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"Pourquoi personne ne dit rien alors que tout le monde sait?"

Violée par son grand-père, Marine témoigne: “Pourquoi ce silence autour de l’inceste?”

Marine a été violée par son grand-père. Tout le monde savait, mais personne n’a rien dit… Devenue journaliste, elle s’est lancée dans l’enquête la plus difficile de sa vie: interroger sa famille pour comprendre la mécanique du silence autour de l’inceste.

“C’est une journée ordinaire. L’ambiance est légère. Mes parents m’aident à faire du rangement dans mon nouvel appartement. De l’une des fenêtres, on aperçoit un cimetière. On papote. Mon père dit: ‘Moi, ça me ferait plaisir d’être enterré avec mon père!’ Je me fige. Mais non! Pas ça! Son père m’a violée quand j’étais enfant. Il le sait. Et il veut être enterré avec lui? Jusqu’à quand va-t-il faire comme si rien ne s’était passé? Jusqu’au bout? Jusqu’après la mort? Je suis sous le choc. C’est violent.

“Chut! Faut rien dire!”

Mon père sait depuis très longtemps… Je devais avoir 8 ou 9 ans. J’étais en voiture avec mes parents et une cousine. Aux infos à la radio, on parle d’un homme arrêté parce qu’il violait ses enfants. Ma cousine dit: ‘C’est comme Bon-Papa avec nous’. Je lui dis: ‘Chut! Faut rien dire!’ De l’extérieur, tout le monde aurait juré que c’était le grand-père parfait… Il venait souvent en vacances à la maison, il nous offrait plein de cadeaux et il adorait jouer avec nous. Il m’a appris à jouer aux échecs –je déteste les échecs. C’est aussi lui qui m’a appris à éplucher une pomme –mais j’ai toujours du mal à éplucher une pomme. Parce que cet homme m’a violée. Je ne sais pas exactement quand ça a commencé. Mes souvenirs sont flous. Mais je me rappelle très bien des sensations. Il murmurait ‘Panpan cucul’. Ces 2 mots me glacent toujours le sang.

Peut-on oublier facilement?

Quand j’en ai parlé, mes parents m’ont crue immédiatement. Ils m’ont même emmenée voir un psy. Il les a rassurés: ‘Ne vous inquiétez pas, elle est très jeune, elle va tout oublier’. Comme s’il s’agissait d’une égratignure qui allait disparaître rapidement… Mes parents se sont dit: ‘Allez, c’est pas bien grave.’ Et ils ont refermé le dossier.

J’aurais préféré être violée par un inconnu dans un parking. Je n’aurais pas eu à subir tout cela par la suite…

Ma mère a quand même appelé mes tantes –mon père a 6 frères et sœurs– pour les prévenir. Elles n’étaient pas surprises. Tout le monde savait. Ou se doutait. Mes parents décident alors de ne plus inviter le père de mon père à la maison. Par contre, on continue à le voir ailleurs. Pour Noël, pour Pâques… Ma mère, qui a perdu ses parents très jeune, ne veut pas faire exploser la famille. À chaque réunion familiale, c’est pareil. Je ne veux pas le voir, mais on m’oblige. ‘Allez Marine, viens dire bonjour à ton grand-père. Allez, c’est la politesse! Dépêche-toi!’

Les “bons” souvenirs

Le temps passe et mon mal-être ne s’efface pas. À 15 ans, j’arrache de l’album toutes les photos où l’on voit le père de mon père. Ma mère me punit: ‘Tu n’as pas le droit! Ce sont des souvenirs de famille!’ Lorsqu’il décède, peu de temps après, je refuse d’aller à son enterrement. Je refuse de rendre hommage à cet homme. Mes parents n’insistent pas. Parmi mes nombreux oncles, tantes, cousins et cousines, personne ne m’interroge sur les raisons de mon absence.

Personne ne remet en question la personnalité du grand-père. Au contraire. Lors des réunions familiales, tout le monde se remémore les bons souvenirs. ‘Tu te souviens que Papa faisait ça? Et tu te souviens de l’histoire de la balançoire?’ Chacun y va de ses anecdotes. Comme si rien ne s’était passé. Parfois je me dis que j’aurais préféré être violée par un inconnu dans un parking. Je n’aurais pas eu à subir tout cela par la suite… Et maintenant, mon père veut être enterré avec lui! C’est la cerise sur le gâteau.

