
Témoignage: “Notre rencontre? une suite de coïncidences”
Jade a rencontré Romain dans un petit village au fin fond du Brabant flamand, lors d’un séminaire professionnel. Ils n’avaient a priori aucun lien. Sauf qu’ils se croisaient depuis des années sans le savoir.
C’était un soir d’hiver. Je devais me rendre à 40 km de chez moi, pour un dîner d’entreprise. J’ai commencé par me perdre sur le ring à la sortie de Bruxelles, puis je me suis trompée plusieurs fois de sortie dans une campagne mal éclairée, et finalement, je suis arrivée dans la sinistre salle des fêtes d’une toute petite ville paumée. J’ai eu envie de faire demi-tour… mais bien sûr, je suis entrée. C’était une riche idée, j’aurais pu ne jamais croiser Romain, qui s’était pourtant trouvé sur mon chemin des dizaines de fois, d’un bout à l’autre du monde, sans que nous ne nous soyons jamais rencontrés.
Des Etats-Unis à la Belgique
Puisque j’étais en retard, mes collègues étaient déjà à table. J’ai balayé les places restantes du regard, et j’ai repéré le seul homme qui n’avait ni plus de 60 ans, ni un ventre qui l’empêchait d’avancer sa chaise. Romain, 35 ans, séduisant, qui semblait aussi paumé que moi. Lorsqu’il m’a salué, j’ai été soulagée d’entendre un accent américain: le garçon était expatrié, nous aurions donc un sujet de conversation. Au bout d’une heure de discussion, nous avions retracé les grandes lignes de nos vies, et réalisé, stupéfaits, que même si nous étions nés à 8.000 km l’un de l’autre, nous avions vécu des histoires parallèles. D’abord, la mère de Romain était normande, comme moi. C’est d’ailleurs pour ça qu’il portait un prénom français. C’est lors d’un échange avec une université américaine qu’elle avait rencontré son futur mari sur la côte ouest, et qu’elle y était restée. Mes parents aussi ont toujours été de grands voyageurs. Quand j’étais enfant, nous visitions chaque été cette région des États-Unis, explorant aussi le Canada, de Seattle jusqu’à Vancouver. La famille de Romain possédait une résidence secondaire sur l’île Victoria, à l’ouest de Vancouver, où j’avais passé mes vacances… deux semaines auparavant. J’étais en train de montrer des photos de mon séjour: sur l’une des images, j’étais appuyée sur un banc sur la jetée, avec l’océan en perspective. La mâchoire lui en est tombée. Il venait de reconnaître le banc sur lequel il attendait son autobus, chaque été, pour aller au centre sportif. Un petit banc, d’une petite ville, d’une petite île. Nous nous sommes trouvé des dizaines de points communs: une passion pour les chansonnières de Montmartre des années 40, une gourmandise pour les brunches à 80.000 calories, un humour second degré qui nous a poussés à nous taquiner assez fort quasi instantanément, et les musées désuets de province. Voici qu’il était minuit passé, et nous travaillions tous les deux tôt le lendemain. Il est parti à la recherche de la collègue qui l’avait conduit. Hélas pour lui, heureusement pour moi, elle était partie. Il m’a rattrapée alors que je me dirigeais vers le parking. Nous avons découvert ainsi que nous vivions… dans la même rue. Certes, c’est un quartier bobo à expats, donc ce n’était pas une énorme surprise, mais quand même. Il s’est installé d’autorité à l’avant de ma voiture. J’ai souri, nous sommes partis.
Un tour du destin…
Pendant trois jours, j’ai attendu qu’il se manifeste. Il ne l’a pas fait. J’étais triste et en colère. C’est le Delhaize qui a sauvé notre histoire. Le samedi suivant, habillée n’importe comment, pas maquillée et les cheveux en vrac, je suis tombée nez à nez avec lui, qui était venu, comme moi, s’acheter de la pâtisserie qu’il adore, pour son petit-déjeuner. Moi qui suis toujours tirée à quatre épingles, j’ai eu envie de pleurer. Je l’ai dit. Ça l’a fait rire. Il m’a répondu qu’il n’était qu’un plouc de l’Etat de Washington, et que les filles trop sophistiquées le faisaient flipper. Nous avons pris le petit-déjeuner chez moi. En regardant les photos affichées partout, il a reconnu, stupéfait, le village de Provence où j’avais passé un weekend, et où il allait dans son enfance. Il a vu que nous venions de nous acheter le même vélo, et que nous avions 80% de notre bibliothèque en commun. D’abord, je ne l’ai pas cru, j’ai pensé à une grossière stratégie de drague. Au cours des semaines qui ont suivi, j’ai pu vérifier qu’il avait dit la vérité. Sauf pour le vélo: même marque, mais pas même modèle.
Chagrin d’amitié
Ce qui est compliqué, avec une personne qui partage tant de points communs en venant d’une histoire culturelle si différente, c’est que nous avions vécu pratiquement les mêmes événements, mais que nous les avions perçus autrement, à l’aune de nos éducations respectives. Nous étions tombés en amitié dès le premier soir, mais nos engueulades nous séparaient régulièrement. Au cours de l’été suivant, nous avons finalement «rompu» sans être jamais sortis ensemble. Je ne supportais plus ses contradictions systématiques, il me trouvait arrogante. J’en ai conçu un terrible chagrin d’amitié. Il a complètement cessé de se manifester. Ça m’a rendue malade.
Une symbolique «réunion»
Ma soeur m’a alors proposé de partir toutes les deux dans un coin qui n’avait aucun rapport avec notre histoire. Nous avons loué un airb’n’b à la Réunion. Le premier soir, nous avons demandé à notre hôte l’adresse d’un bon restaurant créole typique. C’est la seule concession que je voulais bien faire à mes souvenirs de ma drôle de relation avec Romain: nous adorions tous les deux la cuisine épicée, mais je n’allais pas me mettre à manger fade juste pour éviter de penser à lui. Le propriétaire nous a orientées vers une case traditionnelle derrière la cathédrale, au coeur de Saint-Denis. Le dîner était fabuleux, et comme nous étions un peu pompettes, nous avons demandé à signer le livre d’or. En tournant les quelques pages précédentes, je suis tombée sur une écriture que je connaissais: Romain était passé ici trois semaines auparavant. Ma soeur s’est emparée de mon téléphone, et avant que j’ai le temps de réagir, l’a appelé sur Facetime. Quand il a décroché, je n’ai pu que bafouiller: «Devine où je suis?» J’ai vu les larmes lui monter aux yeux, et il m’a répondu: «Tu es bien le genre de fille qu’on trouve sur Saint-Denis.» Il était visiblement très ému. J’ai dit: «Je te propose de poser les armes, on ne se fait plus jamais de mal pour éviter d’avoir à se faire du bien. Soit on instaure une paix nouvelle, soit le destin va devoir cesser d’insister.» Là, il a fait cette chose incroyable: il a raccroché. J’ai passé les deux jours suivants à essayer de comprendre. C’était pourtant très simple: il avait besoin de 48 heures pour trouver un billet d’avion. Il a débarqué sur l’île, et nous nous sommes croisés, par hasard, sur la terrasse d’un café. En fait, cette fois-ci, ça n’était pas du tout un hasard: ma soeur et Romain avaient tout arrangé. Mais le destin leur pardonnera: nous venons de nous marier.
Texte: Lise Osoix