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8 mars, journée des droits des femmes: nos droits sont-ils en danger?

«Encore féministe, aussi longtemps qu’il le faudra», tel est le nom d’un groupe Facebook qui regroupe plus de 57.000 membres, hommes et femmes. Pourtant, en Belgique, on a tendance à croire qu’il ne reste plus grand-chose à revendiquer sur le terrain de l’égalité. Quelle bonne blague!

Trump, c’est aux Etats-Unis, se diton. Rien à voir avec «chez nous». Sauf que sa parole libère et décomplexe le sexisme latent… Et ça, c’est beaucoup plus problématique. L’état des lieux des chantiers donne le vertige!

«Une époque de progrès… et de grands risques»

On avance, c’est indéniable. Cependant, rien n’est jamais acquis, c’est le message qu’envoient toutes les associations féministes. Députée, échevine et présidente du Conseil des femmes francophones de Belgique, Viviane Teitelbaum commence par un coup de gueule: «Je suis descendue dans la rue autrefois pour l’avortement. Et cette année encore, je me suis retrouvée à manifester pour les femmes polonaises, pour dénoncer le recul en Espagne. C’est invraisemblable, aujourd’hui, d’être encore obligée de mener des combats comme ça, alors que toutes les 9 minutes dans le monde, une femme meurt des suites d’un avortement illégal. Il ne viendrait à l’idée à personne de remettre en question la Déclaration universelle des droits de l’Homme (qu’on ferait bien de nommer droits humains d’ailleurs) ou de réinstaurer des bus uniquement pour les Blancs…»

La crise, un vrai danger

Mary Wauters, de l’asbl Afico à Namur, insiste sur les dommages collatéraux des problèmes économiques. «Avec la crise, on voit de plus en plus revenir ces idées débiles d’extrême droite, qui veulent ramener les femmes à la cuisine pour diminuer le chômage. C’est stupide. En plus, aujourd’hui, il est impossible de vivre avec un seul salaire! Et puis combien de ces hommes ont été sauvés par des chirurgiennes! Ce que l’on constate, aussi, dans les faits, c’est que la vie quotidienne des femmes est plus difficile. Les mesures d’austérité impactent surtout les femmes. Lorsqu’on supprime la garantie de revenus, en janvier 2018, lorsqu’on exclut de plus en plus de gens des allocations d’insertion, lorsqu’on limite les aides au logement et les logements sociaux, alors que les villes sont pleines de logements vides, ce sont surtout les femmes qui en souffrent.»

Plafond de verre? Plancher collant!

Le monde du travail est le domaine où la parité est en danger. Certes, des efforts sont faits pour amener les femmes à des postes à responsabilité. Mais ce n’est que le haut de l’iceberg. «Le plafond de verre existe, commente Céline Caudron. Les femmes sont souvent absentes dans les hautes structures des entreprises. Mais ce dont on parle moins, c’est du plancher collant. Celui qui fait, surtout, que nous sommes engluées dans des rôles secondaires. Et ça, ça concerne un très grand nombre. Les emplois précaires, les temps partiels, ce sont des femmes qui les occupent!» Mary Wauters ajoute: «D’ailleurs, lorsqu’on dit que l’écart salarial hommes-femmes diminue (un peu, mais il aurait plutôt tendance à stagner depuis 5 ans), ça ne veut pas dire que les femmes gagnent plus! C’est que les hommes gagnent moins!» Viviane Teitelbaum ajoute la notion de «tuyau percé». «Au fil de leur carrière, les femmes font des allers-retours sur le marché de l’emploi. Lorsqu’elles commencent en même temps que leurs collègues masculins, elles sont au même niveau. Puis elles fondent une famille et, souvent, s’écartent du marché du travail. Bien sûr, pendant le congé de maternité, c’est normal. Mais il y a aussi le manque de places en crèche! Résultat, c’est la majorité des femmes qui optent pour du temps partiel. Ce qui fait qu’elles n’obtiennent pas de promotions. Elles n’ont pas la même assurance, elles n’ont pas eu les mêmes formations continuées, elles se sentent, souvent, en décalage avec la réalité de l’entreprise. Cela fait qu’elles stagnent, pendant des années, alors que les hommes continuent à grimper sur l’échelle des grades!»

On ne choisit pas en connaissance de cause

«Vous savez où se situe un immense écart salarial, dont on parle très peu? C’est au niveau de la pension, nous apprend Viviane Teitelbaum. Il est de 39 % entre hommes et femmes! 39 %! Et ça, ça vient du fait qu’on n’informe pas les femmes des conséquences de leurs choix: lorsqu’on prend un temps partiel, lorsqu’on sort du marché du travail par manque de place dans les crèches, on diminue sa pension. C’est une information qui doit absolument être mieux communiquée aux couples!»

Des clichés online, toujours

Anne Lowenthal, blogueuse, constate que le Web peut, lui aussi, générer son lot de recul et de clichés: «Ce qui m’interpelle très fort, c’est que les femmes qui ont des réflexions socio-politiques ou économiques – et il y en a beaucoup – sont vraiment négligées, sous-estimées. Chaque année, on m’incite à m’inscrire aux Blogs Awards, mais je n’ai jamais trouvé ma catégorie. En tant que femmes, on est immédiatement cantonnées à la mode, la beauté, la vie quotidienne ou la cuisine. La société évolue, il y a de plus en plus d’expertes, dans tous les domaines. Mais les médias ont leurs bons clients, leurs références, qui sont toujours des hommes. Ça perpétue cette idée que la parole des femmes n’est pas crédible. Moi, lorsque je prends position sur un sujet de société, je suis immédiatement une ‘pasionaria’, une ‘hystérique’. On me balance que c’est normal que je sois célibataire, parce que je fais peur aux hommes!»

