Entrevue avec Pierre Marcolini
Une interview sur "les rêves de Pierre"
Jeudi 18 mai, nous avons rencontré Pierre Marcolini, à l’occasion du lancement de sa collection estivale “les rêves de Pierre”. Découvrez notre portait du chocolatier belge et ses rêves les plus fous.
A 14 ans vous saviez déjà que vous vouliez être chocolatier. Comment votre histoire a t-elle commencé ?
C’était un dimanche matin, pendant le petit-déjeuner. Ma mère m’a regardé et m’a demandé « qu’est-ce que tu comptes faire ? » J’avais un manque d’intérêt pour l’école, je regardais plus le plafond que j’écoutais les cours et je me demandais ce que je faisais ici. J’avais vraiment cette impression que mon destin n’était pas là. Un jour j’ai ramené un bulletin avec quelques notes rouges et elle m’a dit « tu veux faire quoi ?» J’ai répondu que je voulais être pâtissier ; et que ça n’allait pas lui faire plaisir parce qu’on est une famille d’immigrés d’origine italienne, donc c’était plutôt médecin ou avocat. Une vision assez universitaire, qu’il faut remettre dans son contexte : dans les années septante, pour être pâtissier c’était l’enseignement technique et professionnel, l’enseignement de la dernière chance.
C’est donc dans cette école que vous avez trouvé votre vocation ?
Oui. Il y a des moments comme ça dans la vie où vous vous dites « c’est ici que je vais me sentir bien ». J’ai posé mes bagages en me disant que c’est le métier que je voulais faire. Maman a compris que c’était ma vocation parce que j’étais premier de classe tout le temps. J’ai fait 40 concours, je les ai presque tous gagnés. Je voulais montrer que j’étais capable de réussir et en même temps, je voulais rencontrer des confrères aussi passionnés que moi. Ca paraît désuet maintenant avec internet, mais, je suis d’une génération de pâtissier/chocolatier qui volait les recettes quand le chef avait le dos tourné. C’était secret. A l’époque on pensait que la recette faisait le chocolatier alors qu’aujourd’hui on a compris que c’est le chocolatier qui fait la recette.
Où passez-vous la plupart de votre temps?
Dans l’atelier! J’y fonce dès 6 heures du matin pour une dégustation, un briefe avec les équipes de recherche et développement, l’équipe création. J’ai commencé dans un garage, dans 30 mètres carré. Je me souviens d’une phrase magnifique de feu mon beau père qui m’a dit une fois, quand on est passé à 60 m carré, « est-ce que tu n’as pas vu un peu trop grand ? » J’ai adoré cette phrase. Elle m’a fait réfléchir et peur à la fois, en me disant est-ce que je vais trop vite ? On a aujourd’hui 4 000 mètres carré. Il y a eu des moments dans la vie de la maison Pierre Marcolini où on a été trop vite, on n’a pas compris, on n’a pas géré mais aujourd’hui c’est ce que j’adore faire. Je fais aussi beaucoup de voyages, parce que pour pouvoir raconter un chocolat il faut voir ou ça se passe. Pour moi c’est essentiel de comprendre ce qu’est une plantation de cacao, de voir les gens qui sont derrière ; c’est pour ça qu’on travaille avec 14 plantations différentes et pas une coopération. Il y a des gens derrière, mais aussi tout un environnement, c’est pour ça que je me dis que ce chocolat a des notes de poivre, parce qu’au Cameroun il y a poivre magnifique qui est un poivre du Penja, et on retrouve effectivement ces notes un peu poivrées. Quand on regarde la plantation on les sent. Au brésil, ce sont des notes de mangue et d’ananas. C’est ça que je veux retrouver dans le chocolat, car il doit être à la fois émotion, une dégustation et une envie de voyager. Pour moi un chocolat, ce n’est pas juste du cacao.
D’où viennent les meilleures fèves ?
A travers le monde, à partir du moment où les gens derrière le font avec amour. La naissance du cacao est issue de l’Amérique du sud donc les notes seront plus fortes car il y a de l’histoire. Mais au Cameroun, au Vietnam, c’est aussi superbe. C’est un peu comme dire « où est le meilleur vin du monde ? » Ca dépend de ce que vous avez envie de boire à ce moment là.
