
Témoignage: «Mon mari a été accusé de viol»
Il y a 16 ans, bien avant la déferlante #MeToo, Jeanne, maman belge de 2 enfants, a dû faire face à l’inimaginable: la mise en examen de son mari, accusé de plusieurs viols sur ses patientes.
“Avec Jacques, mon mari, nous formions un couple relativement uni. Nous étions mariés depuis 9 ans et nous étions parents de 2 enfants: une fille de 9 ans et un garçon de 7 ans. Nous vivions dans un appartement situé dans la grande maison de mes parents qui habitaient aux étages supérieurs. C’est d’ailleurs là que Jacques, ostéopathe, recevait ses patients. Contrairement à moi qui avais grandi dans un milieu bourgeois (mon père était médecin et ma mère s’occupait de notre famille), Jacques était né dans un milieu moins privilégié. Se marier avec moi avait été pour lui une sorte de consécration. Comme mari, il était assez autoritaire. Il voulait toujours avoir raison, mais entre nous, ça se passait relativement bien. Mon travail impliquait que je passe beaucoup de temps sur la route, parfois à l’autre bout de la Belgique. Jacques allait chercher les enfants à l’école et s’en occupait très bien.”
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Victime d’une cabale?
“Un jour, je suis rentrée du travail comme d’habitude. Jacques m’a annoncé que la police venait de faire une perquisition dans notre maison. On avait saisi son agenda. Il m’a juste précisé que plusieurs personnes avaient porté plainte contre lui. Il a évoqué une cabale sans trop me donner de détails. À ce stade, je ne savais pas du tout ce qu’on lui reprochait. D’autant qu’il me disait qu’il était innocent. Il n’avait jamais ni abusé de moi, ni été violent à mon égard. Je n’avais donc aucune raison de ne pas le croire.
Aujourd’hui, avec la pression sociétale et le mouvement #MeToo, les choses ne se seraient probablement pas passées comme ça, mais à l’époque, je m’en suis tenue à ce que je voyais et entendais.”
Tenir, à ses côtés
“Plusieurs mois plus tard, toujours en rentrant du travail, j’ai trouvé notre appartement vide. Les enfants étaient à l’étage, chez mes parents, et Jacques en garde à vue. J’ai contacté mon frère avocat, qui m’a rassurée. Pour lui, le dossier était encore trop flou – à ce stade, personne n’avait encore prononcé le mot ‘viol’ – pour que je doive m’inquiéter. J’ai pensé à une malversation financière, plutôt qu’à une accusation pour des faits de mœurs.
Je savais que certaines manipulations d’un ostéopathe pouvaient être considérées comme intrusives.
Quand le mot ‘viol’ est finalement tombé, j’ai compris que tout allait être beaucoup plus compliqué que ce que j’avais imaginé. Jacques niait les faits. Certaines des patientes qui avaient porté plainte contre lui continuaient à venir se faire soigner chez mon mari. Je sentais l’étau se resserrer, mais je n’arrivais toujours pas à comprendre ce qui se passait. Je savais que certaines manipulations d’un ostéopathe pouvaient être considérées comme intrusives. Et comme j’avais grandi auprès d’un papa médecin généraliste respecté, j’avais l’image du soignant dans lequel on met toute sa confiance.
L’enquête avançait. Nous savions quand l’affaire serait jugée. D’emblée, j’ai décidé que, quoi qu’il arrive, je resterais à ses côtés jusqu’à la fin. Contre toute attente, j’ai tenu mon engagement, mais ces mois ont été extrêmement pénibles.”
Supporter le rejet
“J’étais heureusement bien entourée. Mes amis se montraient très présents et faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour me protéger. Quand un article sur l’affaire paraissait dans la presse, ils me disaient de me tenir prête à affronter les regards et les remarques. Le plus difficile, c’est ce qu’on ne peut pas prévoir. L’avocate de l’une des plaignantes était la maman d’un petit garçon de la classe de ma fille. En amenant mes enfants à l’école chaque matin, je devais la croiser. Pour moi, c’était très lourd psychologiquement.
À la demande de Jacques, nous avons commencé une thérapie de couple. Lors de la première séance, la thérapeute m’a dit que peu importait la décision que je prendrais (partir ou rester), le principal, c’était que je sois pleinement consciente des raisons qui me feraient prendre une voie plutôt que l’autre. Plus le temps passait, plus tout devenait compliqué. Chaque dimanche, nous avions l’habitude de nous retrouver en famille dans la maison de campagne de mes parents. Petit à petit, Jacques n’y a plus été le bienvenu. Certains amis ont également commencé à faire des réflexions désobligeantes à son égard. Pour ma fille, cette situation était extrêmement compliquée. Elle s’était toujours considérée comme ‘la princesse’ de son papa. Le fait que les gens le rejettent la perturbait beaucoup. Lui, de son côté, se positionnait en victime. Il niait tout.”
