CMH maison close
Pendant des années, Cyriel a préféré se taire…

Témoignage: “Mon père a été patron d’une maison close”

Pendant 9 ans, alors que Cyriel était adolescente, puis jeune adulte, son père a dirigé une maison close au nord de la Belgique. Elle nous a livré quelques souvenirs de ces années particulièrement pénibles sur le plan émotionnel et nous a parlé de son chemin vers le pardon.

“Mes parents se sont séparés quand j’étais encore très jeune. Comme beaucoup d’enfants de parents divorcés, j’ai été ballotée entre mon père et ma mère en espérant secrètement qu’un jour, ils se remettent ensemble. Mon père a toujours été un homme extravagant. Il a d’abord été cascadeur (il a même été champion du monde de la discipline), puis pompier, vendeur de voitures, magicien, commissaire-priseur… Juste avant d’ouvrir son bar, il a dirigé une salle des ventes. À la suite de hold-up, son business a moins bien marché. Il a donc cherché un nouveau métier.

La veille de mon 16e anniversaire, il m’a dit: ‘Pupuce, je vais ouvrir une maison close’. Sur le moment, je ne l’ai pas pris au sérieux. Ce qui, compte tenu du tempérament de mon père, était évidemment une erreur. C’était quelqu’un d’entier. Il ne mentait jamais. Pour moi qui l’avais suivi dans toutes ses aventures (pendant quelques mois, on a même vécu dans une caravane avec des gitans), ça aurait dû être évident qu’il n’abandonnerait pas son projet.”

Incapable de jouer l’amour

“Je n’étais pas vraiment une ado rebelle. Tout ce que je voulais, c’était bien travailler à l’école et avoir des amis. J’étais un peu perturbée, mais j’avais avant tout un côté fantasque et très artiste. Je me sentais différente des autres. Je suivais des cours de théâtre et de danse, des disciplines qui m’imposaient une rigueur dont j’avais cruellement besoin. À 18 ans, je me suis inscrite au Conservatoire, mais ma situation familiale très particulière rendait certains aspects du cursus difficiles à vivre. J’étais par exemple incapable de jouer des scènes d’amour. Mon rapport à mon propre corps était perturbé. Je ne savais plus vraiment ce que c’était que la ‘normalité’.

Comme je ne voulais révéler à personne ce qu’il faisait, j’avais tendance à me replier sur moi-même.

Par chance, pendant toute cette période, mes copines – qui ignoraient tout du métier de mon père – se confiaient beaucoup à moi. En les écoutant, j’ai peu à peu compris en quoi pouvait consister la notion d’intimité dans un couple. Sur le plan personnel, je suis restée une enfant pendant très longtemps. Les garçons, ce n’était pas mon truc. Et comme je ne voulais révéler à personne ce que faisait mon père, j’avais tendance à me replier sur moi-même. Je savais que si je rencontrais un garçon et que ça devenait sérieux, je serais tôt ou tard obligée de lui présenter mes parents. Et ça, je n’y étais pas prête.”

Tout observer depuis les coulisses

“Il m’arrivait de rejoindre mon père dans son bar, mais comme j’étais mineure (du moins, au début), il n’était pas question que je sois vue. Mon père ne voulait pas courir le risque qu’on me confonde avec une travailleuse du sexe. Je restais donc le plus souvent dans les ‘coulisses’, à observer ces femmes. Mon père avait beaucoup de respect pour elles. Il me racontait qu’une telle avait fait des études artistiques ou qu’une autre avait connu une enfance difficile et qu’il espérait qu’elle s’en sortirait grâce à ce travail. Évidemment, de là où j’étais, j’entendais toutes sortes de choses. À force, j’avais fini par me demander ce que faisaient au juste les gens en dehors des maisons closes. Les ‘prestations’ dont j’entendais parler étaient-elles en phase avec une certaine réalité?

Malgré l’amour, la honte

“Même si j’ai toujours adoré mon père et que j’ai beaucoup souffert quand certains de mes proches m’ont reproché de l’aimer, je n’étais pas fière de ce qu’il faisait. J’avais honte. D’autant que j’étais à un âge très compliqué. Je dirais que mon père m’a déçue dans le sens où j’ai trouvé son choix égoïste. Il aurait pu faire n’importe quel métier, mais il en avait choisi un qui allait forcément me causer du tort. Les gens font toujours des amalgames. J’étais ‘la fille du ‘macro’’. Dans le patelin où on habitait, papa était une figure très connue.

