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Sujet tabou: les nouveaux pauvres

Il n’y a pas si longtemps, la précarité s’expliquait par un accident de la vie ou l’hérédité qui produisait des pauvres de génération en génération. Mais les bouleversements technologiques, économiques et sociaux ont redistribué les cartes. Aujourd’hui, une autre catégorie de personnes fragilisées a émergé: les nouveaux pauvres.

Les chiffres qui tuent

  • La crise touche 7 Belges sur 10.
  • 30 000 Belges ont perdu leur droit aux allocations de chômage suite à la nouvelle législation, entre janvier 2015 et janvier 2016.
  • 70% des épiceries sociales ont été créées entre 2000 et 2010.
  • 40.000 ménages bruxellois sont sur liste d’attente pour un logement social. Le temps d’attente moyen est de… 10 ans!
  • 1 avortement sur 5 est décidé pour des raisons économiques.
  • 1.000.000: Le nombre d’indépendants en Belgique. 1 sur 6 gagne moins de 830€ par mois.

(source: webdoc Les nouveaux pauvres)

En 2010, la journaliste française Florence Aubenas publiait Le Quai de Ouistreham, le récit terrifiant de son immersion, sous couvert d’anonymat, dans un monde crépusculaire où «on ne trouve pas de travail, on trouve ‘des heures’». «A la pointe sèche de ce qu’elle a vécu, Florence Aubenas dessine le portrait d’un pays ignoré, recouvert par des discours qui enfouissent la réalité. Elle fait entendre le cri silencieux d’une nouvelle classe d’oubliés. Dans un décor et sous des ciels qui ont la couleur grise de cette misère», résume l’un de ses confrères de La Croix. Cette «nouvelle classe d’oubliés», ce sont les travailleurs pauvres. Si cette notion, apparue dans les années 60 aux Etats-Unis, a mis trois décennies à nous atteindre, c’est parce que nous étions protégés par un système social performant. Mais la saturation du marché de l’emploi, la multiplication des bas salaires et le boum des contrats précaires, la pression croissante sur les chômeurs, l’augmentation des divorces et l’insoutenable légèreté des retraites ont précipité la chute de la classe moyenne. Ceux qui ont le nez dans le ruisseau se nomment chercheurs d’emploi, mais aussi étudiants, pensionnés, mères solos, actifs économiquement faibles… «Tu te rends compte? Pendant des années, on nous a habitués à acheter sans compter et maintenant on n’aurait même plus le droit de faire des courses. Il faudrait renoncer à tout ça», constate, amer, l’un des témoins de Florence Aubenas, victime d’un licenciement et d’une séparation, le cocktail fatal.

Un emploi, l’universelle panacée?

En Europe occidentale, on est considéré comme pauvre lorsqu’on a un niveau de vie significativement inférieur à celui qui prévaut dans la population. Aujourd’hui, un contrat de travail ne nous met plus systématiquement à l’abri de la précarité. «On ne dit plus ‘caissière’ maintenant, on dit ‘hôtesse de caisse’. Ce qui n’a pas changé, c’est qu’on touche toujours un salaire de misère», plaisante Wendy, 37 ans, qui refuse toutefois d’en dévoiler le montant, question de dignité. «Mon compagnon est intérimaire dans le bâtiment, on vit au jour le jour, on n’a pas les moyens d’avoir des projets, et des rêves encore moins. C’est surtout vis-à-vis de notre fils de 13 ans que c’est difficile: pas de vacances, pas de fantaisie, jamais la moindre petite folie. Il est bon à l’école, ce serait bien qu’il fasse des études pour mieux s’en sortir que nous, on voudrait mettre de l’argent de côté pour ça, mais avec la fin du mois qui tombe le 16 ou le 17, comment voulez-vous?» L’épargne devient peu à peu un concept obsolète, le bas de laine a fait son temps: un Belge sur deux ne parvient plus à «mettre de l’argent de côté». Pire, une étude récente a démontré qu’un travailleur belge sur sept vit sous le seuil de la pauvreté (évalué à 2 100 euros nets par mois pour un couple avec deux enfants et à 1 600 euros nets par mois pour une famille monoparentale avec deux enfants). Et à 50 ans, adieu veaux, vaches, cochons, couvées: deux demandeurs d’emploi quinquagénaires sur trois resteront au chômage.

