Reportage dans la coopérative bruxelloise spécialisée dans le réemploi. © Laetizia Bazzoni

Déconstruire pour reconstruire: l’ambitieux projet de RotorDC

La coopérative bruxelloise RotorDC s’attelle depuis une dizaine d’années à sauver de la démolition portes, sanitaires, luminaires, sols, mobilier et autres matériaux de construction et de finition pour les remettre en circulation. Reportage.

Dans un paysage de bureaux des années 80, à Evere, se cache une mine aux trésors. Ici le “temple des sanitaires” se déploie à ciel ouvert. Des dizaines de lavabos en faïence datant des années 30, 50 ou 70, certains provenant de l’hôtel Métropole, attendent de vivre leur nouvelle vie dans une salle de bains. Quelques mètres plus loin trône le “palais des portes”. En bois, avec des vitraux ou en inox brossé du célèbre designer belge Jules Wabbes provenant de l’ancienne Générale de Banque, elles tiennent encore fièrement debout avant de pouvoir à nouveau délimiter des espaces. De l’autre côté, se dressent des colonnes de carreaux en marbre récupérés dans l’iconique
gare du Nord. Bienvenue chez RotorDC!

Faciliter la réutilisation

“Notre objectif est de rendre le recours au réemploi aussi facile que celui du neuf”, résume Cécile Guichard, coopératrice. Depuis 2016, la société œuvre à remettre en circulation les matériaux réutilisables qui se seraient autrement retrouvés dans la benne des déchets. La société intervient sur des chantiers, déconstruit, récupère, remet en état, stocke, documente, inventorie et revend. Les clients sont pour la plupart des architectes, des designers, des entrepreneurs, des décorateurs de cinéma mais aussi des particuliers sensibles aux valeurs de la circularité, aux questions environnementales et patrimoniales. La structure qui a débuté en 2004 avec
deux salariés en compte aujourd’hui 19. On y retrouve des architectes, des designers, des ingénieurs qui partagent tous le même engagement et un talent pour mettre en valeur ce qui peut encore l’être.

Tous les employés partagent le même engagement et un talent pour mettre en valeur ce qui peut encore l’être

“Cela exige un certain bagage créatif et technique pour imaginer le potentiel d’un matériau et le projeter dans un avenir”, nous dit Cécile. RotorDC a par exemple recréé des objets à partir d’éléments déclassés qui ne pouvaient pas être réutilisés. Des dalles de terrazzo aux dimensions hétérogènes ont été découpées avec une scie à jet d’eau pour créer des étagères et des appliques. Des grandes poutres en bois d’un ancien préau de station-service ont été débitées pour former des plans de travail et des tables de réunions. Mais cette branche d’upcycling n’est pas le cœur de métier de RotorDC.

Un intermédiaire pour les pros

Aujourd’hui, le revendeur bruxellois se positionne davantage comme un expert du réemploi qui accompagne des projets de construction ou de déconstruction et fait le lien entre les différents acteurs du secteur. “Toute personne qui s’intéresse au réemploi est confrontée à la problématique de faire matcher l’opportunité de la trouvaille à celle du projet. On joue ce rôle intermédiaire”. Depuis peu, la coopérative propose par exemple un service d’achat-vente pour permettre aux entrepreneurs comme les plombiers et les menuisiers mais aussi aux particuliers de sauver les éléments des chantiers, de les entreposer et de leur donner une visibilité pour qu’ils puissent être réutilisés.

Le “palais des portes” comprend plus de 150 modèles allant de pièces uniques anciennes aux portes techniques démontées dans les bâtiments de bureau.
Une partie de l’équipe de vente (Mathilde, Christophe, Margot, Cécile) du magasin physique de RotorDC.

Professionnaliser des métiers en voie de disparition

Cécile, designeuse française, découvre Rotor en 2010 lors de la Biennale de Venise. “Ils avaient présenté un travail sur les gestes architecturaux face à l’usure, ceux qui consistent à utiliser un matériau solide pour l’empêcher ou au contraire, celui de la patine. J’ai été touchée par cette thématique”. En 2012, elle décide de rejoindre l’équipe sur l’un des grands chantiers qui lancera RotorDC: la déconstruction du siège de
la Générale de Banque près de la Gare Centrale à Bruxelles. “Le milieu de la démolition peut être très rude, très physique, très bruyant. Sur ce chantier on formait une petite île de déconstructeurs. On était avec nos visseuses, à documenter, palettiser et ranger dans des petits sachets tous les éléments pour ne rien perdre. C’est un travail très soigneux et minutieux”.

