
Témoignage: «Je me suis battue pour récupérer ma fille»
Maela a dû puiser au plus profond de ses ressources pour récupérer Victoria. Saisie par la police à la crèche à 4 mois et demi, la petite fille a 2 ans et demi lorsqu’elle retrouve enfin sa mère qui n’a pas croisé que de la bienveillance sur sa route.
“Au commencement, il y a ce futur bébé issu d’une relation amoureuse de vacances. Je suis une voyageuse dans l’âme et très vite je prévois de partir à l’étranger rejoindre le père de mon enfant. Mais l’enthousiasme tourne rapidement court. Le 29 décembre, Victoria arrive dans nos vies et cet homme, venu en Belgique pour la naissance, me montre un tout autre visage. Il m’insulte, me lance des regards haineux, explose pour un rien; toute sa colère sort en une fois. Il nous pourrit notre quotidien. Ça devrait être sacré, ces premières semaines. C’est le moment où on est le plus vulnérable, où l’allaitement se met en place, où notre corps se remet d’un choc. Au lieu de ça, je suis bouffée par l’angoisse. Très rapidement, je n’arrive plus à allaiter. Lorsque le père de mon enfant s’en va au bout de 3 semaines, je suis soulagée et en même temps, ce sont tous mes rêves qui s’effondrent: partir vivre à l’étranger, fonder une famille, peut-être ouvrir une maison d’hôtes…”
Un SOS et tout s’effondre
“Je ne dors plus la nuit, le jour non plus à cause des travaux en face de mon immeuble, je suis dégoûtée, ma fille ne veut plus s’alimenter… C’est très difficile. Un jour, je pète un câble et j’appelle une assistante sociale pour prévenir que ça ne va pas. Cette personne contacte SOS enfants ainsi que ma médecin traitant, qui appelle la juge. Elle lui explique que j’ai des problèmes psychologiques, que ma fille ne prend pas de poids et est déshydratée; en bref, que je mets sa vie en danger, et cela, sans même prendre la peine de nous voir toutes les 2. En réalité, j’ai juste besoin de soutien. Ensuite, tout va très vite… La police m’appelle pour connaître le nom de la crèche où se trouve Victoria, des agents en civil m’arrêtent en rue pour que je ne parvienne pas jusque-là et emmènent ma fille. Ils l’ont littéralement kidnappée.”
La descente aux enfers
“Je ne comprends pas, je n’ai rien fait. Oui, je suis surmenée, en burn-out parental, mais s’il y a bien une chose que je n’ai pas fait, c’est maltraiter ma fille. J’apprends seulement le lendemain dans quel hôpital elle se trouve et que, faute de place en centre d’accueil, elle y restera placée un mois. Tous les tests médicaux indiquent pourtant que son état de santé est bon, mais le dossier passe du SPJ (service de protection de la jeunesse) au SAJ (service d’aide à la jeunesse). Et là, on rentre dans une machine infernale…
On a affirmé que je mettais ma fille en danger. En réalité, j’avais juste besoin de soutien.
Les médecins réalisent rapidement qu’il y a un souci. Je ne le nie pas: je suis en demande d’aide. Le SAJ décide de nous envoyer dans une unité ‘mère-bébé’, un centre pour mères en dépression post-partum. C’est clairement mon cas. Je me noie dans cette maternité, je me dis que j’ai gâché ma vie. J’aurais juste besoin d’être entourée et accompagnée. Mais au centre, on décide qu’il me faut des antidépresseurs. Je me retrouve encore plus isolée qu’avant et ma fille, qui a 6 mois, ne va pas bien. Elle ressent mon mal-être. Je demande qu’on nous laisse sortir, mais personne ne me considère. À un moment, je n’en peux plus, je ressens de la colère et je décide de m’enfuir plutôt que de risquer de devenir violente envers Victoria: je l’abandonne.”
Le placement en pouponnière
“Mon avocat me propose de lui faire le ‘cadeau’ de lui offrir une famille d’accueil. Tiraillée, j’accepte cette solution, alors qu’au fond de moi, je n’en veux pas. Je me sens comme coupée en 2, divisée. Une partie de moi est attachée à l’enfant, l’autre la rejette totalement. Mon frère accepte alors d’héberger ma fille, le temps que je sorte la tête de l’eau, avant de se rétracter au dernier moment pour préserver son équilibre familial. La conseillère au SAJ, qui avait accepté cette piste, sort de ses gonds et décide de placer Victoria en pouponnière, malgré mon désaccord catégorique. Cette décision me plonge dans un état de traumatisme intense. Je suis bouffée par l’angoisse jour et nuit. On est le 27 septembre et je dois reprendre mon boulot de comptable début octobre. Je ne m’en sens pas capable, mais mon patron me convainc, en me disant que ce sera bénéfique pour moi. Il a raison. Je me donne à fond dans un projet de restructuration comptable qui me permet, pendant quelques heures, d’oublier mon malheur.”