Pourquoi votre nouvelle collection estivale s’appelle t-elle « les rêves de Pierre » ? De quoi rêvez-vous ?
Mes rêves, ce sont les rêves de tout chocolatier. C’est le rêve de construire un gout qui soit magnifique, c’est de faire plaisir aux gens, de faire en sorte que les gens soient gourmands, de donner de l’émotion. Les rêves de Pierre, c’est amener les gens à cette gourmandise, à découvrir les chocolats, les esquimaux d’une autre manière. C’est aussi le fait de revenir vers l’enfance : on ferme les yeux et on imagine les bâtiments, dans lesquels les nuages viennent s’accrocher. Comme quand on prend l’avion aussi, et qu’on se dit « et si on passait la main dedans »? C’est ça l’idée. Enfin surtout, c’est l’envie de s’évader, car on a envie de se balader quand on voit dans quel monde on est.
Comment est née votre collaboration avec le fleuriste Thierry Boutemy, qui a réalisé la façade de la chocolaterie ?
Elle vient de cette idée de se dire « et si on pouvait toucher un nuage, plonger dedans ? » Quand j’en ai parlé avec lui, je lui ai dit « il faut amener du volume, quelque chose d’excessivement ample, qu’on ait envie de toucher, de plonger à l’intérieur ». Le génie de Thierry c’est d’amener à la fois quelque chose de très simple et de très fort. Et quand on regarde les échelles [n.d.l.r la façade est composée d’hortensias en forme de nuages, et d’échelles comme suspendues], c’est un peu le surréalisme belge. On a envie de grimper pour rentrer dans les nuages… et Magritte n’est pas forcément loin.
Quel est votre prochain rêve ?
Mon prochain rêve est la sortie d’un livre, un carnet de voyages de tout ce que j‘ai pu découvrir à travers mes voyages en Asie. Il y a des pays comme le Japon où il y a de fortes traditions culinaires, où on ne touche pas aux recettes traditionnelles. J’avais envie de bousculer un peu ça. Un jour j’ai mélangé devant eux du yuzy, cet agrume acidulé utilisé par exemple pour parfumer une soupe miso, pour faire du chocolat avec. Ils sont très étonnés, ils vous regardent comme si vous étiez malade et puis quand ils goutent « waou ! C’est bon ! » Ici ca paraît normal de modifier la recette de la crème brulée, de la mousse au chocolat, parce qu’on a envie de réinventer, mais il y a certains pays où on ne change pas une recette traditionnelle. Je suis donc occupé à concrétiser ce livre, mais j’ai encore d’autres rêves: du voyage, une école, … on ne va pas s’arrêter là !
Pourquoi avoir ajouté des créations healthy à cette collection?
Il ne faut pas que le chocolat soit figé, il ne faut pas figer les choses. Le chocolat c’est quelque chose du terroir, qui vit et qui s’adapte. Dans notre atelier, on se pose des questions, on se dit qu’on n’a jamais gouté avec de l’orge, du quinoa, de l’épeautre. On connaît les techniques de praliné, est-ce qu’on peut être capable de faire quelque chose comme ça maintenant ? Et là ca devient intéressant. On prend quelque chose de très conventionnel : praliné aux amandes, praliné aux pistaches, et on va faire des pralinés à base de céréales. C’est doux, grillé, doré et une note acidulée vient titiller le tout. C’est super et ça fait partie de la tendance et des choses qu’on doit faire bouger. Il faut à la fois se réinventer et dire qu’on peut réinventer les grands classiques, sans que les gens soient offusqués. C’est un autre rêve qu’on a envie de faire partager.
On se demandait…. mangez-vous beaucoup de chocolat ? L’appréciez-vous toujours autant ?
Je ne mange plus que 100 grammes de chocolat par jour et j’en ai encore envie tout le temps. Je mange, je goûte tout et mes amis me demandent « mais tu ne devais pas faire régime ? » et je réponds « oui mais ça, ça ne compte pas !»