Getty Images © Bruno Fahy

Éliane Tillieux: “C’est dramatique de s’émouvoir de l’accession d’une femme à la présidence du parlement”

Éliane Tillieux, une femme, une mère, une politicienne. Aujourd’hui à la tête de la Chambre des représentants, elle a eu mille et une vies avant d’en être la présidente.

Un petit appartement au sous-sol d’une maison tout ce qu’il y a de plus ordinaire, au cœur de la campagne de Cognelée, en province de Namur. Difficile de croire que c’est ici que travaille, le vendredi, la première présidente de la Chambre du pays! Pourtant, tout sourire derrière son masque, Éliane Tillieux m’accueille “comme à la maison”, visiblement enchantée d’avoir soufflé la veille les 100 jours de sa nomination.

Qu’on se le dise, la Namuroise est déterminée à mener les 100 prochaines semaines avec la vigueur et l’enthousiasme qui la caractérisent. Et la force de ses convictions, forgées au fil du temps et de son parcours teinté de féminisme. Même si “au début, avoue-t-elle, je rejetais le terme de féministe, car je ne me sentais pas représentée par cette voix qui de manière persistante, mettait en faute ‘les hommes’. Aujourd’hui, je dois admettre que je suis féministe, dans le sens où je souhaite que la femme joue pleinement son rôle dans la société, qu’elle ait le courage de ses ambitions et qu’elle y aille! Mais c’est aussi, à l’inverse, que les hommes s’investissent davantage dans les tâches qu’on dit ‘féminines’, dans lesquelles on ne les attend pas nécessairement à cause des stéréotypes véhiculés par la société”. Et en matière de stéréotypes, Éliane Tillieux sait de quoi elle parle. Elle en a fait la cuisante expérience plus d’une fois.

Un parcours classique, jusqu’au jour où…

Elle naît en 1966 dans une famille traditionnelle: un frère, une sœur, maman à la maison, et papa au boulot, impliqué de bonne grâce au conseil communal. Son diplôme de traductrice en poche, Éliane assure un remplacement de trois semaines dans l’enseignement, assez pour lui permettre de se rendre compte de la difficulté du boulot. Ensuite, un passage de quelques mois au guichet d’une banque la conforte dans l’idée… qu’elle n’est pas faite pour ça.

Tordre le cou aux clichés

En revanche, elle aime beaucoup son nouveau job au Comité européen de normalisation (institution chargée de standardiser les normes techniques de chaque pays). “J’adorais l’ambiance très internationale, les échanges d’idées, le fait que mes compétences en langues soient valorisées. Le hic, c’est que les ingénieurs rédigeaient les textes et nous, on devait les traduire, sans donner notre avis. Or, c’était parfois incompréhensible, donc impossible à traduire. Quand j’ai osé suggérer au patron de nous laisser collaborer à la rédaction, il m’a regardée droit dans les yeux et m’a dit: ‘Si vous voulez participer au Comité, faites des études d’ingénieur’. Là-bas, c’était le cliché total: les femmes secrétaires-traductrices qui écoutent ce qu’on leur dit et réalisent ce qu’on leur demande, et les hommes ingénieurs qui, eux, peuvent être créatifs. Ça m’a beaucoup énervée (rires)”.

“Une femme, pour le même boulot qu’un homme, doit faire 2 fois plus ses preuves”

Faire ses preuves, encore et toujours

Logiquement, elle démissionne. Et dans la foulée, se marie à 23 ans avec son premier amour d’adolescente, accouche de Rémi la même année (1990) et est engagée à la Société wallonne des eaux (SWDE), comme son papa. Mais n’allez pas croire que les portes se sont ouvertes toutes grandes pour autant: “Plutôt que d’être pistonnée, ça m’a joué des tours! Déjà qu’une femme, pour le même boulot qu’un homme, doit faire ses preuves deux fois plus, moi c’était trois fois plus”.

Une vie à 100 à l’heure

Au départ, elle travaille à Bruxelles, mais avec l’avènement de la régionalisation, la société déménage à… Verviers! “Au début, je le faisais en train: je déposais mon fils à la crèche dans le bas de la ville, qui ouvrait à 7h, et le train démarrait à 7h15, c’était du sport (rires). Vu que mon mari travaillait au même endroit, on courait comme des fous tous les matins, tout ça pour rater systématiquement la correspondance à Liège, boire un café à la buvette en attendant le train suivant, et arriver au boulot à 9h30 alors qu’on était partis à 6h30. Et le soir, rebelote, la course dans l’autre sens. J’ai demandé ma mutation à Namur, pour pouvoir mieux gérer la vie de famille, et là on a réclamé que je suive une formation en comptabilité et management, en plus de mon boulot à temps plein, de mon fils et de son petit frère, Colin, né en 1993”.

