Pénélope Bagieu
Pénélope Bagieu, la dessinatrice française, s'est confiée à Julie, notre journaliste fan de BD. © Chloé Vollmer-Lo

Pénélope Bagieu: “Je suis fascinée par les femmes qui ont l’air de n’avoir peur de rien”

Par Julie Braun

La nouvelle bande dessinée de Pénélope Bagieu et Lola Lafon est parue le 5 novembre 2025. À cette occasion, nous avons interviewé la célèbre dessinatrice, qui se confie sur la réalisation de ce magnifique album.

La star de la BD (Les culottées, La page blanche, Les strates…) publie, avec la romancière Lola Lafon, l’histoire d’une femme d’âge mûr qui confie à sa fille ses souvenirs d’une nuit d’audace.

Lola Lafon et Pénélope Bagieu

Comment est né ce projet?

“C’est moi qui l’ai initié. Je suis une lectrice de longue date de Lola dont j’adore le travail. Je lui avais dit: ‘Si un jour, tu veux faire une BD, pense à moi.’ Elle m’a dit qu’elle avait une idée dans un coin de sa tête, me l’a racontée en 3 lignes et je l’ai convaincue qu’il fallait qu’on la fasse. Elle a écrit un scénario assez court qui tenait sur 3, 4 pages. Je n’en voulais pas plus pour pouvoir écrire les personnages, la mise en scène, comme je l’entends. En revanche, je revenais vers elle au fur et à mesure que l’histoire avançait.

Je n’ai pas l’habitude de recevoir des commentaires sur ce que je fais donc j’ai eu peur d’avoir des problèmes d’égo. Mais j’ai vite compris que toutes ses remarques étaient très justes et amélioraient vraiment l’ensemble.”

Quels commentaires vous a-t-elle faits?

“Elle était hyper respectueuse de la narration. Ce n’est pas la même grammaire en bande dessinée qu’en littérature. Par exemple là où elle avait imaginé des choses avec beaucoup d’explications, je lui disais: ‘Fais-moi confiance, on va comprendre sans texte, à la façon dont elles se regardent, à la façon dont elle se recoiffe.’ Pour elle aussi ça a donc été un lâcher-prise. Ses remarques portaient sur des choses très précises: où donner plus d’indices, quelle phrase ne colle pas avec l’époque… À chaque fois je lui donnais mon cahier avec l’histoire, il revenait avec des post-it. C’était presque un travail d’édition, très respectueux, très clair et très précieux.”

Chacune a dû faire confiance à l’autre…

“Oui et j’ai trouvé ça rassurant. C’est très solitaire la bande dessinée. Là, j’ai passé presque 3 ans à dessiner cette BD. Et dans plein de moments ‘de ventre mou’ dans lesquels en temps normal, j’aurais remis en question tout le projet, je me sentais rassurée par le fait que cette histoire que Lola a inventée est super. Je n’avais pas à la questionner. Je me savais entre de bonnes mains.”

Il y a une double narration entre l’image et le texte. C’est hyper réjouissant à lire, c’était aussi gai à dessiner, à inventer?

“Oui, c’était hyper drôle. Et puis c’est le cœur de ce qu’on aime dans la bande dessinée, que l’image et le texte ne soient pas redondants. Je voulais que cette histoire soit pleinement une BD, pas un roman illustré.

Cette histoire était faite pour être une BD!

Mais cette histoire, elle était faite pour être une BD! Par sa double temporalité: le fait de voir les personnages, puis de les découvrir enfants, et de pouvoir faire vivre les lieux dans des époques différentes. C’est un régal de dessin!”

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Des corps réalistes

C’était important pour vous de représenter des corps non idéalisés?

“Ça me touche plus et ça m’intéresse plus aussi à mettre en scène et à dessiner. On va pouvoir plus les caractériser. Par exemple, dans la toute première scène où on voit Hélène (le personnage principal, ndlr), jeune, à la plage, je voulais qu’on ressente sa fatigue, sa crispation continuelle.

Hélène est probablement le personnage dans lequel j’ai injecté le plus de moi physiquement.

Et puis mon objectif est toujours de créer de l’empathie avec les personnages. Qu’on les aime et qu’on y croie. Hélène est probablement le personnage dans lequel j’ai injecté le plus de moi physiquement. Je la voulais touchante, mais qu’elle ne soit pas que vulnérable. Qu’on voie aussi sa détermination.”

Elle est si peureuse et prudente. Mais lorsqu’elle sort la nuit, elle se transforme!

“Oui, elle a cette espèce d’aisance naturelle quand elle est dans la forêt la nuit, alors que c’est l’endroit dans lequel on ne se sent pas en sécurité. Moi, je n’oserais pas aller marcher toute seule, de nuit, en forêt! Alors que je trouve l’idée d’aller courir la nuit tellement excitante! J’adorerais être invisible ou me transformer en mec hyper baraqué pour pouvoir le faire.”