Etudiant poil aux dents

Aux dents peut-être mais dans la main, sûrement pas! Le nombre d’étudiants pauvres, obligés de travailler durant toute l’année, a explosé en dix ans, tout comme celui de ceux qui ont fait appel à l’aide sociale (+74 % à Bruxelles entre 2005 et 2014!). Depuis le 1er janvier, les étudiants sont autorisés à travailler 475 heures par an, soit 75 de plus qu’auparavant. Une flexibilité qui fait grincer des dents. Celles des salariés, agacés par cette concurrence parfois perçue comme déloyale et celles des jeunes eux-mêmes, conscients de l’impact néfaste d’un job trop accaparant sur le bon déroulement de leurs études. «Je projetais de faire médecine mais j’ai dû renoncer, mon père est au chômage depuis trois ans et ma mère est puéricultrice. Rien que pour payer mon kot, j’aurais dû combiner les études et un job, un truc de dingue. Alors, je me suis rabattu sur une école d’infirmiers, c’est moins long, moins cher et tout près de chez moi. C’est comme ça: on est une génération sacrifiée», constate Max, 20 ans, déjà désabusé. Actuellement, 15 000 étudiants émargent au CPAS, soit 15 % du nombre total des bénéficiaires belges du RIS, le revenu d’intégration sociale. Quand les parents, l’aide sociale ou les jobs ne suffisent pas à couvrir les besoins, certains étudiants entrevoient comme seule issue la prostitution occasionnelle. Un phénomène récent mais en pleine expansion, facilité par l’existence d’Internet. En 2014, Guido, la bible de l’étudiant belge, concluait ainsi son dossier consacré à la problématique: «La prostitution chez les étudiants est une réalité. Certains la jugent, d’autres la comprennent. Celles et ceux qui la pratiquent ont souvent une explication qui résonne à leurs oreilles comme une justification. Mais de tous les témoignages que nous avons pu recueillir, il apparaît qu’aucun n’a réellement envie de vivre cette situation (trop) longtemps. Une chose est certaine: dans chaque discussion, qu’il s’agisse de parler de parents absents, de besoins d’argent ou même d’attirance pour une forme de risque, le discours était toujours teinté d’une forme de tristesse.» Tristesse. C’est le mot…

Les éternelles sacrifiées

Et qui remporte la timbale au grand jeu de la précarité? Bingo! Les femmes… Et plus spécifiquement les retraitées – 59 % d’entre elles perçoivent une pension inférieure à 1000€ – ainsi que les mères célibataires. A Bruxelles, une famille sur 3 est monoparentale avec, dans 86 % des cas, une femme comme chef de ménage. On a pris l’habitude de les appeler «mamans solos», alors que «mères courage» collerait davantage à la réalité. «Je gagne aux alentours de 1200 € nets et j’élève seule mon enfant de 20 mois, explique Muriel, une aide-soignante de 29 ans. Avec un loyer de 745€, les charges, la crèche, les frais médicaux et tout le reste, je ne m’en sors pas. Jusqu’à présent, j’ai plus ou moins réussi à conserver la tête hors de l’eau parce que ma mère m’aide quand elle le peut. Mais franchement, c’est la honte de devoir aller mendier quelques centaines d’euros chez ses parents pour payer la crèche de son propre enfant. Ma mère fait partie de la génération qui n’a pas connu toutes ces galères, elle ne mesure pas la précarité dans laquelle je suis et, surtout, elle ne comprend pas comment c’est possible, elle me croit incapable de gérer mon budget. J’ai vraiment peur de l’avenir. Un coup dur et je me retrouve à la rue avec mon fils.» Effectivement, les galères ne manquent pas, les chiffres parlent d’eux-mêmes: une mère célibataire sur 2 éprouve des difficultés à payer les soins de santé, 6 sur 10 peinent à assurer leurs dépenses de logement et d’alimentation, 2 enfants bruxellois sur 3 n’ont pas de place en crèche… L’inégalité salariale entre hommes et femmes n’est pas étrangère à cette sensation de marcher en permanence sur la corde raide. Et cette crise qui n’en finit pas aura permis aux riches de s’enrichir davantage et aux pauvres de devenir encore plus pauvres. Mais tout espoir n’est pas perdu. Comme le disait si bien Pierre Desproges: «Les riches, au fond, ne sont jamais qu’une minorité de pauvres qui ont réussi!»

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