La violence faite aux femmes, on en parle?

C’est le grand sujet, le grand chantier, négligé par les autorités. Des enquêtes montrent la banalisation des violences sexuelles. Les répondants disent encore que certaines l’ont bien cherché. On trouve ça rigolo, les interpellations en rue. Alors que le fond du problème, ça reste toujours que les hommes se permettent de faire ce qu’ils veulent. Oui, c’est un problème à prendre en main! Et ça doit être pris en main politiquement, mais il y a un vrai manque de volonté derrière.» Viviane Teitelbaum complète: «En Belgique, on enregistre 3.000 viols par an. Ça fait entre 8 et 10 viols par jour! Or l’on sait que seulement une victime sur 10 se rend au commissariat. On sait aussi que 1 violeur sur 100 atterrira en prison. Les condamnations sont minimes, les peines sont commuées en un suivi psychologique. Cela induit une vraie minimisation des faits, une banalisation! On dit en blaguant que, si les hommes pouvaient être ‘enceints’, l’avortement serait remboursé par la mutuelle et accessible, sans discussion. C’est pareil pour les violences intrafamiliales. Nous sommes la majorité des victimes… Et il n’y a pas de directive européenne sur ces violences. Il en existe sur le travail, la pêche, l’agriculture, dans plein de domaines, mais pas sur ça. Cela montre bien que nous vivons dans une société où l’égalité n’est pas encore une priorité.»

Parler, ce n’est jamais innocent

«Le masculin l’emporte», assène la grammaire française. Or parler, écrire, c’est une façon de modeler notre vision du monde (on pense en «mots»). Laurence Rosier, professeure de linguistique à l’ULB, étudie particulièrement la question du genre. «Je crois au pouvoir des mots. Je dis «professeurE» ou «auteurE» en insistant sur le e. Evidemment, ce combat ne doit pas occulter les problèmes de terrain mais changer les mots, c’est changer les représentations. Il faut se rappeler que, non, le neutre n’existe pas en français. Tout est masculin ou féminin. Donc j’insiste. A force de féminiser, de montrer la féminisation des titres, cela va rentrer dans les moeurs! Je me bats, même si c’est un combat bourgeois, bien léger par rapport au terrain pour la parole libre.»

Et la religion?

On n’échappe pas à ce sujet, ô combien tendu et complexe. Il a divisé les féministes et, souvent, les a fait montrer du doigt par les médias. «Il y a des féminismes, des opinions», commente Laurence Rosier. Viviane Teitelbaum opte pour une position claire: «Il faut maintenir la séparation entre la religion et l’Etat. Les valeurs démocratiques doivent prédominer sur toutes les cultures et religion. C’est la base. Nous vivons dans une société laïque, ce qui ne veut pas dire antireligieuse! Cela signifie que la religion appartient à la sphère privée. C’est pour cela que nous nous sommes prononcées contre le port du foulard à l’école.»

Que faire, concrètement?

Eduquer

Viviane Teitelbaum: «Il faut montrer aux femmes, aux petites filles, qu’elles peuvent avoir les mêmes ambitions que les garçons! Arrêter d’avoir des filles qui se voient infirmières et des garçons chirurgiens.»

Prendre conscience que «Ça n’arrive pas qu’aux autres»

Céline Caudron: «Concernant la violence, on peut se dire qu’on n’a jamais été agressée ni violée. Mais en réfléchissant à son histoire, on trouve toutes des situations difficiles, des agressions, physiques ou verbales. On est toutes dans le même bain!»

Interpeller les autorités

Céline Caudron: «Les mentalités ne changeront pas si le pouvoir public ne met pas l’accent sur ces problématiques. Il faut une tolérance zéro, des lois, contre les petites violences. Un travail de sensibilisation! Des codes de bonne conduite dans les médias.»

Agir dans les écoles, sur les réseaux sociaux

Laurence Rosier: «Je crois en la vertu explicative. Souvent, les gens n’ont pas conscience des stéréotypes. L’humour n’est pas toujours innocent.»

Parler au masculin féminin

Mary Wauters: «Lorsque j’écris un courrier, j’écris toujours à ‘Madame, Monsieur’, je parle d’un poste d’enseignant.e, sans mettre le ‘e’ entre parenthèses, parce que c’est tout un symbole. Ça alourdit mais le message passe!»

Réagir face au harcèlement

Mary Wauters (qui propose des formations sur le sujet): «Si l’on en est victime, la première chose est de se mettre en sécurité. En rue, on peut répliquer, mais seulement si l’on est protégée par une foule ou proche de magasins ouverts. Porter plainte, c’est long, mais c’est une façon de refuser l’impunité. A long terme, il faut éduquer les garçons. Au fait qu’ils ont droit de draguer mais qu’ils doivent arrêter au moindre signe de refus. En tant que témoin, c’est important de montrer qu’on est là. Regarder l’agresseur, lui montrer qu’on n’approuve pas et qu’on ne le fuit pas. Parfois réagir par la parole ou crier. On n’est pas spectateur, on est acteur.»

Militer

Viviane Teitelbaum: «On peut écrire aux politiques, à ses élus, pour qu’ils fassent des questions parlementaires et parlent de ces problématiques.»

Encourager

Viviane Teitelbaum: «On peut aider une amie à porter plainte, à ne pas se murer dans le silence, même si elle a peur. La honte doit changer de camp!»

Texte: Hélène Delforge

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