
Camille Etienne: l’incroyable projet de rejoindre la COP30 en voilier
Le 5 octobre, 6 femmes activistes mettront les voiles pour Belém, au Brésil, afin de rejoindre la COP30. Une expédition hors norme, soutenue par Amnesty International, qui sera aussi l’objet d’un documentaire vidéo. Rencontre avec Camille Etienne, l’une des militantes à la barre!
Comment est née l’idée de traverser l’Atlantique à la voile, avec cette équipe?
C’est Adélaïde Charlier (activiste pour la justice climatique à Bruxelles, ndlr) qui a eu l’idée du projet. Elle avait déjà traversé une première fois pour rejoindre la COP25, au Chili, qui avait finalement été annulée en raison de troubles sociaux. Elle a travaillé pour mettre en place ce voyage pendant de nombreux mois, et je l’ai rejointe un peu plus tard. Quant à l’équipe, elle s’est formée naturellement, en prenant en compte nos complémentarités. La traversée sera l’occasion de se découvrir davantage; la voile étant un formidable laboratoire humain : sans confort, sans sommeil, on révèle nos vraies personnalités. Ces semaines de navigation seront aussi l’occasion de débats profonds, loin des sollicitations permanentes des réseaux et de la connexion internet.
Pourquoi avoir fait le choix d’un équipage exclusivement féminin?
Les femmes sont les premières victimes de la crise climatique : elles sont surreprésentées parmi les déplacés climatiques, subissent davantage les catastrophes naturelles, et restent largement écartées des lieux de décision. Dans les COP, la parité est loin d’être atteinte. Pourtant, ce sont des hommes qui décident de politiques dont les conséquences frapperont en majorité les femmes. La voile, elle aussi, reste un milieu très masculin, en tout cas dans sa représentation médiatique. Traverser en équipage féminin, c’est inverser cette logique et montrer que nous avons toute notre place, sur les océans comme dans les négociations.
La mer est le dernier espace de liberté non délimité par un État. C’est aussi un espace de solidarité internationale.
Au-delà du symbole, quel est l’objectif de votre présence à Belém?
Il y en a plusieurs. D’abord, on va être présentes au Sommet des Peuples, qui a lieu en marge des négociations officielles. On y retrouve activistes et associations locaux, peuples autochtones… On y organise des actions pour attirer l’attention sur des sujets clés, on y tisse des liens et on donne une caisse de résonance aux voix locales. On va aussi essayer d’intégrer la zone bleue, là où se jouent les négociations officielles. Là, l’enjeu est d’obtenir des accréditations pour intégrer les délégations de nos pays respectifs et peser – modestement – dans les discussions. C’est important que la société civile soit représentée. Face à l’urgence climatique, on peut choisir la politique de la chaise vide… Nous, on a décidé de montrer notre présence.
Vous parlez de la COP30 comme de “la COP de la dernière chance”. Qu’est-ce qui rend ce rendez-vous si crucial à vos yeux?
Parce qu’elle se tient au Brésil, à Belém. C’est rare que les COP se déroulent dans des pays du Sud global (ndlr: pays d’Afrique, d’Amérique latine, d’Asie ou d’Océanie dits “en développement”), directement touchés par le dérèglement climatique alors qu’ils ne l’ont pas causé. Là-bas, les populations autochtones et les activistes locaux seront très présents, et c’est essentiel : ce sont eux qui subissent en première ligne les conséquences du réchauffement. C’est aussi une COP-bilan: 10 ans après l’Accord de Paris, force est de constater que la situation s’est aggravée. Conférence après conférence, les degrés continuent de grimper.
Pourtant, participer à une COP reste un parcours d’obstacles…
Oui. C’est devenu un événement très fermé et très cher. Les prix des hôtels atteignent des sommets stratosphériques, parfois hors budget même pour des délégations diplomatiques. Cela exclut de facto les ONG, les activistes, ou les pays les moins riches. On va contourner cet obstacle en dormant directement sur notre bateau, qui fera office d’hôtel flottant.
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Concrètement, que considérez-vous comme une victoire possible?
À nos yeux, la priorité reste la sortie des énergies fossiles. Il serait déjà énorme que le terme “énergies fossiles” figure dans le texte final – ce qui est loin d’être acquis, tant la pression des lobbies est forte. Aujourd’hui, il y a plus de représentants des industries fossiles à la COP que de délégués d’États. C’est aberrant. On ne soigne pas la malaria en invitant des moustiques ! Une victoire serait aussi d’exposer cette confiscation de la décision publique et de faire en sorte que les citoyens ne soient plus dupes.
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L’intelligence artificielle sera aussi au cœur des discussions…
Oui, il y a 2 sujets qui me préoccupent particulièrement: l’impact énergétique de l’intelligence artificielle et le développement de la géo-ingénierie. L’IA, telle qu’elle est utilisée aujourd’hui, est extrêmement énergivore. Entraîner les modèles, refroidir les data centers: tout cela repose encore largement sur les énergies fossiles. Dans ces conditions, sortir du fossile devient quasiment impossible. L’intelligence artificielle peut être utilisée de manière intéressante pour la recherche scientifique, par exemple, mais si on fait le choix d’une société où tout le monde l’utilise à tout-va, on se condamne.
Après la flottille pour gaza, les flottilles pour la COP30… La mer est-elle devenue un nouveau lieu de résistance?
Oui, absolument. On le voit avec les flottilles qui partent manifester au large de Lampedusa ou ailleurs. La mer est le dernier espace de liberté non délimité par un État. C’est aussi un espace de solidarité internationale, où les activistes de différents pays peuvent se retrouver, tisser des liens et renforcer leurs luttes. Sans oublier que la pollution des océans reste une grande problématique dont on pourra discuter à bord.
Qu’espérez-vous, personnellement, de cette traversée?
D’abord, créer du lien. Avec mes coéquipières, avec les activistes que nous rencontrerons sur place. On est souvent déconnectés des conséquences de nos actes : d’où l’importance de partir à la rencontre de ceux que le réchauffement climatique touche directement et dans le présent. Cette expédition nous permettra aussi d’apporter, à notre échelle, une voix supplémentaire à ceux qui vivent déjà les conséquences du dérèglement. Puis, ce voyage, c’est est une manière de dire : “Nous serons là, coûte que coûte”. Même si la COP devient inaccessible, même si le système se ferme, nous trouverons des moyens d’y être. Pour témoigner et pour occuper le terrain.
Pour suivre l’expédition, rendez-vous sur Instagram @womenwaveproject. La sortie du documentaire est prévue pour fin 2026.
L’équipage
– Adélaïde Charlier (activiste pour la justice climatique)
– Camille Étienne (activiste pour la justice climatique)
– Coline Balfroid (vidéaste)
– Maité Meeûs (activiste pour les droits des femmes)
– Mariam Toure (activiste pour les droits humains)
– Lucie Morauw (activiste pour la justice climatique et vidéaste).
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