Développer la filière du réemploi a permis de
valoriser le métier de
démolisseur…

L’équipe de communication de RotorCD ne manque
pas d’humour, de poésie et de sens esthétique pour redonner au métier de revendeur tout son sens. Cécile rappelle comment ce métier historique, qui existe depuis que l’homme bâtit, a disparu des villes. “Depuis le Moyen Âge, le métier de démolisseur était associé
à celui de revendeur. C’était la norme de réutiliser ce qu’on avait démoli plutôt que de retailler des pierres. Le métier de revendeur s’est progressivement spécialisé dans des matériaux de niche comme les antiquités architecturales ou des éléments spécifiques comme les briques. Avec l’évolution du prix du foncier qui a explosé en ville, le peu de revendeurs qui subsistaient s’est retrouvé relégué en zone périurbaine ou à la campagne, là où l’espace coûte moins cher pour stocker”.

Un marché en plein essor

En combinant l’intérêt pour des matériaux contemporains et l’accessibilité en ville, RotorDC a ainsi rouvert une niche, un marché pour lequel il n’y avait plus d’offre. Depuis, la demande explose. La coopérative peut aujourd’hui se targuer d’avoir influencé le paysage de
la construction: “Développer la filière du réemploi a permis de valoriser le métier de démolisseur qui devient un métier de déconstructeur. La façon de concevoir des designers a aussi évolué. Étant donné que les stocks de réemploi sont limités, ils ne cherchent plus le matériau en fonction du projet, mais dessinent le projet en fonction des matériaux disponibles”. La menuiserie Design With Sense à Saint-Gilles a par exemple créé plusieurs gammes de cuisine dont certains matériaux viennent spécifiquement des stocks de RotorDC.

Remettre à jour

Il y a un peu plus d’un an, l’entreprise s’est installée dans d’anciens bureaux d’un zoning industriel à Evere. Un vaste espace qui lui permet de stocker et de déployer ses activités. On y trouve un magasin qui offre la possibilité d’admirer la forêt de luminaires vintage, de visualiser quelques pièces de mobilier sauvées de bâtiments publics ou administratifs, ou encore de retrouver des vestiges du patrimoine industriel belge, comme les blocs de verre récupérés de la Cristallerie de Val Saint Lambert à Seraing. “On s’est rendu compte que c’était facile de remplir un entrepôt, que les gens donnaient ou vendaient assez facilement des matériaux. Encore faut-il les intégrer dans de nouveaux projets”.

Pour cette raison, RotorDC investit de plus en plus dans la remise en état, une étape importante pour lever les freins, encourager le réemploi et faciliter le travail au moment de la conception. “On recâble les luminaires aux normes européennes ce qui facilite leur utilisation dans les bâtiments publics. La mise à jour technique offre aussi l’occasion de faire une mise à jour esthétique en donnant une touche un peu plus pop
avec un câble coloré”.

Aux amoureux des carrelages…

Les locaux à Evere abritent aussi un atelier de nettoyage de carrelages, pour enlever
les croutes de mortier. Au printemps 2024, Rotor inaugurera une machine qu’elle a elle-même développée pour optimiser le système de restauration des sols, dont les fameux carreaux de ciment typiquement belges: “Des tas de gens sont amoureux de leurs sols, et veulent trouver un moyen de les récupérer. Ils pourront désormais nous les confier”.

Carreaux de ciment ornementaux attendant d’être nettoyés de leur mortier.

Bon à savoir
À Bruxelles, dans les primes Renolution, un bonus de réemploi de 70€ par appareil peut être accordé si, lors de travaux de remplacement, vous réutilisez un équipement sanitaire de seconde main.

Texte: Émilie Pommereau. Photos: Laetizia Bazzoni.

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