
Contes de fées: faut-il encore les lire?
Les contes de fées existent depuis la nuit des temps, mais ont-ils encore des choses intéressantes à nous dire, ou sont-ils dépassés?
Autrefois oraux, les contes rassemblaient les villages, enfants et adultes confondus. On se réunissait autour d’un conteur ou d’une conteuse pour s’émouvoir ensemble à l’écoute d’histoires à la fois universelles et éloignées de notre réalité (“Il y a bien longtemps, dans un pays lointain…”) et où tout était donc possible.
Un vocabulaire savoureux
On retrouve les mêmes archétypes de contes partout dans le monde. Cendrillon, par exemple, est d’abord apparue en Chine, au 7e siècle, avant de parvenir en Europe. Contrairement à l’image qu’on en a aujourd’hui, les contes n’étaient pas destinés aux enfants. Ils étaient violents, avec des méchants vraiment méchants, d’incroyables rebondissements et plein de doubles sens (souvent sexuels, qu’on ne découvre, étonnés, qu’en grandissant). Et comme ils étaient oraux, les conteurs avaient la liberté de broder à partir de leur structure initiale pour s’adapter à leur auditoire et le captiver plus encore.
Enfin, au-delà des récits marquants, les contes nous offrent un vocabulaire savoureux: on tire la chevillette, on ouvre des grimoires, on porte des pantoufles de vair (ou de verre, le débat reste ouvert, car finalement pourquoi dans une histoire où tout est possible, ne marcherait-on pas sur du verre?).
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La morale des contes de fées
On a l’habitude de voir les contes dotés d’une morale. Mais ceux-ci n’en étaient pas pourvus au départ. C’est le Parisien Charles Perrault, dans son recueil Contes de la mère l’Oye (paru en 1697), qui a eu l’idée de les assortir à la fois d’une morale et d’illustrations. Une combinaison qui lui a valu son succès.
Plus tard, le conteur danois Hans Christian Andersen (1805-1875), auteur notamment de La Petite Sirène et de La Reine des neiges, a lui clamé qu’il ne fallait pas chercher de morale à ses contes… Ce qui n’a pas empêché nombre de psychanalystes de tenter de les interpréter et de leur asséner un sens définitif.
Des valeurs parfois choquantes
Bien sûr, chaque conte, même sans morale, porte des valeurs. Et certaines nous choquent aujourd’hui: veut-on encore valoriser la blancheur de la peau? Ne caractériser les femmes que par leur apparence (belle ou laide)? Et les doter avant tout de défauts (ignorance, curiosité, faiblesse) quand les garçons sont souvent décrits comme courageux et intelligents? Ne leur donner comme objectif que d’être épousée ou sauvée?
Sans oublier que si Disney nous a offert des versions des contes moins violentes que celles d’autrefois, elles ont été pires d’un point de vue féministe, tout au long du 20e siècle. Blanche-Neige, par exemple, adore tant le ménage qu’elle ne peut s’empêcher de nettoyer la maison d’inconnus! Et les hommes (les nains) ne sont pas moins caricaturaux: incapables de tenir une maison, sales, ronflant, tous forcément amoureux de Blanche-Neige… Sans oublier le prince qui embrasse la jeune fille sans son consentement, alors que ça n’arrive pas dans le conte initial (il la fait tomber, ce qui débloque le morceau de pomme empoisonnée).
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Des contes de fées modernes
Heureusement, les contes nous transmettent aussi d’autres messages. Certains sont mêmes révolutionnaires: les faibles peuvent gagner contre les puissants et il est possible de transformer son destin! Et dans certains contes, ce sont même les filles qui ont le beau rôle comme dans Hansel & Gretel (qui finit par sauver son frère), La Reine des neiges (où une petite fille part en quête de son ami) et même certaines versions du Petit Chaperon rouge où la fillette se joue du loup.
Enfin, vous êtes libre d’interpréter les contes à votre manière, en lien avec notre époque, et d’y mettre les valeurs que vous voulez!
Interview de Charlotte Dekoker
Dans son livre Tous sauf charmants?, la journaliste Charlotte Dekoker replace les contes dans leur contexte, les raconte (dans leur version non édulcorée) et les décode avec énormément d’humour. S’il y a effectivement de nombreux contes misogynes, d’autres l’ont surprise par leurs messages incroyablement modernes, voire féministes. Nous l’avons interviewée.
L’actualité des contes de fées
Faut-il encore lire des contes de fées à ses enfants, aujourd’hui?
Je pense qu’il faut faire confiance aux enfants: ils savent mieux que nous ce qu’ils ont envie qu’on leur lise ou pas. Le plus important, c’est de discuter avec l’enfant et de ne pas toujours lire la même chose. Moi, ce qui m’a posé problème dans ma jeunesse, c’était l’accumulation de récits avec toujours les mêmes modèles. On peut être beaucoup plus varié en lisant des contes du monde entier et, bien sûr, de la nouvelle littérature jeunesse, qui est passionnante!