Des maîtresses parmi nos proches
“Peu avant le procès, j’ai découvert qu’il me trompait avec des femmes assez proches de nous. Certaines faisaient partie de notre cercle d’amis et se faisaient même soigner par lui. Non seulement je me suis sentie trahie, mais cette nouvelle gifle a mis encore plus de chaos dans ma tête. Ces femmes qui avaient porté plainte étaient-elle des étrangères qu’il avait violées ou des maîtresses qui avaient décidé de se venger? J’avais hâte que le procès arrive pour en finir avec tout ça. J’ai suivi les débats, mais je ne suis pas allée au prononcé de la peine. À l’issue du procès, Jacques a été accusé de viol. Il a écopé de 6 mois d’emprisonnement. C’était en novembre. Quand il a décidé de faire appel, je l’ai prévenu que je n’irais pas plus loin à ses côtés. En décembre, je lui ai demandé de quitter la maison.
J’avais choisi de ne rien révéler aux enfants. J’estimais que c’était leur père qui devait leur dire pourquoi il portait un bracelet électronique.
Comme il avait été condamné à une peine de surveillance (avec bracelet électronique), nous avions convenu qu’il viendrait tous les jours en fin d’après-midi s’occuper des enfants, le temps que je revienne du travail. J’avais choisi de ne rien révéler aux enfants sur le véritable motif de notre séparation. J’estimais que c’était leur père qui devait leur dire pourquoi il portait un bracelet électronique, mais il s’y refusait.”
Se reconstruire petit à petit
“Le seul point positif de cette histoire, c’était notre séparation. Le fait de me sentir enfin libre m’a fait un bien fou, mais il m’a fallu des années pour parvenir à évacuer toute la colère que j’avais gardée en moi depuis tout ce temps.
Avec les enfants, on a fini par parler de cette histoire, mais plus tard. Mon fils a eu envie de connaître la vérité. Je lui ai tout expliqué. À l’adolescence, il m’a avoué qu’il avait eu du mal à aborder les filles. Il craignait de reproduire certains schémas ou que ses intentions soient mal perçues par les filles qui lui plaisaient. C’est d’ailleurs lui qui a gardé le plus de rancœur par rapport à son père.
Ma fille a su, elle aussi, ce qui s’était passé, mais elle a préféré faire comme si elle ne savait pas. Aujourd’hui, quand elle évoque le sujet, elle m’explique que ce qui l’a le plus blessée, c’est qu’on soit venu fouiller dans notre vie et notre maison. Notamment lorsqu’une équipe de journalistes est venue jusque devant chez nous filmer notre porte.”
Couper les ponts
“Contrairement à sa sœur, mon fils ne voit plus Jacques. Il a totalement coupé les ponts. Depuis quelques années, je n’ai moi-même plus aucun contact avec lui; même brièvement pour discuter de sujets relatifs aux enfants. Même après l’enquête et le procès, je ne saurai jamais ce qui s’est vraiment passé dans ce cabinet, mais ce que je sais, c’est que Jacques m’a trahie et qu’il a dénigré ma famille quand il s’est senti rejeté par mes proches. Et ça, je ne pouvais pas l’accepter.
Aujourd’hui, je vis loin de la Belgique, dans un coin de nature qui me ressource. J’ai eu 2 longues histoires d’amour depuis Jacques. Chaque fois, loin de chez moi. Comme si, inconsciemment, j’avais eu besoin de retrouver un certain anonymat en me distançant de ce milieu bourgeois qui, d’une certaine façon, m’a parfois prise de haut.”
Une expérience marquante
“Dernièrement, dans le cadre de mon travail, j’ai été confrontée au cas d’un homme qui avait abusé de femmes dans un contexte professionnel. Cette fois, je n’étais absolument pas impliquée, mais ça m’a profondément bouleversée. La preuve qu’on est toujours rattrapée par son passé. Je suis néanmoins fière de ma capacité de résilience. Sur le moment, j’ai fait ce que j’ai cru bon. Et je refuse de réécrire l’histoire. Le temps m’a aidée, tout comme la distance, c’est certain.”
Texte: Marie Honnay
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