Interview: Madame Zidani fait la comique
Longtemps partagée entre 2 cultures et 3 religions, Sandra Zidani a trouvé sa place sur scène en croquant tendrement ses contemporains.
“Madame Zidani fait la comique à la télé?” La directrice d’école s’arrêta net, interloquée. “Mais non, les enfants! Vous vous trompez!” Les bambins étaient pourtant sûrs d’eux, et très fiers d’avoir vu leur prof de religion sur le petit écran. “Madame Zidani? Impossible!”, trancha la directrice. C’était pourtant bien elle…
30 ans ont passé depuis. Sandra Zidani a quitté l’enseignement et s’est imposée comme l’une de nos humoristes préférées. Sur scène, elle est tour à tour Mireille Soleil (la prof de religion fatiguée, fatiguée, fatiguée…), Mamie Georgette (la veuve qui a un avis sur tout), Arlette, Rosine, Jeanine… Mais qui est Zidani dans la vie, au final? On lui a posé la question.
Pas à sa place
“J’ai grandi avec Fernandel et De Funès, nous dit Zidani. Mes parents tenaient un restaurant. Ils me laissaient seule le soir. J’étais censée aller me coucher, mais je restais souvent devant la télé. C’était l’époque de Zygomaticorama. J’adorais. Il y avait plein d’humoristes: Stéphane Steeman, Marc Herman… Moi, j’étais fan de Raymond Devos. Et d’Annie Cordy. J’avais 10 ans, je chantais Tata Yoyo et Frida Oum Papa. Je regardais aussi Lollipop. J’adorais l’impertinence de Malvira, mais c’est Yolande Moreau qui m’a donné envie de faire ce métier. Elle faisait de l’humour sur le tragique de la vie. Et ça, ça me parlait… Sans doute parce que mes parents étaient fracassés de la vie.”
Pas prévue
“Mon père était algérien. Il a eu une enfance misérable, mais ne l’évoquait jamais. Je sais juste qu’il a perdu ses parents à 6 ans, puis qu’il est devenu berger. Il a ensuite fui l’Algérie pour venir travailler à la mine, dans le Borinage. Quand il a obtenu son permis de séjour, il a quitté la mine pour la restauration. Il a commencé à la plonge, puis il a appris la cuisine…
Pour la famille de ma mère, j’étais ‘la fille de l’Algérien’…
Ma mère, elle, c’était un stoemp belgo-belge. Originaire de Mont-sur-Marchienne, elle a longtemps vécu à Hasselt avant de rencontrer mon père à Saint-Josse. Elle était veuve, avec 4 enfants. Je n’étais pas prévue au programme… Pour la famille de ma mère, j’étais ‘la fille de l’Algérien’. J’ai grandi avec la sensation bizarre de n’être à ma place nulle part. Cette sensation a disparu quand j’ai commencé à faire du théâtre. J’avais 9 ans. La première fois que je me suis retrouvée sur scène, j’ai entendu rire dans la salle. Je jouais une pauvre gamine qui crevait de faim, mais le public riait. ‘Waouh! Je fais rire les gens’… Ce jour-là, j’ai eu l’impression de trouver ma place. Et mon chemin. Je me suis très vite dit que je serais humoriste. Je laisserais tomber Sandra pour devenir Zidani, fière de mon identité et de ma différence.”
Période mystique
En plus du stoemp des cultures, la petite Sandra doit assumer celui des religions. “Mon père était musulman, ma mère catholique. Elle m’a fait baptiser en cachette, à la chapelle de la maternité. En primaire, elle m’a inscrite au cours de religion catholique, mais je ne devais pas en parler à mon père. En secondaire, j’ai choisi de suivre le cours de morale laïque. Ça me semblait plus cool.
Puis, je me suis convertie au protestantisme. Mes copains rigolaient: ‘T’as fumé quoi? T’es sûre que ça va?’ J’avais 21 ans et je venais de perdre le cousin avec lequel j’avais grandi. Il a été assassiné. Ça m’a évidemment bouleversée. Ça m’a surtout beaucoup questionnée. J’ai trouvé des réponses dans la religion. Je suis devenue mystique.”
Caissière ou étudiante?
Belge d’ascendance kabyle, catholique cachée puis protestante assumée, Zidani se sent d’abord bruxelloise. C’est donc dans la capitale qu’elle fait ses études. Mais il s’en est fallu de peu… “Personne n’avait fait d’études dans ma famille. L’université semblait inaccessible et impayable. Ma mère m’avait trouvé une place de caissière chez Delhaize. Mais j’ai obtenu une bourse pour entrer à l’ULB. Comme il n’existait pas d’école d’humoristes, j’ai fait l’histoire de l’art. Mes parents ont finalement été très heureux pour moi. Surtout papa. Il disait souvent: ‘Ah, si j’avais pu faire des études…’ Je ne mesurais pas ce que cela signifiait pour lui.