Se quitter, un moment déchirant
“Ma fille rentre en pouponnière en novembre et, comme je m’en doutais, c’est un choc pour elle. À ce moment, mes sœurs se disent prêtes à accueillir ma fille, toujours le temps que je me redresse. Mais pour le SAJ, même si ma propre famille est la famille d’accueil, cela signifie que je ne peux la voir qu’en respectant le cadre fixé. En réalité, mon enfant ne m’appartient plus. À la pouponnière, les visites s’espacent de plus en plus, et les au revoir sont à chaque fois plus déchirants. J’appelle tous les jours, mais on refuse de me laisser lui parler; l’objectif est clairement d’éloigner la mère de son enfant. Ils estiment que je suis psychotique, malsaine. Le jour de son premier anniversaire, ça me fait tellement mal de ne pas l’avoir avec moi que je décide d’arrêter de téléphoner. Je ne vois pas d’issue à ma situation.”
Sortir la tête de l’eau
“Je suis petite face à cette immense machine, complètement broyée. J’enfile la boîte entière des antidépresseurs qu’on m’avait prescrits et que j’avais refusé de prendre. Heureusement, mon corps refuse, je vomis tout. Il me dit: ‘Tu ne dégages pas d’ici, t’as encore un truc à faire.’ C’est ce jour-là que le déclic se fait: je vais me battre! Et la vie m’apporte enfin des solutions.”
Un pas après l’autre
“Je fais du neurofeedback qui me sort de ce traumatisme. Je recommence à dormir, je reprends le yoga, le sport, je change d’avocat. Victoria n’ira pas chez mes sœurs; je veux récupérer ma fille! Mais je dois maintenant prouver que je vais bien. Je rencontre un psychothérapeute qui m’aide à mettre en place une stratégie, ainsi qu’une psychologue avec qui je travaille sur ma dépression post-partum. Avec elle, je comprends que ce n’est pas moi qui suis folle mais que c’est la société qui dysfonctionne. Une mère qui enfante donne aussi naissance à une autre dimension d’elle-même. Pour ça, elle a besoin d’une matrice de soutien, ce qui m’a cruellement fait défaut. Comprendre cela m’a permis de déculpabiliser et de guérir.”
Une seconde chance
“Face à mon nouveau projet, le SAJ décide de stopper la collaboration et de retransférer le dossier au SPJ. Ma fille a alors un an et demi. Si la pouponnière est toujours opposée à ce qu’elle rentre chez moi, la juge, elle, veut me laisser une chance. Dans le même temps, ma psychologue, qui assure désormais ma défense, réussit à faire changer d’avis la pouponnière. Et là, c’est gagné! S’ensuit un long temps de reconnexion puisqu’il n’y avait plus qu’une rencontre par mois entre ma fille et moi…
Nous sommes enfin libres, à l’aube de ses 3 ans.
Le processus de retour à la maison prend du temps mais à partir du moment où je vais mieux, Victoria va mieux aussi. En juin, finalement, la juge donne son accord pour que ma fille de 2 ans et demi rentre chez moi définitivement. Après des visites de contrôle régulières durant 6 mois, la juge accepte de clôturer le dossier. Nous sommes enfin libres, à l’aube de ses 3 ans.”
Ne jamais rien lâcher
“Au total, j’ai perdu 2 ans et demi, avec cette pression constante de devoir montrer patte blanche. Ça a été une épreuve terrifiante, mais initiatique. J’ai raté les premiers pas de ma fille, ses premiers anniversaires, mais ce que j’ai gagné en contrepartie est puissant. Aujourd’hui, ma fille a 7 ans et c’est un véritable soleil; en la voyant, jamais on ne pourrait imaginer ce qu’elle a traversé. Je ne pense toutefois pas que nous soyons totalement guéries. J’ai le projet d’écrire cette histoire, comme un témoignage pour elle, mais aussi pour redonner espoir aux mamans qui sont dans la même situation. De leur dire de se battre, de ne jamais lâcher.”
Texte: Caroline Corbiau
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