”
Le livre à lire:
Histoire d’un papa solo, “Ta famille, c’est ceux qui t’aiment”, Éric Willem, éd. Racines.
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