Comme il n’existait pas d’école d’humoristes, j’ai fait l’histoire de l’art.
Ce n’est que bien des années plus tard que j’ai compris. Quand je suis allée pour la première fois en Algérie, à 41 ans. J’ai rencontré le frère aîné de mon père, mon oncle Arezki. Il m’a raconté que pour aller à l’école, il fallait un costume. Et le petit berger était bien trop pauvre pour se payer un costume… J’ai tout à coup compris pourquoi j’avais toujours vu mon père en costume cravate. Même à la plage. Ce voyage en Algérie m’a appris beaucoup de choses sur lui. Et sur moi.”
Prof inspirante
Zidani sort de l’ULB, diplôme en poche, en 1993. Son père est mort d’une crise cardiaque quelques mois plus tôt. Le restaurant familial a fermé ses portes. Elle doit trouver un job sans tarder. “Je voulais toujours être humoriste, mais je savais que ça prendrait du temps. J’ai appris qu’on cherchait un prof de religion protestante. J’ai envoyé un CV, le seul CV de ma vie, et j’ai été engagée. C’était pour un remplacement de 3 mois, ça a duré 10 ans.”
La jeune prof n’oublie cependant pas son rêve de gosse: faire rire. Durant ses temps libres, elle écrit ses premiers spectacles, directement nourris par son expérience d’enseignante. “Je n’avais pas vraiment choisi d’être prof, mais je me suis attachée à mes collègues. J’ai découvert les difficultés du métier, la charge de boulot qu’on vous rajoute chaque année… Je me suis inspirée de Mireille, ma collègue de religion catholique, toujours fatiguée, fatiguée, fatiguée. Rassurez-vous: elle l’a bien pris! Comme j’aime les gens, je les croque avec tendresse.”
Racisme et grossophobie
“Aujourd’hui, on a parfois l’impression qu’il devient compliqué de faire de l’humour… J’ai résolu le problème en passant par des personnages. Ce n’est pas Zidani qui parle, c’est Mireille ou Mamie Georgette. Je reprends prochainement Et ta sœur, un spectacle qui donne la parole à Jeanine Dufoin, directrice du camping La Marée Noire, fondatrice de Front Littoral et raciste convaincue. Pour créer le personnage, je me suis inspirée des mimiques de Mussolini. Jeanine dit des horreurs mais c’est Jeanine, pas Zidani.
Je sais ce qu’est la grossophobie. Je sais que j’ai été écartée de certains projets à cause de ça…
Ce spectacle dénonce tous les petits racismes du quotidien. Cette méfiance à l’égard de la différence. Je l’ai vécu, évidemment. Mais on est tous différents! Moi je n’ai pas un physique lisse, je n’ai jamais été filiforme. Je sais ce qu’est la grossophobie, même si elle ne m’atteint plus. Je sais que j’ai été écartée de certains projets à cause de ça. À la télé, comme au cinéma. L’inclusion avance, mais il reste encore beaucoup à faire.”
Politique de fous
Zidani travaille actuellement à l’écriture de son prochain spectacle. “Il y sera toujours question de l’enseignement – c’est plus d’actualité que jamais. Également de politique. Il sera aussi question de Trump et de Poutine, ces dictateurs élus par le peuple. Ces malades mentaux qui rêvent de faire la guerre… Moi, je trouve ça ringard, la guerre! Pas vous?”
À côté de sa belle carrière en Belgique, Zidani a percé en France. Grâce à On ne demande qu’à en rire, l’émission de Laurent Ruquier. “J’ai fait 35 passages à l’antenne. Avec 2 millions de spectateurs en moyenne, ça m’a donné une sacrée visibilité. Suite à cela, j’ai fait quelques dates en France, mais il y a eu un souci avec les producteurs, et ça s’est arrêté. Avec le recul, je n’ai aucun regret. Atterrir à Bordeaux un matin, repartir le lendemain pour je ne sais où… Non. Cette vie de tournée ne me plaisait pas trop. Je suis plutôt casanière. J’aime rentrer tous les soirs chez moi, retrouver mes livres et mes chats.
Et puis, l’engouement m’a fait un peu peur. Je me souviens de ce jour où des gens m’avaient attendue 6 heures sous la pluie. Juste pour me voir quelques instants. C’était bizarre. Pas normal. En France, dès qu’on a un peu de notoriété, on n’a plus de vie privée. Je préfère vivre sereinement en Belgique.”
Comme nous, vous voulez voir Zidani?
Elle sera prochainement en spectacle à Bruxelles, Waterloo, Mons, Nivelles, Charleroi, Mouscron, Amay, Liège, Ottignies… Retrouvez l’agenda complet sur zidani.be.
Interview: Christine Masuy
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