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Belga

L’avortement en question

Si l’avortement a été dépénalisé “sous conditions” en 1990, il n’a jamais été légalisé. En théorie, il reste donc punissable. Une nuance peut-être moins anodine qu’il n’y paraît à l’heure où l’on assiste à un recul du droit des femmes, chez nous comme ailleurs.

Fin mars 2017, la 8e “Marche pour la Vie” réunissait à Bruxelles quelque 1500 personnes opposées à l’avortement, l’euthanasie et le droit des femmes à disposer de leur propre corps. À cette occasion, la porte-parole du mouvement affirmait sans ciller qu’en Belgique, on peut avorter “à neuf mois moins un jour”. Distiller des infos truquées ou tronquées en espérant qu’elles se propagent à la vitesse de la lumière, c’est dans l’air du temps, l’ère des fake news. Une simple vérification remet l’église au milieu du village: en Belgique, l’avortement est autorisé avant la 12e semaine de grossesse, avec un délai de 6 jours entre la première visite médicale et l’intervention. Les IVG tardives sont des avortements thérapeutiques, pratiqués seulement si la vie de la mère est menacée ou si le foetus est atteint d’une maladie incurable.

Avorter, “un meurtre remboursé par la mutuelle”

Quelques jours avant la marche, des étudiants en philo de l’UCL avaient relayé dans la presse des échos du plaidoyer musclé livré par Stéphane Mercier, leur chargé de cours, pour qui “l’avortement est un meurtre remboursé par la mutuelle” et le terme “interruption volontaire de grossesse” un euphémisme digne des états totalitaires. L’UCL avait réagi rapidement en suspendant ses cours et en rappelant que l’avortement est un droit… Ce dernier reste cependant inscrit dans le code pénal comme un crime contre l’ordre des familles et la moralité publique.

“J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps”

Sa dépénalisation a relégué l’avortement dans le camp des interventions banales, quasiment anecdotiques. Rappelons toutefois qu’une IVG médicamenteuse peut provoquer des douleurs et des saignements très abondants et qu’une IVG par aspiration est une procédure chirurgicale souvent réalisée sous anesthésie locale, voire générale. Quant aux séquelles psychologiques, à chacune de s’en dépatouiller avec les moyens du bord. “C’était il y a 16 ans, j’étais en Erasmus à Madrid, raconte Pénélope, sans fausse pudeur. Un coup d’un soir, sans préservatif… J’ai vite découvert que j’étais enceinte. Je suis revenue en Belgique parce que l’avortement en Espagne, c’était carrément impossible. Direction le planning familial de Liège. Deux entrevues, puis l’avortement. Dur à crever. Ils te disent qu’il vaut mieux se passer de l’anesthésie générale pour faire son deuil. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps et j’aurais foutu des baffes à l’assistante sociale qui me caressait la cuisse en me disant ‘Ça va aller’. Je l’ai pleuré, cet enfant! Je lui ai donné un nom, je sais l’âge qu’il aurait… J’en ai eu deux par la suite mais j’imagine que ce n’est pas un hasard si aujourd’hui, j’ai adopté un réfugié de 17 ans en provenance de la jungle de Calais… Comme quoi, il y a toujours un sens, finalement.” Banaliser l’avortement, l’assimiler à un acte médical purement anecdotique, qu’est-ce d’autre que faire insulte aux femmes?

Pour en finir avec la notion d’IVG de confort

“Avortement de confort”: lancée en 2012 par Louis Alliot, le compagnon de Marine Le Pen, cette énormité se répand sur la Toile et provoque une levée de boucliers. Mais le mal est fait. La formule rencontre un franc succès et entre tout naturellement dans le vocabulaire courant. Elle insinue qu’un nombre croissant de femmes utiliserait l’avortement comme un véritable moyen contraceptif. Une autre partie de plaisir en quelque sorte? Pour le coup, la pilule est vraiment dure à avaler! Et ce n’est pas Paola, une Bruxelloise de 42 ans qui nous contredira. Elle se remémore avec une pointe de cynisme une expérience qu’on peut difficilement qualifier de “confortable”: “Je ne vous raconte pas la tronche consternée des gens qui vous accueillent, la bonne tristesse affichée de la gynéco qui va vous filer des cachets et la psychologue qui insiste lourdement, alors même que vous lui expliquez que, physiologiquement, vous ne pouvez plus parce que vous avez déjà subi 3 césariennes, que la dernière grossesse vous a valu 2 mois d’immobilisation totale et que malgré tout, le bébé est né avec un mois d’avance.”

Quand le droit à l’IVG se met à vaciller

À partir de 2014, les atteintes, parfois sournoises, se multiplient dans divers pays européens. L’Espagne songe à restreindre la liberté d’avorter pour s’aligner sur l’Irlande, la Pologne et le Luxembourg qui autorisent l’IVG sous strictes conditions. En Italie, on note un net accroissement des gynécologues qui refusent de pratiquer les interventions. Chez nous, le ministre de la Justice, Koen Geens se bat comme un lion pour légiférer sur l’octroi d’un statut officiel au foetus, une façon détournée de fragiliser les motifs à la base de la dépénalisation de l’avortement.

En France, François Fillon évoque un risque de banalisation de l’interruption de grossesse lorsque l’Assemblée nationale soulève la question de la suppression de la notion de “détresse” dans la loi Veil, une simple officialisation du droit des femmes à disposer de leur corps comme elles l’entendent. “Ils me font rire avec leurs débats. Qu’est-ce qu’ils savent de ma détresse?, s’interroge Julie, 34 ans, qui a décidé d’avorter il y a 2 ans alors que son couple était stable et sa vie sur des rails. Je n’ai connu que ça, la détresse à partir du moment où j’ai découvert que j’étais enceinte malgré un stérilet, la détresse parce que je ne voulais pas de cet enfant, la détresse quand je suis entrée au planning familial, quand j’en suis sortie, et je ne parle même pas des semaines qui ont suivi, quand il a fallu que je m’en remette, sans trop en parler parce que ce n’est pas un truc qu’on va crier sur tous les toits.”

Le poids des larmes

Remises en cause d’un droit qu’on espérait acquis, réticence à voter une légalisation pure et simple qui aurait le mérite de clarifier la situation, volonté de légiférer en faveur d’une restriction de la liberté des femmes, l’horizon s’obscurcit. Comment s’étonner que dorénavant les femmes préfèrent se taire puisque la société s’acharne à les culpabiliser au motif qu’elles choisissent leur vie. “J’ai avorté en janvier, confie Sarah, 19 ans. L’enfer! La pire douleur de ma vie, la pire humiliation aussi, l’ambiance glaciale, la gynéco – enceinte – qui n’a pas pété un mot. Je pouvais à peine marcher: pas grave, au revoir et merci!” L’auteure française Colombe Schneck avait 17 ans lorsqu’elle a avorté. Une violence qu’elle a tenu à raconter trente ans plus tard après avoir lu ces mots d’Annie Ernaux dans une interview accordée au journal L’Humanité: “Rien n’est jamais acquis pour les femmes. Si vous ne dites pas que vous avez avorté, vous prenez le risque que ce droit disparaisse.” Colombe Schneck écrit alors Dix-sept ans, un récit sensible qui cogne pour briser le silence féminin: “J’y pense toujours, je n’en parlerai jamais à personne. Parfois, je ne suis pas loin de dire le mot, de le partager avec une amie proche. Et puis non, je renonce.”

Pour que l’IVG sorte définitivement du Code pénal, nous délivre de cette épée de Damoclès qui pend au-dessus de notre utérus, il nous reste encore des luttes à mener. Au grand jour et sans rougir.

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