Mon père ne m’a jamais rien caché, c’est ça qui m’a sauvée.

Tout le monde savait, mais les gens ne m’attaquaient pas frontalement. Leurs remarques étaient plutôt sournoises. Ce qui m’a sauvée, c’est que mon père ne m’a jamais menti. Comme j’étais toujours au courant de tout, je n’ai jamais été prise au dépourvu. Une fois, après qu’il était passé à la télé (le visage flouté), une fille m’a dit qu’elle croyait l’avoir reconnu. Mais comme il m’avait prévenue, j’avais eu le temps de préparer ma riposte. J’ai tout nié avec le plus grand naturel qui soit et j’ai rétorqué: ‘Je pense que tu te trompes de personne’.”

Cette maison, une source d’angoisse

“Si cette histoire m’a fortement perturbée, je pense qu’elle m’a aussi permis de relativiser certaines choses. En ce qui concerne le concept de fidélité, par exemple. Le couple parfait, je n’y croyais plus. J’étais même convaincue que l’infidélité pouvait, dans certains cas, nous faire prendre conscience de notre attachement à la personne qu’on avait trompée. Pour me protéger, j’ai aussi pas mal esquivé. J’avais par exemple l’impression que si je parlais aux prostituées, c’était comme si je cautionnais ce qu’il faisait.”

Abonnée aux amours platoniques

“À 18 ans et demi, j’ai commencé à souffrir de crises d’épilepsie. Une fois, c’est arrivé pendant que je rendais visite à mon père. Les autres fois, juste après être allée dans son bar. Comme il semblait évident que mes crises étaient la conséquence de ma non-acceptation du métier de papa, ma mère a fait en sorte que je n’y retourne plus. Mais ça n’a pas tout réglé, forcément.

À 21 ans, j’étais encore vierge et, pendant longtemps, j’ai été abonnée aux amours platoniques. Aujourd’hui encore, j’ai peur d’être trahie. Je reste sur mes gardes. Mon père est mort d’un accident de voiture quand j’avais 25 ans, il en avait 49. Il m’a ensuite fallu des années pour faire le tri dans ma tête. Petit à petit, grâce, notamment à mon podcast Mon père, ce macro, j’ai peu pris conscience du fait que c’est en extériorisant ce que je gardais à l’intérieur de moi que j’arriverais à m’en sortir. Adolescente, je ne jugeais pas les prostituées qui travaillaient pour mon père. J’étais trop centrée sur mon propre mal-être pour perdre mon temps à les critiquer. Je me souviens notamment de l’une d’elles: grande, blonde, pulpeuse et très joviale. Elle avait un charisme de dingue. Pour moi qui faisais du théâtre, c’était un vrai personnage de film. J’étais fascinée par ce qu’elle dégageait.”

Une prise de conscience et le pardon

“Le plus fou dans cette histoire, c’est que ce sont ces femmes qui, à leur manière, m’ont permis de me réconcilier avec mon père. Après avoir écouté mon podcast, certaines m’ont contactée pour me raconter leur expérience. Grâce à elles, j’ai pu me libérer de l’image du tenancier de bar, à la fois louche et pas réglo. Elles m’ont dit que lorsqu’elles travaillaient pour mon père, elles se sentaient protégées. Cette prise de conscience m’a sauvée.

J’ai réalisé que, comparée à la France qui n’a pas légalisé la prostitution, la Belgique offre un cadre de travail plus sécurisant aux TDS. Mon père n’avait pas vocation à devenir proxénète, il l’a fait pour gagner sa vie et subvenir à mes besoins. Même si je n’ai pas d’enfant moi-même, je sais que les parents font de leurs mieux avec ce qu’ils ont. Pendant toute sa vie, papa m’a appelée tous les jours. Il n’a jamais raté une fête de l’école ou un anniversaire. Ce n’est pas lui qui s’est excusé de m’avoir mise, malgré moi, dans un rôle ingrat que je n’assumais pas, mais d’une certaine façon, ses ex-employées l’ont fait pour lui.”

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