Tenace et piquée au vif, Éliane accepte de relever le défi, décroche son master en management et tient sa revanche sur les exigences à son égard. Elle ne devait plus rien à personne.

Des femmes en politique? Allô!

“Ce poste de responsable de la Division commerciale de la SWDE, ça a été mes premiers contacts au cœur même de l’action politique. C’est là que j’ai réalisé l’importance de nos votes, car les décisions dépendent de ceux qui composent le collège communal. Par exemple, en province du Luxembourg, les collèges qui étaient composés de médecins demandaient des tarifs préférentiels pour les familles nombreuses, les personnes malades ou âgées… Dans la commune d’à côté, c’étaient principalement des agriculteurs, qui réclamaient la gratuité de l’eau destinée à la culture et au cheptel. D’autres communes, qui comptaient de grands parcs industriels sur leur territoire, plaidaient en faveur d’un tarif spécial pour les entreprises, fournisseuses d’emplois… Tout cela m’a fait réfléchir sur la fonction politique”. C’était à la fin des années 90, où l’on commençait à se dire qu’il manquait de femmes dans les assemblées.

“Pour les élections communales en 2000, le PS cherchait des candidates pour augmenter le nombre de femmes sur les listes électorales. Ma section locale a été contactée par le Président namurois pour demander si des membres féminines seraient intéressées de participer au scrutin. J’entends encore la réponse fuser: ‘C’est une excellente idée mais cela parait vraiment difficile. Comment veux-tu trouver une femme qui accepte de s’investir en plus de gérer sa vie familiale et professionnelle?’. Cela m’a fait bondir! Les femmes sont-elles à ce point transparentes que les hommes décident pour elles? C’est tellement ancré et pourtant les femmes et jeunes filles savent pertinemment bien réfléchir et poser des choix qui les concernent”.

Une arrivée qui dépoussière

Son choix à elle, ce sera d’y aller, pour apporter sa contribution, sans plus. Mais la voilà élue conseillère provinciale, à la plus grande surprise de tous, la sienne d’abord. Elle prend goût à la fonction, non sans avoir dépoussiéré de vieilles habitudes: “Les réunions à 18h, c’est juste impossible quand on a de jeunes enfants, ça n’a pas été facile à obtenir mais quand d’autres femmes ont rejoint les rangs, c’est devenu plus évident de plaider pour des réunions à 20h, après le souper et quand les enfants sont au lit”.

Les quotas ont du positif

En 2004, Éliane Tillieux participe aux élections régionales, où elle figure en 3e position sur les listes. Preuve que les quotas ont aidé les femmes à se hisser à des niveaux qu’elles n’auraient pas atteints sinon, affirme-t-elle. Cinq ans plus tard, elle obtient le meilleur score féminin du parti en Wallonie, ce qui la mène à la fonction ministérielle. Ministre de la Santé, de l’Action sociale et de l’Égalité des chances, d’abord, puis ministre de l’Emploi et de la Formation.

Les femmes à la gestion des matières sociales?

Élue parlementaire fédérale en 2019, elle entre l’année suivante dans l’Histoire. “Je me rendais compte du poids de l’événement, c’était poignant et pour moi aussi, très symbolique par rapport à mon parcours, mon combat pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Enfin, la Belgique a à sa tête, au niveau du Parlement, une femme! Et je compte bien saisir cette chance de faire évoluer les lois pour que cette égalité se traduise concrètement sur le terrain, par des actes. Dépasser les rôles stéréotypés où les femmes gèrent les matières sociales et les hommes s’occupent des finances, dans un premier temps”.

“C’est dramatique de s’émouvoir qu’une femme accède à la présidence du parlement”

Changer les mentalités, pas uniquement les lois

Si Éliane Tillieux se dit fière et honorée, elle déplore qu’il ait fallu attendre près de 200 ans pour qu’une femme accède à ce poste. “Quand on y pense, allez, c’est quand même dramatique de s’émouvoir en 2020 de l’accession d’une femme à la présidence du parlement. Il faut que ça devienne une habitude, la normalité. À l’avenir, on ne devrait plus jamais relever ‘Ah, c’est une femme’, non, ce sera normal. Comme on ne devrait plus soulever que ‘Ah, c’est un homme’, non, ce sera normal. Mais pour y arriver, les lois et la politique ne suffiront pas. Ce sont les mentalités qui doivent changer. J’ai bon espoir…”.

Texte: Stéphanie Ciardiello

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