Si on veut que le Petit Chaperon rouge s’en sorte seule, qu’elle joue des tours au loup, c’est possible!
Justement, les contes ont énormément influencé toutes les fictions modernes (on le voit avec les Disney, mais aussi les séries, les livres qui les revisitent), qu’est-ce qui les rend différents de nos fictions modernes?
C’est le fait qu’ils vont à l’essentiel. Il s’agit de récits souvent sans fioritures, où l’histoire est réduite à sa substantifique moelle. Et puis ils sont faits pour être partagés oralement. Le plaisir du conte, c’est aussi de créer du lien avec ses grands-parents, ses parents ou tout autre adulte de référence. Et puis, ils ont sur nous l’effet de suspension provisoire d’incrédulité: on y croit… tout en sachant que c’est pour de faux. On peut donc se faire peur en toute sécurité. Par exemple, quand mon grand-père faisait le loup, j’avais vraiment peur, mais je savais quand même que c’était mon grand-père! Les contes font partie de mes plus beaux souvenirs d’enfance.
Comment conseilleriez-vous aux gens de lire les contes, aujourd’hui?
Avec toute la liberté du monde! Ils peuvent par exemple en changer la fin! Ce ne sont pas des récits figés dans le temps: ils sont issus de la tradition orale et on peut donc en faire ce qu’on veut! Si on veut que le Petit Chaperon rouge s’en sorte toute seule, qu’elle joue des tours au loup, c’est possible! Nous pouvons faire en fonction de nos valeurs et raconter les histoires qu’on a envie de raconter. On peut aussi les interpréter à sa manière. Par exemple, dans mon livre, j’ai à la fois tenté de les remettre dans leur contexte historique, de voir ce qu’ils voulaient vraiment dire à leur époque, et de les lire comme s’ils avaient été écrits aujourd’hui: qu’est-ce qu’ils me diraient sur le monde actuel?
Des valeurs intéressantes
Lors de vos recherches sur les contes, quel est celui qui vous a le plus surprise?
Aladin! C’est un garçon qui vit dans le dénuement le plus total et qui est vraiment méchant. Son père travaille comme un forcené pour une misère et Aladin refuse de suivre son exemple. Il préfère ne rien faire! Il va faire mourir son père de chagrin, maltraiter sa mère! Mais quand il rencontre un génie et finit par avoir de l’argent, il devient une bonne personne. Pour moi, la moralité est qu’être dans une forme d’insécurité, à la fois affective et matérielle, nous fait parfois faire des choses violentes. Et qu’en changeant de contexte, en n’ayant plus à se préoccuper de savoir ce qu’on va manger demain, on a plus d’espace pour devenir une bonne personne. J’ai trouvé qu’il y avait vraiment quelque chose d’intéressant.
La Belle et la bête, parle avant tout de consentement. Le sujet est tellement actuel!
Quels sont les 3 contes de fées dont les valeurs vous ont semblé les plus fortes et modernes?
D’abord La Belle et la bête, parce que ça parle de consentement et que le sujet est tellement actuel! C’est fou de réaliser qu’au 18e siècle, c’était déjà le cas. Tous les mariages étaient arrangés. Le conte de Gabrielle-Suzanne de Villeneuve nous explique qu’une femme sera malheureuse si ce n’est pas elle qui choisit son mari! La Bête, tous les soirs, demande à Belle si elle veut coucher avec lui, et respecte son refus!
Il y a aussi La Reine des neiges: un petit garçon est frappé par la Reine des neiges. Des flocons lui rendent le cœur triste (il souffre de dépression!) et il n’a plus goût à rien. Même sa meilleure amie, n’arrive pas à lui rendre le sourire. Quand la Reine l’enlève, la petite fille, part à sa recherche. Elle traverse des épreuves incroyables et s’émancipe de tous les stéréotypes pour sauver son ami!
La petite sirène nous donne un message complexe sur la difficulté de s’émanciper de son milieu. Une ondine (qui n’a même pas de prénom dans le conte) échange sa voix contre des jambes, auprès d’une sorcière. Elle ne sait pas que dans le monde des humains, c’est important de pouvoir parler. Elle pense qu’il lui suffira de danser. Mais elle va tomber de haut, car privée de la parole, on la trouve bien sympathique, mais un peu idiote et elle n’intéresse personne. Je trouve que ça en dit beaucoup sur les croyances qu’on a quand on rêve d’un autre milieu et qu’on parvient à le quitter. Ça ne se passe jamais tout à fait bien.
Si les contes de fées vous intéressent, lisez:
Tout sauf charmants? Un nouveau regard sur les contes de fées, Charlotte Dekoker, éd. Mango
Et à la fin ils meurent. La sale vérité sur les contes de fées, Lou Lubie, éd. Delcourt.
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