Des thèmes importants

On trouve plein de sujets importants dans l’album: être parent séparé, le tabou autour de l’homosexualité, la vie amoureuse de nos parents…

“Au départ, je voyais juste les super scènes que je pourrais dessiner. Puis j’ai réalisé que je pouvais m’identifier aux 3 femmes de ce livre: la surfeuse Jody, Hélène et sa fille. Je suis à la fois fascinée par les femmes qui ont l’air d’avoir peur de rien, de prendre des risques et j’ai envie de graviter autour. Je sais que je représente cette femme pour certaines personnes parce que j’évolue dans un milieu de mecs où il ne faut avoir peur de rien et y aller.

Les relations mère-fille sont particulières. Quand on devient adulte, on change l’éclairage sur tous nos souvenirs d’enfance. On cesse de voir nos parents avec nos yeux d’enfants ou d’ado. On réalise qu’on a le même âge que nos parents à tel moment, que leur réaction – qui à l’époque ne nous avait pas plu – était en réalité hyper maline…”

La nature joue aussi un rôle primordial…

“Oui, l’histoire se passe dans les Landes, une région que j’aime, que je connais depuis l’enfance, comme Lola, car mon grand-père est basque. J’ai donc été obligée d’aller beaucoup dans les Landes pour me documenter, toute seule avec mon petit vélo. Dur! (elle rit). J’ai fait énormément de recherches, sur les couleurs, les vagues, la forêt…”

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Votre travail sur les vagues est vraiment super, avec toutes ces couleurs…

“Merci! Je m’étais dit: ‘Je ne sais pas dessiner les vagues. Or elles interviennent dans des scènes qui permettent de comprendre la fascination qu’Hélène peut avoir pour Jody. Il fallait rendre ce monstre qu’est l’océan, qu’il soit vivant. Qu’on voie une toute petite surfeuse face à des murs de vagues. Donc je me suis posée sur la plage et j’ai regardé pendant des heures comment marche une vague. Ce sont des réflexes de mes études d’animation: regarder à l’infini un phénomène naturel jusqu’à ce qu’on le comprenne.

Ensuite, je ne trouvais pas de traité visuel à la hauteur de ce que j’avais envie de faire de très vivant. Et c’est pour ça que j’ai décidé de les dessiner en direct à l’aquarelle. Le pinceau permet que ce ne soit pas trop plat, trop mou. Je me suis isolée dans une cabane pour peindre mes vagues, encore et encore, jusqu’à trouver la bonne. Après je les scannais et je les assemblais.”

Besoin de dessiner

Quelle place a le dessin dans votre vie?

“C’est mon travail, il n’y a pas de moment où je peux me dire: ‘J’en ai marre, je ne vais pas dessiner pendant 3 semaines’… Mais les rares moments de vacances, quand je n’ai rien à faire, au bout de 2 jours, je dessine. Ça me manque trop.

Quand je dessine, j’ai de nouveau 4 ans.

Dessiner reste, avec dormir, l’activité que j’aime le plus faire sur une longue durée. C’est la seule chose que je puisse faire 8h par jour sans en avoir marre. Quand je dessine, j’ai de nouveau 4 ans. Le reste du monde n’existe pas, j’éprouve une joie absolue, totalement autonome.”

Et après?

Votre précédente BD était autobiographique. Un genre que vous aimeriez encore traiter?

“Oui, je trouve que l’autobiographie a l’avantage d’être limpide. Pour moi, c’est très facile de se mettre en scène. Parce que je suis le personnage que je connais le mieux. Et puis les histoires sont arrivées, donc je n’ai pas à questionner le déroulé. Je suis incapable de tricher dans l’autobio (ce qui a aussi un peu une limite): il faut que je raconte les choses exactement comme elles se sont passées.

Les strates par exemple, c’était d’une facilité à dessiner! C’est sorti tout seul, je me posais aucune question, car je n’avais rien à inventer. Mais c’est un plaisir différent. J’adore inventer des personnages, les faire vivre. C’est jouer à la poupée puissance 1000.”

Quel sera votre prochain album?

“Je commence une BD, mais je ne sais pas à quel point j’ai le droit d’en parler. Ce sera du documentaire, pour lequel je serai aidée par plusieurs experts. Et je vais dessiner beaucoup de très belles pages, très colorées.”

Les coups de cœur de Pénélope Bagieu

L’autrice partage ses derniers coups de cœur au rayon BD.

  • Blanche de Maëlle Réat, éd. Glénat. Un récit autobiographique touchant dans lequel une femme découvre le secret de sa mère: elle a été l’une des premières patientes du VIH.
  • Mémoire d’un traître de Hugues Barthe, éd. Gallimard. L’autobiographie de l’adolescence d’un homme dans un milieu rural en France, dans les années 70, dont le quotidien est bouleversé par l’arrivée d’une voisine venue de la ville. À son contact, il entraperçoit un univers inconnu fait de culture et de liberté. “C’est une histoire vraie, racontée avec le cœur. Et le dessin est magnifique. C’est très beau, j’en ai pleuré!”

À lire

La nuit retrouvée, Pénélope Bagieu et Lola Lafon, éd. Gallimard. Feuilletez-en un extrait ici.

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