Enquêter pour déterrer le passé

C’est à ce moment-là que je décide d’enquêter. Je suis journaliste. C’est mon métier. Je veux comprendre comment fonctionne cette mécanique du silence autour de l’inceste. Pourquoi personne ne dit rien alors que tout le monde sait? J’envoie un mail à tous mes oncles et tantes, en demandant à les rencontrer. Ils acceptent tous. Sauf mon père, qui réagit violemment. Il trouve que c’est une idée stupide, que j’en fais trop, que ça ne sert à rien de remuer le passé. Mais je ne lâche pas le projet.

Je fais le tour de la famille. Je commence par Paul, le cadet. Lui ne se sent pas vraiment concerné parce qu’il a des garçons, pas de fille. Sa femme savait, elle lui a dit à plusieurs reprises, mais il n’en a aucun souvenir. Lucien, l’aîné, a 3 filles. Mais comme elles ne lui ont jamais rien dit, il ne s’est jamais inquiété. Leur a-t-il posé clairement la question? Non. Mais de toute façon, il n’allait quand même pas porter plainte contre son propre père…

Rien que des soupçons

Ma tante Annie est celle dont je suis la plus proche. J’ai même habité quelque temps chez elle. Mais elle ne m’a jamais parlé de rien. Quand elle reçoit mon mail, elle comprend cependant de quoi je veux discuter… ‘J’ai été la première à trinquer’, m’explique-t-elle. ‘Un jour qu’on était en voiture, je l’ai surpris en train de toucher ma fille. –Et tu as fait quoi? –Je ne les ai plus assis l’un à côté de l’autre. –C’est tout?’ Si Annie avait parlé, je n’aurais sans doute pas été victime. Idem pour Corinne. Elle habitait en face de chez son père. ‘Après l’appel de ta mère, j’ai un peu fait attention’, m’explique-t-elle. ‘Mais c’étaient rien que des soupçons. Et puis, j’avais peur de tout casser. Ta cousine aimait bien son grand-père…’ Moi aussi, j’aimais bien mon grand-père. C’est précisément le drame de l’inceste: on est violé par quelqu’un qu’on aime.

Le poids de la honte et culpabilité

En discutant avec les uns et les autres, je comprends que le père de mon père a déjà fait des victimes à la génération précédente. Chez ses nièces. Dans les années 60 et 70 –20 ans avant ma naissance. Du coup, si je calcule bien, on est au moins 8 victimes dans la famille. Pourquoi personne n’a parlé pour l’arrêter? J’ai envie de hurler. Mais en même temps, je ne leur en veux pas. Je comprends que chacun a fait comme il pouvait, même s’il y a eu beaucoup de lâcheté.

J’aimais bien mon grand-père. C’est le drame de l’inceste: on est violé par quelqu’un qu’on aime.

Reste mon père. Comme tous ses frères et sœurs ont accepté de me parler, il ne peut plus refuser. Je sais que ça va être l’interview la plus difficile de ma vie. Je suis stressée comme jamais. Il commence par m’expliquer que j’étais très jeune, qu’il a eu peur de me jeter dans la fosse aux lions s’il allait en justice. Puis je sens le poids de la honte et de la culpabilité. À la fois d’avoir eu un père pervers et de ne pas avoir su protéger sa fille.

Et là, il me dit: ‘Depuis que je sais ce qu’il t’a fait, je me suis interdit tout geste tendre avec toi. Je ne voulais pas que ce soit mal interprété. Je ne voulais pas que l’on puisse m’accuser de quoi que ce soit’. C’est vrai. J’ai le souvenir d’un père tendre quand j’étais petite, mais il ne m’a plus jamais prise dans ses bras depuis. Waouh. Comment peut-on s’infliger une telle punition? Cette discussion aura au moins permis de faire sauter cette barrière. Mon père me prend dans ses bras, m’embrasse, me dit qu’il m’aime. Mais je n’ai pas encore osé lui reposer la question du caveau familial…”

Aller plus loin

On ne parle pas de ces choses-là, Marine Courtade et Alexandra Petit, éd. Casterman La Revue dessinée.

Texte Christine Masuy

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