On a testé: “The Jury Experience”, un procès au théâtre
The Jury Experience a débarqué à Bruxelles après avoir fait le tour de plusieurs grandes villes. Le concept: plonger le spectateur dans un procès fictif, où le public joue le rôle du jury. On a testé!
30 octobre. Après un apéro à la place Flagey, à Ixelles, Justine, journaliste, se rend avec des amis à l’Espace Lumen où se joue The Jury Experience. “Ce spectacle qui mêle théâtre, jeu de rôle et réflexion citoyenne ne ressemble à rien de ce que je connais, je ne sais pas très bien la sauce à laquelle je vais être mangée. C’est parfait: j’adore ça!”
Comme au tribunal?
L’entrée se fait comme dans un tribunal, enfin presque car ici, personne ne scanne le contenu de notre sac ou notre carte d’identité. “Le personnel en chemise blanche nous invite à ‘prendre place dans la salle d’audience’. L’expression suffit à faire redresser les épaules. On s’installe sur des chaises. Pas de rideau rouge – tout respire la sobriété judiciaire, excepté la lumière tamisée. Et puis, très rapidement, l’affaire débute. Les avocats et le juge prennent place et nous exposent les faits.
Ce soir, c’est nous qui décidons du sort d’un accusé.
Ce soir, c’est nous qui décidons du sort d’un accusé. La concentration est de mise pour ne pas louper un élément de l’enquête. On nous explique que nous allons suivre un procès, écouter les arguments des parties, puis voter à l’aide d’un QR code à scanner (votre téléphone doit être chargé).”
Un spectacle vraiment immersif
“The Jury Experience, c’est un théâtre expérimental pour adultes curieux de se frotter à la mécanique de la justice. On n’y regarde pas un spectacle: on en fait partie. Le dispositif repose sur notre implication, nos émotions, nos votes. Ce qui rend l’expérience fascinante, c’est que chacun devient, l’espace d’une heure, juge et partie. Finie l’attitude détendue du spectateur venu ‘voir une pièce’. Nous sommes désormais responsables.
J’observe mes amis: l’un fronce les sourcils, une autre prend des notes mentales. Moi, je commence à jauger les participants. Qui votera comme moi? Et si mon amoureux ne partageait pas mon verdict? Qu’est-ce que ça signifierait sur nos différences de valeurs? Le décor est crédible, l’atmosphère tendue. Seul bémol: l’action se déroule en Californie, ce qui crée une petite distance émotionnelle. Si ça avait été l’Europe et pourquoi pas la Belgique, le miroir aurait été plus saisissant.”

À qui la faute?
“L’affaire du soir ne pouvait pas être plus actuelle. Il s’agit d’un accident de voiture autonome, soit une voiture qui fonctionne sans conducteur. Ce véhicule a fait une manœuvre pour éviter un accident… mais a causé la mort d’un cycliste. L’accusé? Le créateur du logiciel. À nous de décider s’il est responsable du décès ou s’il s’agit d’un tragique concours de circonstances.
Faut-il condamner un homme pour les choix d’une machine? La question est vertigineuse. L’intelligence artificielle, censée réduire le risque d’erreur humaine, devient ici la source du drame. À quel moment une technologie cesse-t-elle d’être un outil pour devenir un acteur? Et si une voiture décide de sacrifier une vie pour en sauver une autre, qui au fond a choisi? Les plaidoiries s’enchaînent. On nous expose des enregistrements vocaux de témoins, la femme du cycliste est appelée à la barre, des mails refont surface quant au passé professionnel de l’accusé… L’avocat invoque la confiance dans le progrès, le procureur, la responsabilité morale. Le juge, imperturbable, relance, modère. Et dans la salle, on sent que chacun cherche sa vérité; la sensation est énergisante.”
“Tu vas le condamner, toi?”
“À plusieurs moments de la soirée, le juge interrompt les débats: ‘Le jury doit se prononcer.’ Quelle question poser à l’accusé? Quelle preuve examiner? À nous de voter, via notre smartphone. Les votes sont comptabilisés en temps réel – dispositif ingénieux puisque nos décisions collectives influencent le fil de la représentation. Et puis vient le moment du vote final. L’accusé va-t-il écoper de 10 ans de prison, pour homicide involontaire? Là, fini le silence dans la salle, les débats prennent vie entre les participants: ‘Tu vas le condamner, toi?’, ‘Tu trouves que la machine a une intention?’, ‘Mais c’est lui qui l’a créée, il doit payer’, ‘Si c’était ton père qui avait été victime, tu penserais pareil?’…
On se surprend à plaider, à argumenter, à défendre un point de vue…
On se surprend à plaider, à argumenter, à défendre un point de vue comme si notre décision avait un poids. On réalise que rien n’est jamais tout noir ni tout blanc, que tout est affaire de perception et de sensibilité. C’est là que The Jury Experience se démarque. Ce n’est pas un simple divertissement, mais une expérience intellectuelle et émotionnelle. Elle questionne notre rapport à la responsabilité, à la technologie, au libre arbitre. Dans un monde où les algorithmes trient nos infos, recommandent nos films, orientent nos choix amoureux et politiques, ce jeu grandeur nature agit comme une petite secousse éthique.”

Un show qui laisse des traces
Justine a aimé l’expérience qu’elle a trouvée accessible sans être simpliste, ludique sans être gadget. “Dans un paysage culturel saturé d’expériences immersives souvent plus clinquantes qu’intelligentes, The Jury Experience réussit à renouer avec le sens premier du mot: im-merger, pour plonger. J’en suis sortie intriguée et stimulée. Ce n’est pas tous les jours qu’une sortie pousse à repenser son rapport au bien et au mal, à la confiance accordée aux machines. Sur le trottoir, mes amis et moi continuions le débat: qui avait raison? Étions-nous sévères, justes, suffisamment humains? The Jury Experience est un très chouette concept qui mérite largement le détour.”
L’autre point de vue
Ce procès-théâtre était-il une première pour les comédiens? Était-ce la fatigue générale, ce jeudi soir de novembre? Était-ce le sujet – un meurtre cette fois, et pas une question éthique liée à l’IA – mais Lauranne, journaliste aussi, n’a pas été convaincue par sa “Jury Experience” à elle.
“On était 4, ça aurait pu tempérer le jugement général, mais d’un commun accord, on n’a pas été transportés par la pièce. Un pitch à l’américaine, des pièces à conviction peu convaincantes, un déroulement plutôt obvious et un rythme de jeu un brin trop lent. Ce soir-là, rien qui ne nous invite vraiment à étayer notre argumentaire ou à examiner notre conscience. Sans preuves évidentes, la salle n’a d’ailleurs pas tergiversé: le suspect est non coupable. On planche sur un scénario trop simpliste pour expliquer cette mini-déconvenue culturelle.
Du reste, le concept est innovant et intrigant. Et puisque Justine a aimé, l’idéal sera donc de vous faire votre propre avis. Dans le doute, assistez peut-être au procès qui questionne l’intelligence artificielle, sujet plus vaste et sans doute plus compliqué à juger.”
En pratique
The Jury Experience propose actuellement 2 affaires: “La mort par l’IA” se joue jusqu’au 21/06/2026, et “Meurtre à un million de dollars?”, jusqu’au 24/05/2026. Prix dès 29€ sur thejuryexperience.com. Âge minimum: 12 ans.
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